Castres-Toulouse, l’autoroute de trop
Pour gagner du temps et davantage de sécurité, pourquoi aménager une nationale publique (la RN126), alors que pour un gain de dix minutes supplémentaires, il serait possible de concéder à Vinci la construction d’une autoroute payante qui ravagerait plus de 650 hectares pour un coût total de 500 millions d’euros ? Qui peut le mieux peut le plus ?
L’idée de ce tronçon d’autoroute A69 émerge fin 2006, quand Pierre Fabre va frapper à la porte de Perben, ministre des transports de l’époque. A la tête du deuxième groupe pharmaceutique français, le patron multi-millionnaire fera tout pour que ce projet soit retenu. Histoire que ses « collaborateurs », ses visiteurs et ses camions (60 par jour entre Castres et Toulouse) rejoignent l’agglomération et l’aéroport de Toulouse toujours plus vite. Car si le siège des laboratoires Fabre se trouve à Castres, trois sites de recherche et développement sont implantés dans la ville rose où travaillent environ 1000 personnes, et la moitié du chiffre d’affaires est réalisé à l’international.
Désenclaver, encore et encore
Pour sûr, on imagine le lobbying effectué dans le même sens par toute une partie de la classe politique et du patronat local, à l’instar du sénateur du Tarn Philippe Folliot qui déplore le fait « que Castres-Mazamet reste la seule agglomération de près de 100 000 habitants en France à n’être desservie ni par une autoroute ni par une gare TGV ni par un aéroport international » (1). Rendez-vous compte, « un tel enclavement » c’est le Moyen Age. On imagine bien à qui profiterait l’accélération des échanges et les possibilités de logistiques offertes par une autoroute à proximité. Pas aux habitant-es, bien entendu. Ceux-là, il va falloir les consulter, les convaincre, les enfumer et les berner, pour leur faire avaler la future « compétitivité du territoire » vantée par le groupe Fabre.
L’année 2008 est celle de l’apogée de la magouille décomplexée. Une pseudo-concertation publique est organisée en janvier, dont il ne subsiste aucune trace écrite ou audio ! Elle sera dénoncée par les opposant-es à l’autoroute comme non réglementaire, ayant eu lieu avant la phase obligatoire d’information du public. L’année suivante, sous la pression de plusieurs associations, l’État décide la mise en place d’un débat public, tout en écartant d’office les possibilités d’alternatives à l’autoroute…
Des crèches ou du béton ?
L’inflation a bon dos. D’un projet de 289 millions d’euros dont 100 millions de subventions publiques en 2008, on est passé à un total de 457 millions dont 227 millions d’argent de l’État et des collectivités, lors de l’enquête publique de 2016. Cette coulée de béton recouvrirait plus de trois cents hectares de terres agricoles fertiles et entraînerait la dégradation de plusieurs centaines d’hectares de zones naturelles, sur des sites Natura 2000 et plusieurs ZNIEFF (zones naturelles d’intérêt écologique faunistique et floristique), dont des zones humides. Ce type de projet ne faisant pas de sentiments, l’autoroute passerait à proximité d’un centre thérapeutique, d’une crèche, d’une école et d’un établissement et service d’aide par le travail (ESAT).
Mais la route est semée d’embûches pour Fabre, le ministre et Vinci. Le collectif « Pas d’autoroute Castres-Toulouse » (PACT) et le collectif des maires opposés au projet (15 communes sur les 25 traversées) ont co-financé une étude prouvant que l’aménagement de l’existant (la RN126) est possible et profitera à tous. Ils prennent pour exemple l’aménagement de la RD612 entre Castres et Albi, un axe routier emprunté par 12 000 voitures par jour, pour un coût total de 20 millions d’euros. Ils tentent de mobiliser en rappelant aussi que la construction de deux kilomètres d’autoroute équivaut à celle d’un collège, de 20 crèches, deux maisons de retraite ou la moitié d’un hôpital. D’après leurs calculs, un travailleur effectuant tous les jours ouvrés un aller-retour Castres-Toulouse devra se délester de 3800 euros par an. D’après eux, c’est d’autant plus aberrant que la fluidité d’un trafic autoroutier est garantie jusqu’au passage de 40 000 véhicules par jour et qu’à l’horizon 2024, à peine 10 000 voitures par jour sont envisagées sur l’axe Castres-Toulouse.
