Numéro 2 régional

Vasec-story

Selon les Nation Unies, la stérilisation est le premier moyen contraceptif utilisé dans le monde et ce sont principalement les femmes qui y ont recours. Pourtant, il existe une contraception définitive pour les hommes : la vasectomie. Très efficace et beaucoup moins invasive qu’une ligature des trompes, elle reste marginale en France où moins de 1% des hommes y ont eu recours en 2018. Exploration d’un impensé au travers d’un parcours particulier semé d’embûches et de réflexions fertiles…

Je devais avoir onze ans quand mon père me traîna pour dîner chez l’un de ses amis. Un soixante-huitard qui était devenu prof. Après le repas, alors qu’ils fumaient leurs gauloises, ils se mirent à parler d’un truc autour de la sexualité. Il y avait des mots compliqués. Ça m’intriguait et je finis par comprendre que le pote de mon père avait fait une sorte d’opération chirurgicale pour ne plus avoir d’enfants. J’imaginais une cicatrice béante à la place de sa bite. Je fus saisi d’une réaction épidermique : il ne me paraissait plus tout à fait un homme. Sur le chemin du retour, j’aurais voulu interroger mon père sur cette opération mais j’étais timide et c’est le silence qui gagna. Injonction sociale oblige, je grandissais en essayant de coller tant bien que mal au modèle de l’homme viril. Les eunuques (1), les castrats, le pote de mon père et autres infertiles était enfermés dans un coin sombre de mon esprit où régnaient les figures repoussoirs de la masculinité.

Tu seras fertile mon kid

Pour certains médecins du XIXème siècle, la fertilité serait « le siège de l’audace, de la force, de la vigueur, de la générosité et du courage » (2). Considérée comme un des attributs de la virilité, elle est pourtant largement inconsciente. Comme beaucoup de garçons, je me suis construit avec un profond impensé sur mon pouvoir procréateur.

Avec Alice, on vivait déjà ensemble depuis quelques années quand notre premier enfant est né. J’avais 26 ans. Dans un pays où l’age moyen à la naissance des enfants est de 33 ans pour les hommes, cela a fait de moi un père jeune (3). Alors que ma vie en couple hétéro s’inscrivait dans une certaine norme, je voyais cette jeune paternité et notre vie de bohème, entre squat et voyage, comme un étendard contre la normalisation.

En terme de contraception, par contre, nous étions bien ancrés dans la norme : comme un contrat implicite entre nous, la contraception c’était son affaire. Elle considérait que c’était sa responsabilité, je considérais que c’étaient ses choix. Malgré nos multiples discussions sur le genre, mon écoute polie de ses besoins, je restais dans une distance confortable vis à vis de la contraception. Comme si je ne pouvais m’y intéresser qu’intellectuellement. C’est à dire sans impliquer mon corps.

Rien d’étonnant à cela puisque ni ma construction de mâle virilo-fertile, ni les politiques de santé contraceptives, ne m’ont poussé à m’impliquer dans la contraception autrement que par l’usage de capotes ou du retrait.

Le genre de mecs…

Il y a deux ans, je suis tombé sur le film de Philippe Lignières « Vadé rétro spermato ». Ce documentaire relate les expérimentations de contraception masculine menées par des groupes d’hommes, des années 1978 à 1986. Les membres de l’Association pour la Recherche et le Développement de la Contraception Masculine (ARDECOM) étaient composés pour beaucoup de partenaires de militantes féministes. Dans une ambiance médico-bricolage, ils testaient sur eux-mêmes différentes techniques contraceptives : le Remonte couille toulousain (RTC), les hormones, la vasectomie. « Nous voudrions ouvrir un espace de vie (…) pour raconter nos explorations à côté ou à contretemps des modèles que nous sommes censé reproduire, des symboles dont nous sommes investis », écrivent-ils dans l’édito de leur revue (4).

Ces hommes remettent en cause la vision dominante d’une contraception exclusivement féminine : pour eux, si les mecs sont fertiles tous les jours de leur vie de l’adolescence jusqu’à leur mort, alors que les femmes le sont beaucoup plus ponctuellement, pourquoi ne pas porter soi-même la responsabilité de son activité sexuelle ?

