Numéro 2 régional

Un petit anneau pour l’homme, un petit pas vers l’égalité ?

Un anneau en silicone, pour redéfinir le rôle des hommes et réfléchir enfin ensemble à une contraception choisie, réversible, sans chimie et fiable, c’est possible ? Enfonçons une porte verrouillée depuis trop longtemps : la contraception masculine.

« C’est quand même scandaleux qu’on ne nous ait jamais parlé de la contraception masculine ! », s’insurge Y. « Jusque tard dans ma vie d’homme, appartenant à une société qui se dit éclairée et prodiguant des cours d’éducation sexuelle et civique, je suis resté persuadé que seules les femmes pouvaient (et devaient) se contracepter. Alors oui, il y a la capote, dont on vante davantage les mérites de sa pellicule extra fine étanche aux maladies que son importance contraceptive. Encore faudrait-il prendre ça au sérieux : ça paraît courant « d’omettre » la capote chez les mecs… Il y a bien la vasectomie, à n’utiliser que lorsque tu es bien sûr de ne pas, ou plus, vouloir d’enfant. Voilà les deux seules méthodes que je connaissais jusqu’à mes 32 ans. Tout en étant témoin des galères de mes compagnes : les contraintes, les douleurs, les nausées, les cycles décalés, insondables, les hormones entravées, etc. Comment se sentir responsable quand tu penses ne rien pouvoir y faire, si ce n’est armer ton empathie ? »

Y, comme moi-même et de plus en plus d’hommes, utilisons l’anneau, une contraception dite thermique, par remontée testiculaire. C’est un contraceptif naturel donc non chimique, réversible, fiable à 99 %, qui permet aux personnes portant des testicules de ne plus produire de spermatozoïdes lors de l’éjaculation. Elle a été inventée dans les années 80, il y a 40 ans ! Autant dire qu’il est aberrant que personne, ou presque, n’en ait jamais entendu parler et qu’elle n’ait pas été démocratisée. En cause évidemment, une fâcheuse tendance des hommes à vouloir garder le contrôle sur le corps des femmes et le poids d’un patriarcat encore omniprésent à tous les étages de la société. La contraception des hommes est donc une problématique profondément politique. Elle devrait s’inscrire dans une démarche plus globale de déconstruction des rapports de couples, de redéfinition des rôles au sein des relations intimes, de partage de la charge mentale et de lutte contre le patriarcat et le sexisme. Il y aurait donc beaucoup de choses à dire, trop, pour traiter cette question dans son intégralité et de façon inclusive. Mais c’est au travers de mon expérience d’homme blanc cissexuel (1) que le sujet sera abordé ici, et, malheureusement exclusivement dans le cadre de relations hétérosexuelles.

Revenons à nos têtards. Pour atteindre l’ovule, les spermatozoïdes doivent être très nombreux et très mobiles. C’est sur ces deux paramètres que la méthode va influer. Remonter les testicules dans une poche interne située au niveau du pubis, fait augmenter leur température ainsi ils ne produisent quasiment plus de spermatozoïdes et les derniers survivants sont peu mobiles. La science considère un sujet comme cliniquement stérile en dessous d’un million de petits nageurs par millilitre de sperme, c’est le seuil contraceptif. En général, ce résultat est obtenu en trois mois, ce qui correspond à la durée de la spermatogenèse. Autrement dit, le temps qu’il faut aux attributs masculins pour fabriquer un spermatozoïde. Au quotidien, c’est simple et sans douleur, on va porter un dispositif qui contraint les kiwis à remonter et les maintient dans la poche dite inguinale 15 heures sur 24. Et ce pendant tout le temps que l’on souhaite être stérile.

Comme le souligne C., il faut quand même un peu de rigueur : « Je pense que la seule chose à laquelle il faut faire un peu attention, c’est au suivi de son spermogramme. C’est ça qui oblige à un peu d’anticipation parce qu’il faut avoir une ordonnance et obtenir un rendez-vous, ce qui peut prendre du temps, car il n’y a pas beaucoup de laboratoires qui font ça. C’est peut-être le seul point qui astreint à plus d’organisation, au même titre que toute contraception en demande un minimum. Pour ma part, je vais à la Clinique de la Croix du Sud à Toulouse, l’accueil a toujours été plutôt sympa, en tout cas, les personnes n’ont jamais été intrusives. Ça me fait d’ailleurs penser que c’est l’heure où je dois bientôt aller me faire contrôler ! » Si les méthodes de contraception thermique, lorsqu’elles sont correctement utilisées, donnent de très bons résultats, il est tout de même primordial de vérifier tous les trois mois que l’on est bien en dessous du seuil contraceptif.

