Toulouse : Insulter l’avenir, bétonner le présent
« Les villes doivent s’adapter au réchauffement global » : une antienne devenue classique du discours politique. Les élu·es nous promettent du vert, des arbres et du zéro carbone. Pourtant, la forme des villes contemporaines est la preuve flagrante de l’incompétence des aménageurs qui continuent aujourd’hui à suivre les mêmes recettes. Du quartier Paléficat à celui des Pradettes, des collectifs cherchent à protéger ce qui peut l’être et tentent d’inventer d’autres futurs.
Qui se souvient qu’au mitan du siècle dernier Toulouse était la première commune agricole de la Haute-Garonne ? Au début des années 1960, on trouve sur les marchés toulousains des légumes de Lalande et Ginestous, des fruits de Saint-Simon, du lait de Saint-Cyprien. L’école vétérinaire, qui soignait avant tout le bétail, se trouve jusqu’en 1964 à deux pas de la gare à l’emplacement de la médiathèque. Et au début des années 1970, il reste près de 2000 fermes dans l’agglomération [1]. Il aura fallu cinquante ans à peine pour que les constructions remplacent les champs et que le souvenir même de cette réalité s’estompe jusqu’à paraître irréel. Il subsiste malgré tout de beaux restes qui pourraient servir à imaginer une ville plus vivable.
Malheureusement, si la métropole investit à grand renfort de publicité les espaces les plus sauvages pour en faire des lieux de loisirs et de promenades [2], à contrario les espaces bocagers sont promis à la densification. Ainsi, au sud-est de Toulouse, le « faubourg Malepère » a déjà succombé. Ce morceau de campagne enclavé dans la ville était encore une friche en 2019, ce sont maintenant 6700 logements et 90 000 m2 d’activités qui s’étalent sur 113 hectares. Le quartier est présenté par la métropole comme un modèle de « ville durable », reflet de la prise en compte « des enjeux environnementaux, éthiques et sociétaux » [3]. Est-ce vraiment une avancée quant aux formes précédentes de planification ? Pas vraiment.
Le quartier du Mirail, imaginé au début des années 1960, était lui aussi une forme urbaine qui devait favoriser la vie quotidienne et qui préservait en son cœur des espaces verts hérités des zones rurales artificialisées : le parc de la Reynerie, avec son lac et son château. Plus récemment, le quartier Borderouge au nord de Toulouse est construit au début des années 2000 sur 140 hectares de terre agricole, avec en son centre le parc de la Maourine. Alors que le lotissement « le village » promettait « le charme retrouvé des maisons de village lauragaises » à 15 minutes de la gare Matabiau. Ce sont bien toujours les mêmes recettes dans des emballages différents.
Bien loin du greenwashing, il existe encore des activités agricoles sur le territoire de la commune de Toulouse…
La campagne à la ville
Dans le quartier des Izards à huit minutes à vélo du parc de la Maourine, la ferme de Bordebio pratique encore le maraîchage en pleine ville. Montrant qu’il n’était peut-être pas la peine de remiser au musée une agriculture enclavée dans la ville. Mieux, la mairie de Toulouse possède une régie agricole qui exploite 200 hectares de grandes cultures (blé, orge, soja, luzerne) situés à Ginestous, Marcaissonne, Gabardie et Pech David, qui produit chaque année environ 400 tonnes de céréales. Sur le Domaine de Candie au sud de la ville, 14,5 hectares de vignes produisent le jus de raisin et le vin de Toulouse, qui sont principalement utilisés par les services de la Mairie. Et la métropole recense des « espaces agropastoraux » (sic) [4] à Paléficat, Gabardie et Marcaissonne, caractérisés par la présence de haies particulièrement importante pour de nombreuses espèces de faunes communes (mésanges, pics, bruants zizis, tourterelles des bois, faucons crécerelles) et remarquables (grand capricorne, lucane cerf-volant, chevêche d’Athéna). Tout cela est menacé par la densification galopante menée par les pouvoir publics.
Le « développement » urbain n’est pas un phénomène naturel. C’est un projet économique, politique et industriel. Il y a 50 ans il fallait construire une « capitale régionale » pour faire face aux « défis du futur », se « hisser au niveau » des grandes villes européennes, être « compétitif ». Pour cela on a allégrement fait tourner la bétonnière et déroulé des kilomètres de bitume. La motorisation massive des déplacements a dessiné un paysage et un mode de vie. Les constructions se sont étalées à partir des noyaux villageois existants en périphérie et le long des routes épargnant certains espaces qui se sont ainsi trouvés cernés. Aujourd’hui l’avenir radieux tourne au cauchemar et la catastrophe climatique annoncée de longue date ne peut plus être ignorée. Les aménageurs ont-ils changé leur fusil d’épaule pour autant ? Toujours pas.