Les visages qui témoignent dans ce film m’évoquent celui du pote de mon père. J’ai l’intuition qu’il a côtoyé l’ARDECOM. Tout à coup, il m’apparaît non plus comme un sous-homme auto-mutilé mais comme l’une de ces figures capables d’imprimer dans son corps ses idées politiques.

Leçon de choses

Après quelques recherches, j’ai vite compris que la vasectomie n’était pas un coup de sécateur aux couilles mais une petite incision qui permet de « ligaturer les canaux déférents pour empêcher les spermatozoïdes de se mélanger au liquide spermatique » lequel est formé dans les glandes séminales et la prostate (5). Il n’y a donc pas de conséquences sur la spermatogenèse (6), les hormones, la forme du sexe ou la libido. Même si la vasectomie est théoriquement réversible par une opération délicate, la vasovasectomie, elle est considérée comme une stérilisation définitive.

Cette (relative) irréversibilité pose problème à la politique nataliste à la française qui associe la vasectomie à l’eugénisme et à la transgression d’un ordre dit naturel. Selon la chercheuse Cécile Ventola, qui a consacré une thèse sur le sujet, « en France, il y a un vrai blocage dans le milieu médical pour que la responsabilité [contraceptive] soit portée par les hommes. C’est difficile pour les médecins d’ envisager que les patients puissent faire ce choix » (7).

Alors qu’en Grande Bretagne ou au Canada, la vasectomie est utilisée par environ 22% des hommes en âge de procréer, que la proportion est autour de 8% en Belgique, Espagne ou Suisse, la France accuse un énorme retard avec seulement 9240 vasectomies en 2018 selon l’Assurance Maladie (8). Ce n’est qu’en 2001 qu’une loi vient encadrer les pratiques de contraception définitive et fixer un cadre légal aux vasectomies et ligatures des trompes. Avant cette date, ces opérations pouvaient être assimilées à une mutilation , ce qui permettait aux médecins de faire valoir leur droit de retrait.

A l’inverse, au Royaume-Uni, du fait d’une reconnaissance précoce de la contraception par l’église anglicane, et d’une pensée sur le contrôle des naissances influencée par le malthusianisme, la vasectomie fait partie intégrante de l’éventail contraceptif disponible.

Désormais, l’idée de prise en charge de la contraception avec cette méthode me paraissait évidente. Et puisque ni Alice ni moi n’envisagions d’avoir d’autres enfants, le caractère définitif ne m’effrayait pas du tout.

Féministe la vasecto?

Pourtant, quand je lui ai dit « Je veux ma vasectomie ! », elle a été dubitative. Elle m’opposa qu’elle supportait très bien le stérilet (qui était son contraceptif actuel), et que je lui imposais ce choix de manière autoritaire. Ainsi, pour elle, la vasectomie ne coulait pas de source. A l’image de certains points de vues féministes, elle voyait d‘un mauvais œil la réappropriation par les hommes de choix contraceptifs si durement gagnés par les luttes des femmes. Sous couvert du partage de la charge contraceptive, c’est toujours la décision de l’homme qui prime. Et une reconfiguration insidieuse de la domination masculine qui a lieu. De plus, ne plus faire courir le risque de grossesse non désirée peut donner un avantage comparatif sur le marché du bon mec. Ceux-ci peuvent ainsi continuer à se comporter en prédateur sexuels tout en paraissant progressistes au niveau contraceptif (9).

Les semaines suivantes, on se posa la question plus doucement que je l’avais introduite. Ce fut une période épanouissante. La boite de la question contraceptive contenait d’autres interrogations : À partager cette charge mentale de la contraception, allait-on explorer d’autres scripts sexuels ? L’amour entre nous allait-il se transformer ? Comment être parent sans que nos enfants nous appartiennent ? Quelle rapport à l’enfance peut-on nouer alors qu’on n’aura plus d’enfants ensemble ? Explorer ces sujets a mis un coup d’accélérateur à notre déconstruction de genre autant qu’à notre construction amoureuse et individuelle. Et alors que notre maison vibrait des jeux d’enfants – ceux d’amis qui étaient venus se confiner avec nous -, je pris rendez-vous avec l’hôpital Purpan de Toulouse dont je connaissais les liens historiques avec les groupes ARDECOM. On me donna rencard cinq mois plus tard au service d’urologie.