Physiquement parlant, il s’agit de faire passer la peau des bourses ainsi que le pénis au travers d’un slip découpé conçu spécialement à cet effet ou d’un anneau en silicone. Ce sont les deux principaux dispositifs : le « remonte-couilles toulousain » et « l’andro-switch » . Le premier a été inventé par le Dr Mieusset, andrologue au CHU de Toulouse et créateur de cette méthode dans les années 80. Il propose un suivi de ses patients et les données scientifiques sont utilisées pour prendre du recul sur la méthode et l’affiner. Le tout est pris en charge à 100 % par la sécurité sociale, les slips sont fabriqués sur mesure et vous êtes contrôlé tous les trois mois. Cette méthode faisant de plus en plus d’adeptes, la liste d’attente est longue et les délais sont importants. Pas mal donc, pour ceux qui habitent à Toulouse, qui désirent être encadrés par un professionnel dans cette démarche… et qui ne sont pas pressé.e.s !

En comparaison, l’andro-switch est nouveau sur le marché puisqu’il voit le jour en 2019. Il est produit en France par une entreprise familiale à l’initiative d’un infirmier. C’est un anneau en silicone biocompatible, artisanal, fonctionnant sur le même principe. Vous pouvez vous le procurer sur leur site (2) moyennant une quarantaine d’euros, ce dispositif n’étant malheureusement pas encore remboursé.

Y. m’a raconté un peu son histoire : « Je découvre, par le biais de réseaux militants – quand pour moi ce serait clairement aux institutions de s’en occuper – que je peux y faire quelque chose ! Je peux être responsable de ma propre contraception, je peux m’interroger et ouvrir un nouveau dialogue avec ma partenaire. (…) Je finis par prendre rendez-vous avec le docteur Mieusset, andrologue – tiens, ce mot est inconnu de mon correcteur d’orthographe – concepteur de la méthode thermique, et je commence à porter le slip. Il y a forcément des désagréments à porter un deuxième sous-vêtement remonte-boules sous le premier, mais l’adaptation se passe en douceur, malgré ma peau sujette à l’eczéma. Très vite, j’entends aussi parler de l’Andro-switch (…). Ça fait 15 mois que je le porte quotidiennement. C’est pas toujours facile de tenir les 15 h par jour. Parfois, mon temps d’éveil est plus court que ça. Parfois au bout de 12 ou 13 heures je ressens une gêne. Parfois ma peau se rebelle, s’irrite et l’anneau devient douloureux, mais c’est vraiment lors de rares crises d’eczéma. J’enlève systématiquement l’anneau lors des rapports sexuels et lorsque je pratique le yoga, sinon, il m’accompagne tout le temps. Il se fait globalement discret, sauf quand, en public, il faut réajuster sa position, là ça devient parfois acrobatique mais avec un peu de recul la scène est souvent rigolote. »

Je voudrais maintenant revenir sur le pourquoi. Pourquoi je pense qu’il est important aujourd’hui que nous, les hommes cissexuels hétéros, nous emparions de cette problématique. A l’heure où nous parlons, en France et plus généralement dans le monde, la contraception est souvent une problématique identifiée comme féminine. Elle est certes un outil pour éviter les grossesses non désirées, qui impactent uniquement le corps des personnes susceptibles de tomber enceintes et il est donc absolument nécessaire que ces dernières puissent avoir un contrôle total dessus. Mais il existe toujours une injonction patriarcale à prendre la pilule de façon quasi automatique, et ce dès le début de la sexualité. Ce qui est une aberration en soi, mais surtout un contrôle des hommes sur le corps des femmes. L’idée ici n’est pas de faire le procès de cette méthode mais plutôt de dénoncer le fait qu’elle soit devenue une norme, une obligation.

La pilule, comme n’importe quelle autre méthode peut être adaptée, il serait juste opportun que le choix puisse se faire de façon éclairée, en connaissant l’éventail des possibilités existantes. Que la pilule tombe de son piédestal pour trouver enfin la place qui est la sienne : un choix parmi d’autres. En regardant la liste des effets secondaires répertoriés, tels que les dérèglements corporels et psychologiques, la baisse de libido, la prise de poids, l’acné, la stérilité, l’endométriose et j’en passe, il semble plus qu’urgent de mettre en valeur les alternatives…

Aujourd’hui j’ai 36 ans, il m’en aura fallu presque autant pour intégrer et comprendre que dans ma sexualité et mes relations intimes, je pouvais moi aussi être acteur de la contraception. Mieux : de ma contraception. Parce que j’en ai marre que ce soit des personnes à qui je tiens qui soient obligées d’enchaîner les rendez-vous médicaux, d’avaler des hormones, etc.