Les anti-carrière entrent dans la danse
Les avis de 2016 du Commissariat Général à l’Investissement (CGI) et de l’Autorité environnementale (AE) sont largement défavorables à l’autoroute concédéeµ. Et pourtant, en juillet 2018, le projet est déclaré d’utilité publique. Coup dur… Trois recours en annulation sont déposés, et finalement rejetés en mars 2020. Pourtant, quelque chose va remettre le feu aux poudres. En juillet de la même année, les habitant-es de trois villages (St-Germain-des-Prés, Villeneuve-lès-Lavaur et Montcabrier) situés sur le tracé du projet apprennent l’ouverture par la société NGE (2) de trois carrières temporaires pour une durée de sept ans, liées à la construction de l’autoroute. L’entreprise annonce l’extraction de 2,8 millions de m3, c’est-à-dire 1,5 million de m3 de plus que prévu lors de l’enquête publique, sur une surface supprimant 60 hectares agricoles. Ni l’AE, ni le CGI, ni la DREAL, ni les préfectures concernées n’ont été informés de l’existence de ces carrières, alors que NGE prospecte depuis 2016… En toute illégalité ?
L’extraction s’effectuerait à 500 mètres de l’école de Montcabrier. A l’issue de leur exploitation, ces carrières seraient comblées par des matériaux « non valorisables ». C’en est trop pour la population, qui s’organise via la création du collectif Stop Carrière, et rejoint la lutte contre le projet d’A69. Une manifestation est organisée le 17 avril 2021 au village de Teulat, situé sur le fuseau du projet. Avec des slogans comme « Péage : 10 minutes gagnées, 10 € perdus » ou « Autoroute = cimetière de biodiversité », ils étaient plus de 500 à former une chaîne humaine le long de la RN 126, en pleine période de confinement.
Ohé c’est pas fini ?!
Début mai, c’est José Bové qui débarque dans l’arène. En créant avec une poignée d’élu-es une association électorale dénommée « OÉ » (3) pour soutenir la candidature de Carole Delga à la région, l’ancien militant de gauche a lancé une idée formidable que personne n’aurait jamais eue : un référendum, pour ou contre l’autoroute. Delga a du mal le prendre, elle qui soutient la coulée de béton avec 60 millions de la région sur la table et qui serait très proche du patron du groupe Fabre (4). Mais pendant que Bové poursuit sa descente à droite, nombreux sont ceux et celles qui poursuivent la lutte sur le terrain, seule à même de mettre le rapport de force populaire en position de faire plier Fabre et ses petits copains compétitifs. Comme ce fut le cas du côté de St Étienne, où le projet d’A45 a a été rangé dans les cartons il y a un an. Espérons qu’ici aussi, on puisse bientôt proclamer comme eux : « Nous avons bataillé ensemble contre la bétonnisation du monde, contre l’implantation d’une infrastructure destructrice et inutile, et nous avons gagné ! ».
NDLR : L’ensemble des données sont issues des avis 2016 du CGI et de l’AE, ainsi que des études des collectifs RN 126, PACT et Stop Carrière.
1 : La Dépêche, 09/03/2021.
2 : Nouvelles Générations d’Entrepreneurs, trois milliards de chiffre d’affaires.
3 : Ils ne sont qu’une poignée, en service commandé pour siphonner les voix écolo et faire réélire Carole Delga, proche de Manuel Vals.
4 : Il y aurait « de véritables liens d’amitié » entre Yves Revol, le patron du groupe, et la présidente du conseil régional, selon Médiacités, qui affirme que « Carole Delga a été de toutes les sorties de la Fondation Pierre Fabre et a subventionné le nouveau siège tarnais à hauteur d’1 million d’euros ». Source : « Ces patrons qui murmurent à l’oreille de Carole Delga », 24/05/21.