Affronter l’hosto

Pour bien montrer la place que l’urologie occupe à l’hôpital, on a placé ce service au sous-sol de la maternité. En descendant les escaliers sombres, j’ai la boule au ventre et le cerveau en caféine : prêt a dégainer mes arguments contre le moindre propos sexiste ou culpabilisateur. Faut dire qu’un ami venait de me relater qu’un urologue qu’il avait consulté pour une vasectomie l’avait rassuré : « Vous inquiétez pas, avec cette opération vous allez pas devenir pédé ». À l’inverse, le jeune chirurgien qui me reçoit, m’écoute, prend des notes et se garde de tout jugement paternaliste. Il semble suivre un protocole bien rodé. « Quand j’ai commencé, j’opérais quelques personnes par mois, maintenant c’est vasectomie tous les jeudis ! », me confia-t-il, confirmant ainsi les chiffres de l’Assurance Maladie, qui montrent une augmentation de près de 500% du nombre de demandes depuis 2010 (10). « Les hommes qui viennent me voir sont souvent des personnes comme vous qui ont déjà eu des enfants, mais il y a aussi beaucoup de vingtenaires sans enfants. J’opère n’importe qui en fait la demande. D’ailleurs c’est souvent les jeunes qui sont le plus déterminés de leur choix ».

Au Royaume-Uni, une vasectomie se fait sur simple rendez-vous. Mais en France, la loi de 2001 prévoit un délai de réflexion de quatre mois entre ce premier rendez-vous et un second qui permettra de s’assurer du choix du patient et de fixer une date d’opération.

Ces longs mois d’attente m’exaspèrent. « Retourne dans ta chambre réfléchir aux conséquences de tes actes et reviens me voir dans quatre mois », semble me dire la grosse voix de la médecine. Pour Cécile Ventola, la vasectomie est considérée « comme une intervention chirurgicale tellement grave que c’est le plus long délai de réflexion imposé par la loi française. En regard de cela, la chirurgie esthétique (majoritairement pratiquée par des femmes) n’a généralement que 15 jours de délai de réflexion »(11).

Lors du second rendez-vous, le chirurgien insiste pour que je congèle mon sperme moyennant une centaine d’euros par an. Je reconnais que cette pratique peut être une bonne solution pour certains mecs, mais personnellement je n’ai pas envie que ma semence prenne inutilement de la place au congèl. Puis l’engrenage est lancé : je signe un papier de consentement, on cale une date d’opération entre deux protocoles sanitaires et on m’envoie deux étages plus haut, à la consultation d’anesthésie, préalable indispensable à toute opération.

La salle d’attente du service d’anesthésie est pleine de femmes enceintes. Toutes les cinq minutes, un médecin y passe la tête en braillant « suivante ! ». J’attends sagement mon tour en détaillant les murs couverts d’affiches sur l’allaitement, les couches et l’alimentation de bébé. Les visages de nourrissons en gros plan, les couleurs pastel et les slogans infantilisant me filent la nausée. Pourquoi celles et ceux qui veulent se faire stériliser, mais aussi les femmes qui viennent pour avorter, sont envoyé.e.s au cœur d’une maternité ? Dans ces salles d’attente, l’hosto réalise-t-il une mise à l’épreuve sadique ? Vous en reprendrez bien un petit dernier ?

Mieux qu’un bon splif

Juste avant l’opération, on m’a vêtu d’une chemise de nuit verte qui sentait la naphtaline et d’un slip en tulle alvéolé. La joie d’être au seuil de concrétiser cette idée se mêle à une trouille de l’intrusion imminente dans mon corps.