Une amie, Z., se confie  : « Me rendre compte que la moitié de ma vie a été occupée à dresser mes hormones pour qu’elles ne débordent pas trop. À tâtonner pour trouver la contraception qu’il me fallait puis changer et changer encore parce qu’on n’arrête pas de changer et changer encore, et qu’il faut sans cesse réadapter sa contraception à la personne qu’on devient. À stresser de temps en temps parce qu’il y avait quand même un risque d’être enceinte. À faire des tests de grossesse, prendre des pilules du lendemain, commencer une pilule puis arrêter et en commencer une autre. Refaire un test, restresser, commencer autre chose. Louper la fin de la période de validité de mon stérilet. Refaire un test. Ne plus avoir de règles, ne plus savoir où j’en suis, ne plus savoir si mon euphorie ou mon sentiment du fond du seau a quelque chose à voir avec mon cycle… Mon quoi ? Je ne sais plus comment il suit son cours sans corset (…) Je n’ai pas mes règles, beaucoup m’envieraient, mais j’aimerais savoir comment ça tourne là-dedans parce que ça tourne, et ce cycle d’ovulation a bien des interactions permanentes avec comment je me sens, comment est ma peau, ma digestion, ma douleur, ma fatigue, mon désir »

En échangeant avec mes proches je me suis rendu compte que ce constat est partagé par beaucoup de femmes. C’est au travers de ces discussions que j’ai entendu parler de l’anneau. Si déjà je peux être responsable de mon corps, ça laisserait plus de temps aux personnes qui partagent ma vie intime pour s’occuper de problèmes et d’injonctions inhérentes au sexisme et au patriarcat. En plus, être en relation avec quelqu’un ou pas, finalement ce n’est pas tant la question. Je le fais aussi et surtout pour moi, d’un point de vue personnel, politique et militant. C’est une manière d’être en accord avec mes convictions, ce qui m’aide à avancer et à me sentir plus légitime par rapport à des causes que je soutiens.

C. porte aussi l’anneau : « Aujourd’hui, je trouve ça vraiment normal et même plus discutable d’investir le corps masculin dans le procédé de la contraception, de ne pas se reposer sur l’autre et de partager les charges qu’elles soient physiques, mentales et/ou émotionnelles. Ce que je trouve peut-être le plus chouette dans tout cela, c’est qu’en plus d’avoir la maîtrise de ma propre contraception, être contracepté amène énormément de discussions, avec d’autres porteurs [d’anneau], des personnes intéressées ou juste des personnes curieuses. Ces discussions sont souvent des points de départ pour aller plus loin et parler de notre rapport à l’intime, de notre sexualité, de notre rapport à l’amour, aux sentiments, aux relations, etc. Je trouve que ça fait énormément de bien et que ça permet de créer des petites bulles de confiance et d’échanges qui sont hyper appréciables »

Remettre en question ce que veut dire être un homme, ces injonctions à la masculinité, à la virilité, c’est ça aussi qui me porte. C’est ce que je veux faire bouger pour en finir avec ces notions dépassées, être une personne, point. Arrêter d’avoir sans cesse à prouver ma condition. Soutenir mes potes féministes en travaillant d’abord sur moi-même. Car en comparaison de ce qu’elles vivent, porter un anneau ce n’est vraiment pas grand-chose.

Il y a peut-être un problème avec l’anneau, c’est le porteur : il va falloir lui faire confiance. C. me raconte ainsi que ce n’est pas gagné : « j’ai pu entendre certaines femmes de mon entourage me dire qu’elles auraient du mal à passer à la contraception masculine, qu’elles ne seraient pas rassurées, car au bout du bout, si le type déconne, c’est leur corps qui reste en jeu. Et je comprends cette crainte. Après une si longue absence, voire un déni total, de considération, c’est délicat d’accorder sa confiance, d’être sûre que l’autre sera suffisamment responsable pour dire s’il a merdé afin d’anticiper et de se protéger autrement. C’est un travail que nous devons faire pour réussir à regagner du crédit par nos actes et nos comportements ».

Z va dans le même sens, en décidant de garder son propre moyen de contraception, « parce que la période d’essai est assez longue et instable, les délais entre 2 rendez-vous sont infinis et puis finalement nos vies sexuelles ne regardent que nous, individuellement, et moi je me sens mieux comme ça, plus libre. Tout en se laissant libre de se reposer la question un peu plus tard, si le besoin d’arrêter toute contraception de mon côté était plus urgent. De toute façon, c’était pas possible pour moi de se lancer en enlevant le filet comme ça, mine de rien. Même en ayant entièrement confiance. No way. »

Dans un contexte social le féminisme et la lutte contre le patriarcat se font de plus en plus visibles et se posent, enfin, comme de vraies questions de société, il est crucial que nous, les hommes, nous impliquions et nous responsabilisions à notre niveau autour de la question contraceptive. Nous engouffrant ainsi sur le chemin de la déconstruction des rapports de genre sur lequel nous avons encore tant à parcourir.

Alors ? Prêt à rejoindre la communauté de l’anneau ?

Texte : Bob leopard / Illustrations : SZ

1 : Cissexuel : personne qui se reconnaît dans le genre qui lui a été assigné à la naissance.

2 : www.thoreme.com