Numéro 2 régional

Une ville sans voiture, rêve écolo-productiviste ou cauchemar pour prolo ?

La ville respirable, sans bouchon, rendue aux piétons, aux vélos et autres déplacements « doux », ça donne envie, non ? Pourtant, encore une fois, les rêves des décideurs nous préparent des lendemains qui déchantent.

Je serais plutôt partisan du deux roues que de la bagnole. Pourtant, je me souviens de mois d’août où j’avais plaisir à circuler et à me garer facilement en plein centre. Et puis quand les mômes étaient petits, c’était bien pratique pour les trajets, les activités, les courses… Au début des années 2000, lors d’un fameux réveillon, les premiers horodateurs posés sur les boulevards ont pris cher à base de soudure à froid. L’implantation de ces machines à racketter était le début d’un revirement des pouvoirs publics face à la bagnole. Discrètement sont apparues des barrières plus ou moins visibles autorisant certain·es à circuler et d’autres non : stationnement payant généralisé, bornes rétractables commandées par la police municipale… Et ça ne va pas aller en s’arrangeant. Aujourd’hui Toulouse va rejoindre la cohorte des métropoles qui passent en Zone de Faible Émission (ZFE) : les voitures qui puent et les vieilles guimbardes sont priées d’aller à la casse. Et par la même occasion nous sommes sommés d’investir dans du neuf, de l’électrique de préférence. Jusqu’ici ça a l’air de passer crème… Pourtant derrière cette décision qui voudrait passer pour du bon sens écologique se cache, encore une fois, une belle saloperie excluante et sécuritaire.

La motorisation du prolo

Dans un premier temps, il faut rappeler que cette situation ne doit rien au hasard. C’est dans les années 60 que se consolide la civilisation automobile. Près de 60% de la population française est alors motorisée. Les villes sont éventrées dans l’objectif de permettre aux citadin·nes de se déplacer à 50 ou 60 km/h. Il faut pouvoir circuler et acheminer le prolo sur son lieu de travail de plus en plus éloigné de son lieu d’habitation. Pour ça, on va construire de la route, de l’autoroute, de la rocade et de la pénétrante. Du bitume en veux-tu en voilà. Il faudra aussi des parkings. À Toulouse ce sont les allées Jean Jaurès qui sont « débarrassées » de leur deux rangées de platanes et du terre-plein central pour laisser place à une magnifique deux fois trois voies. Une expressway comme disait le maire de l’époque, parce que la modernité parle anglais obviously. Le marché des Carmes, superbe hall en verre et fer forgé est lui aussi rasé pour ouvrir un parking, pareil à Victor Hugo. Et surtout, le vieux quartier St Georges, cœur populaire de la cité, est détruit pour laisser place à un quartier tout neuf construit sur un parking et un supermarché. Cette destruction qui s’étale de la fin des années 50 jusqu’aux années 80, c’est le point de départ d’une dynamique d’exclusion des pauvres du centre.

En 2017, pour 3,8 millions de déplacements enregistrés chaque jour sur l’agglomération, 60% se font en voiture. Aujourd’hui nous passerions en moyenne plus de trois ans de nos vies en bagnole. Voilà comment elle est devenue indispensable au prolo, et les Gilets jaunes l’ont rappelé bruyamment : prendre son auto n’est pas forcément une prise de position contre l’écologie. C’est la conséquence de l’organisation économique et spatiale du capitalisme. Dans la ville rose, si on habite un faubourg pas trop cher et qu’on travaille en intérim, en logistique par exemple, il faut pouvoir se rendre dans l’une ou l’autre de ces zones de la périphérie. Pareil si on travaille dans le bâtiment ou le ménage, il faut rejoindre des zones assez éloignées. Avoir un travail fixe, pas trop éreintant et situé à moins de 10 km pour pouvoir s’y rendre à vélo ou dans une zone bien desservie par les transports en commun est un luxe, qui s’ajoute à celui d’habiter dans un endroit lui aussi bien relié avec métro, bus ou tram.