Certes, l’urgence de la situation a finalement conduit à une législation qui tend vers un ralentissement drastique de l’imperméabilisation des sols. Les aménageurs locaux se sont tant fourvoyés sur ces questions que le plan encadrant les constructions dans l’agglomération (le PLUi-H) a été retoqué par la justice administrative en 2021 [5]. Le tribunal a considéré qu’il y avait à la fois une sous-évaluation de la surface urbanisée antérieure et une surévaluation de la nécessité de construire. C’est-à-dire que le PLU laissait les coudées franches aux promoteurs pour dévorer les espaces naturels, agricoles et forestiers. Sans surprise, la construction d’un espace vivable et respirable n’est pas dans leurs priorités. Ce qui se constate amèrement sur le terrain
Au nord de Toulouse, aux confins du territoire communal, dans un méandre de l’Hers-Mort [6] enclavé entre les communes de L’Union et Launaguet, et situé derrière la rocade, se trouve le quartier Paleficat. Il semble avoir miraculeusement échappé à l’urbanisation. En venant de Borderouge par la rue Chopin, la différence est saisissante. Passé la tranchée du périphérique, les immeubles font place à des maisons le long d’une route arborée et des champs ne tardent pas à être visibles. À l’est, on peut apercevoir la couverture arborée de la rivière. Un peu plus loin, en plein champ, subsiste un monument à l’obstination municipale : près d’un kilomètre de quatre voies et une voie de bus centrale. C’est le vestige du « boulevard urbain nord » (BUN) qui devait fluidifier la circulation avec les communes avoisinantes, dans le vain espoir que de nouvelles routes permettent de résorber les éternels bouchons toulousains [7]. Personne n’en voulait et il a été stoppé aux termes d’une longue bataille juridique, mais la zone reste quant à elle promise à l’urbanisation. Une volonté qui ne date pas d’hier.
En 2008, une déclaration d’utilité publique est prise par la préfecture de la Haute-Garonne à la demande de la mairie de Toulouse afin de constituer une réserve foncière. En juillet 2009, un projet urbain est même présenté à l’association de quartier « vivre à Paleficat ». Pourtant, rien ne se passe avant 2016 et la réalisation du tronçon du BUN. Une réalisation en pure perte comme on l’a vu. C’est en 2019 qu’une phase de concertation est à nouveau ouverte. Ce sont entre 15 000 et 18 000 habitant·es [8] que la métropole veut installer sur les 120 hectares de prairie, forêt et terre cultivée : soit la population de Gaillac sur une surface 42 fois plus petite. Annette Laigneau, vice-présidente de la métropole en charge de l’urbanisme, va avoir du mal à tenir la promesse de « préserver l’environnement agricole de cette zone pour maintenir l’identité de ce quartier » et de permettre que « les nouveaux habitants du quartier [vivent] au plus proche de la nature, dans des logements construits durablement. » [9] On peine à imaginer comment l’architecte veut faire « la symbiose de la ville et des paysages naturels et agricoles » [10].
Le projet bousculé par le confinement prend du retard et des concertations sont malgré tout organisées en ligne. Les riverain·nes s’inquiètent et encore une fois la vice-présidente à l’urbanisme promet « des constructions dans la nature, pas de la nature dans des constructions » et se veut rassurante « Il ne faut pas imaginer un Borderouge bis. » [11] D’ailleurs pour l’élue, les habitant·es du quartier Paleficat sont des privilégié·es qui vivent « à la campagne avec la ville à deux pas » [12]. Comme à l’accoutumé, un parc de 13 hectares le long de l’Hers-Mort doit faire office de « poumon vert » de ce futur éco-quartier d’ores et déjà baptisé « Bocage habité ». Et Annette Laigneau d’enfoncer le clou : « Paléficat, c’est un site naturel et en même temps, à l’échelle de la métropole toulousaine, l’on se trouve au centre-ville de celle-ci. » [13]. En changeant d’échelle elle appuie l’idée qu’il s’agit bien de reconstruire la ville sur la ville, tour de passe-passe sémantique qui escamote les espoirs des habitant·es de protéger leur cadre de vie. Pourtant, elles et ils ne baissent pas les bras.
Construire un futur désirable
Suite à plusieurs réunions de concertation, un « groupe citoyen » adresse en mai 2021 une lettre ouverte aux aménageurs concernant le projet « bocage habité ». Cette lettre de 14 pages soulève point par point les incohérences et les flous. Ce groupe associe des particuliers, des associations comme Deux pieds deux roues, Handi social, Bien vivre à Paléficat, et des associations du quartier voisin de Grand Selve. L’interpellation entre dans le détail du projet, demandant des informations spécifiques sur des points précis : les modes de calcul de la densité sont passés au crible, ainsi que la relation entre écologie et urbanité. La « réponse », elle, est simple et concise : « Toulouse est une grande métropole qui doit s’étendre » et le projet suit son cours. Circulez y’a rien à voir !