Le chirurgien déboule dans le bloc opératoire et cale son visage de cosmonaute au dessus de ma tête : « Ça va ? Vous êtes prêt ? J’y vais ? J’anesthésie les testicules, je sors le canal déférent, je coupe dans la boucle, je clampe les deux brins, je referme, pareil sur l’autre testicule et on vous libère dans un quart d’heure », me débite-t-il, comme un mécanicien pressé. Un anesthésiste me plaque sur la bouche un masque de protoxyde d’azote, le « proto » comme ils disent. Penché sur mon visage, il chuchote : « Est ce que vous aimez voyager monsieur ? » L’absurdité de la question me fait rire. Mais bien vite mon hoquet devient une esclaffade incontrôlable. « Ah ça y est il est parti, vous pouvez y aller », dit l’anesthésiste au travers d’un vocoder saccadé. Les couleurs se dilatent et une vapeur blanche envahit le bloc. Dans mon ventre, je sens des coulissements de durites provoquant de légers chatouillis. « Bougez pas, j’ai votre canal déférent entre les doigts », entends-je alors que mon corps se tord comme un chewing-gum. Pendant que des étoiles filantes transpercent le plafond, le visage du chirurgien réapparaît dans le brouillard. « Tout s’est bien passé, érection possible dès demain, pas d’éjaculation avant une semaine, reposez-vous, rendez-vous dans trois mois après votre examen de sperme, Ciao ».

– « Attendez, faites tourner encore un peu de « proto« ! » osais-je demander.

Arrêt de production

Il s’est écoulé presque un an et demi entre ma première prise de rendez-vous et l’opération. Il me faudra encore attendre trois mois après l’intervention pour s’assurer de ma stérilité totale par une vidange complète des derniers spermatozoïdes qui traînent dans ma prostate. Cette temporalité, qui peut se révéler décourageante, est une entrave au développement à plus grande échelle de la vasectomie. Mais pour ma part, ce temps m’a plutôt permis d’affirmer politiquement ma démarche. Partant de la volonté de partage de la charge contraceptive, cette démarche est venue détisser quelques fils de l’injonction viriliste qui m’a construit. Je suis soulagé de ne plus être ce pourvoyeur de fond de spermatozoïdes et ainsi de m’envisager en temps qu’homme autrement qu’au travers du modèle de la puissance masculine reproductive.

Pour autant je suis conscient que le choix de la vasectomie découle des circonstances de ma vie et qu’il n’est pas adapté à toutes les histoires. Mais quelque soit la méthode choisie, se poser la question de la contraception testiculaire est un levier de transformation des rapports de genre. Du partage de ces réflexions avec Alice ressort cette idée : prendre part à la contraception, ce n’est pas prendre la place. Et il nous semble que continuer à associer la vasectomie avec d’autres méthodes contraceptives ou protectrices de MST, permettrait d’envisager la contraception non plus comme ce fardeau porté implicitement par les femmes, mais comme un sujet que l’on met au milieu de la table de toutes relations sexuelles ou amoureuses.

Texte : Juan el sghir / Illustrations : SZ

1: Esclaves castrés pour s’assurer de leur docilité notamment dans la garde des harems byzantins.

2 : Le mythe de la virilité, Olivia Gazalé, Editions Pocket, 2020.

3: Institut National d’Etude Démographique (INED). Article de mars 2016.

4: Édito de « Type-Parole d’hommes » reproduit dans La contraception masculine, Jean-Claude Soufir et Roger Mieusset, Editions Springer, 2012.

5: La fiche info-patient de l’association d’urologie française. Des descriptions complètes de l’opération sont aussi disponibles dans la brochure « Vasectomie, une contraception définitive ».

6 : Production de spermatozoïdes

7 : Les couilles sur la table, n°20, « Contraception masculine : au tour des hommes ».

8 : Chiffres de ARDECOM. www.contraceptionmasculine.fr/vasectomie/

9 : Débats repris dans La contraception masculine, idem note 4.

10 : « Le nombre de vasectomie explose en France », L’union, 27/09/2019.

11 : Idem note 7