La farce d’une écologie productiviste

Mais voilà, maintenant qu’ il est devenu évident que le pétrole et la bagnole sont un choix mortifère, la bourgeoisie tente de sauver son mode de vie sur le dos de ceux qui l’entretiennent. On arrive alors à cette riche idée de ZFE. C’est en Suède à la fin du siècle dernier que l’idée d’interdire certaines voitures pour limiter l’émission de polluants est née. Vingt ans plus tard, on compte 247 zones dans 13 pays européens. À Toulouse Métropole, le président de service n’est pas vraiment un écolo convaincu. C’est un arrêt du conseil d’État de juillet 2017 qui l’oblige à « un plan relatif à la qualité de l’air permettant de ramener les concentrations en dioxyde d’azote et en particules fines PM10 sous les valeurs limites fixées par l’article R. 221-1 du code de l’environnement dans le délai le plus court possible »[1]. Puisque l’obligation consiste à réduire les particules fines, il faut noter qu’interdire certains types de caisses jugées plus polluantes n’est qu’une option parmi d’autres possibles (en vrac : interdire les avions ou décréter la gratuité des transports en commun, pour ne citer que les solutions réformistes),. Pour F. Chollet (l’élu en charge du dossier) « c’est une incitation nationale à renouveler le parc roulant, pour aller vers des véhicules moins polluants ». On pourrait en rire si ce n’était pas si dramatique. Certes, la qualité de l’air pourrait s’améliorer du fait de la réduction de l’utilisation des moteurs thermiques mais les autos électriques sont-elles pour autant moins polluantes ? Leur fabrication est une industrie gourmande en matériaux fossiles (notamment le lithium pour les batteries). Selon l’ADEME (l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’énergie) la construction d’un véhicule électrique est deux fois plus polluante que celle d’un véhicule thermique. Sans compter les dégâts socio-environnementaux dus au développement des méga mines nécessaires à ces industries : disparition de biotopes, déplacements de populations, maladies chroniques, accaparement des ressources en eau [2]. Ensuite, quand la voiture roule, les pièces d’usure (pneus, roulements, etc.) vont produire des pollutions par micro particules. L’usure des routes, des pneus et des plaquettes de frein représente 41% des émissions des particules fines du secteur du transport routier en 2012, selon une étude de l’Observatoire de la qualité de l’air, Airparif. Sans compter l’accroissement nécessaire de la production d’électricité pour alimenter ces millions de batteries : plus de production nucléaire, des éoliennes industrielles par centaines, des champs de panneaux solaires en veux-tu en voilà… Bref, les ZFE apparaissent avec évidence comme des solutions pour la continuité du désastre.

Exclusion et répression à l’horizon

La bagnole ça pue, ça prend de la place et ça tue. Ok ! Pas question ici de dire le contraire et de défendre les boites de conserve à roulettes, mais pas question non plus de prendre des vessies pour des lanternes. Selon une étude de la Métropole toulousaine, « 171.000 personnes bénéficieront d’une amélioration de la qualité de l’air » pour 38 500 véhicules concernés dans un premier temps. On pourrait se dire chouette, bonne opération. Sauf que pour les pauvres, qui se trouvent pour une grande partie concentrés autour du périph, ce sera des galères de transports tout en bouffant de la pollution (par abrasion) comme avant. Sans compter l’allongement du temps de déplacement pour rejoindre les lieux de travail déqualifié situés en périphérie dans des zones pas ou mal desservies. La solution pour conserver sa vieille auto va être de vivre de plus en plus loin des centres, ça tombe bien les loyers y explosent… Enfin une politique cohérente, fondée sur un vrai consensus trans,partidaire, tout converge vers l’exclusion ! Et ce n’est pas tout, pour que la mesure soit efficace il faudra bien la faire respecter. Et en France on a pas de pétrole mais on a des flics. Des caméras vont scanner l’ensemble des plaques automobiles pour repérer les contrevenant·es. Et si, bien entendu pour l’instant la mesure est limitée, il ne faudra certainement pas longtemps pour que le dispositif serve à triquer d’autres comportements. Alors pour que l’air de la ville soit à nouveau respirable, il sera certainement plus efficace de multiplier les feux de palettes et de pneus pour bloquer l’économie plutôt que de compter sur les réglementations écologistes.

Texte : J.K / Photo : Lise

(1) www.conseil-etat.fr/ressources/decisions-contentieuses/dernieres-decisions-importantes/ce-12-juillet-2017-association-les-amis-de-la-terre-France

(2) Voir par exemple Mathieu Brier et Naïké Desquesnes, Mauvaises Mines, éd. Agone, 2018 ou la série de podcast « À l’assaut du poulpe de La cucaracha » sur https://hearthis.at/