Le 18 mars 2023, le collectif « le Bocage autrement », regroupant des habitant·es de Paléficat, Grand Selve ou Rive de l’Hers et des associations, décide de planter 200 arbres pour préfigurer d’un avenir pour la zone qui ne soit pas celui promis par la métropole. Une soixantaine de personnes se retrouvent, sous un ciel gris et au son de l’accordéon. C’est l’occasion d’arpenter une parcelle en friche et d’en faire un espace commun porteur d’une autre vision de l’urbain. Le projet est de faire de cette parcelle un terrain d’agroécologie mêlant plantation d’arbres, dont certains sont fruitiers, et cultures maraîchères. Des essences méditerranéennes sont aussi plantées pour tester leur acclimatation. Un mois plus tard le pouvoir municipal n’a pas tremblé pour arracher les arbres de la contestation. Hors de question que leur logique de densification et leur pouvoir d’aménageur soit remis en cause. C’est aussi ce qui se passe à l’autre bout de la ville où l’association Nature Pradettes tente de faire accepter un projet de ferme urbaine et de jardin pédagogique sur les 10 000 mètres carrés d’une friche au cœur de ce quartier du grand Mirail. Là encore la mairie s’enferre et n’écoute rien prétextant un manque à gagner de 3,5 millions d’euros [14] qui grèverait à terme les équipements du quartier. Les promoteurs ont, comme toujours, la priorité.
Partout c’est la même logique autoritaire, les décisions sont bétonnées et ne répondent qu’à un seul objectif : favoriser la construction à n’importe quel prix. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, le pseudo « budget participatif » et les « végétalisations » symboliques ne vont rien solutionner, bien au contraire. Alors que ce pays compte plus de trois millions de logements vacants le problème n’est pas la construction, mais l’organisation de l’espace par le mode production capitaliste. Si Toulouse Métropole se targue, à grand renfort de communication, d’être une métropole verte, championne de l’écologie, les habitant·es de Paleficat et des Pradettes rappellent que c’est loin d’être le cas. Il n’a jamais été aussi urgent d’arrêter les machines à construire pour donner de l’air et de l’espace à une autre façon de faire la ville.
1 : Toulouse Midi-Pyrénées – La transition, Beringuier c., Boudou a., Jalabert g., Stock, 1972. Je n’ai pas réussi à localiser la ferme laitière de st Cyprien, toute information à ce sujet est bienvenue. Écrire au journal.
2 : Voir Empaillé n°9, « La métropole à la conquête du fleuve », mars 2023.
3 : Plaquette de présentation du faubourg Malepère disponible sur le site d’Oppidea : la société d’économie mixte (SEM) de Toulouse Métropole.
4 : C’est la qualification que l’on trouve dans le plan climat de Toulouse Métropole adopté en 2019. Elle est tout de même assez contestable et relève en partie d’une autopromotion de l’administration qui cherche à surclasser des espaces laissés en friche. Cette zone n’en reste pas moins précieuse.
5 : Plan Local d’Urbanisme intercommunal – Habitat (PLUi-H). Le jugement a été rendu en mars 2021, confirmé en appel, il oblige l’administration à revoir entièrement sa copie.
6 : Affluent de la Garonne qui prend source dans l’Aude. Il a un rôle important dans l’irrigation de la plaine maraîchère de Toulouse.
7 : Cela ne marche pas et c’est prouvé depuis des années, mais les édiles s’obstinent.
8 : Tactique habituelle dans ce genre de projet urbain, faire varier les chiffres. On trouve aussi des endroits où le projet est prévu sur 200 hectares et les constructions sur 96 ha. Ce flou permet d’alimenter la confusion et d’affaiblir les argumentations des opposant·es.
9 : Communiqué de presse d’Oppidea 25/11/2021.
10 : Idem.
11 : « Les nouvelles banderoles de Paleficat », La Dépêche, 05/04/2021.
12 : « A Toulouse, l’avenir du quartier Paléficat suspendu entre béton et nature », Le journal toulousain, 03/05/2021.
13 : « Toulouse. Le seul quartier « rural » de la ville va accueillir 15 000 habitants : voici le projet », Actu Toulouse, 15/05/2021.
14 : Pour comparaison la métropole a dépensé 5,4 millions pour le projet Hypeloop qui s’est révélé n’être qu’une lubie de milliardaire. Voir « Hyperloop la fin de l’entourloupe, le train subsonique développé à Toulouse ne sortira jamais des hangars » France 3, 26/06/2023