Numéro 10 Régional

Sous les gravières, la pénurie

Les bénéfices de l’extractivisme ruisselle vers les géants du BTP qui prennent nos territoires pour des dépotoirs, et s’arrogent le droit de disposer de nos réserves en eau à leur guise. Face aux gravières en Ariège, comme dans d’autres luttes de la région, « l’eau-rage gronde ».

Du haut de leur imposante stature, les Pyrénées surveillent d’un œil réprobateur l’arrivée de nouvelles venues. Depuis une quinzaine d’années, des milliers de tonnes de gravats sont entreposées à l’orée de Saverdun, aux portes de l’Ariège, esquissant des montagnes dont les lignes mouvantes redessinent le paysage au gré des commandes du secteur du BTP. Ces monticules immenses constituent le produit des gravières, grandes carrières à ciel ouvert, creusées au-dessus et à l’intérieur des nappes phréatiques, qui sont naturellement remplies de sables et de graviers produits par des millions d’années d’érosion souterraine.

Des projets lucratifs

Ces alluvions sont extraites et récupérées par les quatre firmes installées sur la commune afin d’alimenter la filière du matériau de construction sur l’ensemble de la région. Lafarge, Denjan, CMGO (groupe Colas) et Mallet se partagent ainsi le lucratif marché du granulat ariégeois. Installés à un endroit où la nappe est large et profonde, ils multiplient depuis 2009 les projets de forage et étendent progressivement leur empire industriel. La surface exploitée représente aujourd’hui 900 hectares répartis autour de 18 cratères, pour la plupart remplis par l’eau des nappes superficielles.

L’exploitation des granulats contenus dans les nappes ne date pourtant pas d’hier. C’est au sortir de la seconde guerre mondiale, pendant la période de croissance économique stimulée par la reconstruction, que deux entreprises familiales ont débuté l’extraction. Dopée par les travaux d’aménagements des trente « glorieuses » corrélative au développement du tourisme de masse, l’expansion de la filière béton a permis aux maisons Cazals et Siadoux de faire fortune. Jusqu’à la fin des années 2000, elles produisaient un million de tonnes de granulat par an.

Mais l’odeur de l’argent a fini par se répandre et attirer les requins. Les machines de chantier se sont multipliées et il ne reste aujourd’hui plus grand chose des deux entreprises familiales dans le paysage industriel de la région. Les magnats du BTP ont racheté les deux maisons et ont fait pression pendant des années avant que la commune de Saverdun, attirée par les retombées économiques mirobolantes, cède des hectares par centaines. En 2009, les quatre géants se partageaient ainsi 560 nouveaux hectares dans les contreforts pyrénéens, si bien qu’aujourd’hui la production annuelle y avoisine les 14 millions de tonnes.

Cycle de la rentabilité et cycle de l’eau

Les concessionnaires ne reculent devant rien et ont trouvé d’autres moyens d’accroître la rentabilité de leurs exploitations. Ces immenses trous, qui soumettent l’eau souterraine à l’évaporation de surface, occasionnent des pertes considérables. Pour y pallier, rien de tel que de les reboucher avec… les déchets « inertes » de la filière ! Empochant au passage une commission, les carriers proposent donc ces services aux entreprises du bâtiment qui déversent les débris de chantiers de toute la région par un convoi ininterrompu de camions. Recouvertes d’une fine couche de terre, ces vastes décharges sont ensuite remises en culture. Se dessine ainsi un cycle de destruction des sols en profondeur, dont la rentabilité s’accroît à chaque étape, et qui laisse peu de traces visibles une fois achevé.

Nappes en danger

En cet été qui s’annonce particulièrement sec, et à l’heure où le niveau de remplissage des nappes phréatiques se révèle bien inférieur aux normales pour 66% d’entre elles (1), creuser abondamment dans les nappes qui sont constituées majoritairement de sédiments a pour première conséquence évidente de faire baisser leur niveau, parfois de manière drastique. Certain·es paysans·nes des alentours nous ont ainsi confirmé l’assèchement de leurs puits.

D’autre part, les déchets qui sont substitués aux sédiments naturels constituent une masse beaucoup plus étanche que le granulat naturel, et empêchent l’infiltration qui devrait recharger la nappe, autant que son écoulement. Le Bureau de Recherche Géologique et Minière atteste ainsi que ces dépôts de déchets industriels risquent de colmater les nappes, et oblige les carriers à aménager des couloirs qu’ils doivent laisser intacts afin de laisser l’eau s’écouler. De quoi susciter une vive inquiétude, car nombre de ces entreprises prennent certaines libertés quant au respect des textes réglementaires. C’est par exemple le cas du groupe Denjean qui a obtenu en 2009 un permis d’exploitation en déclarant un point de forage à un kilomètre du lit de l’Ariège… et dont la carrière s’étale aujourd’hui jusqu’à ses rives.

Ces largesses d’interprétation n’augurent donc rien de bon pour l’avenir de ces eaux souterraines qui alimentent en grande partie la consommation en eau potable des alentours, mais également de l’agglomération toulousaine. Ainsi l’usine de Pinsaguel puise de l’eau directement dans l’Ariège pour alimenter neuf communes de l’agglomération.

La lutte pour l’eau s’organise

Face à ces projets qui menacent les nappes du département, plusieurs associations mènent aujourd’hui bataille contre la poursuite de l’exploitation des gravières. Il s’agit de l’APROVA (association pour la protection de la Vallée de l’Ariège et de sa nappe phréatique) ou du Chabot, qui défend plus généralement les rivières du département. Elles cherchent à alerter la population sur les méfaits de cette industrie, et organisent depuis plusieurs années des manifestations aux abords des principales carrières.

Le 22 mars, le collectif stop gravières est né de l’alliance de ces différentes associations, et entend poursuivre la lutte. Le collectif Extinction Rébellion (XR) est également de la partie et a organisé une grande manifestation le 1er juillet, intitulée « contre les gravières et leur monde », qui a réuni plus de xxxxx personnes.

Cette lutte contre les gravières fait écho à toutes celles qui émergent en Occitanie. Que l’on songe aux tentatives de privatisation du commun à des fin touristiques, autour des lacs du Tolerme (Lot) ou de Montbel (Ariège), ou aux industries polluantes, comme l’épandage du digestat issu de la méthanisation ou les pollutions héritées d’anciennes mines dans la vallée de l’Orbiel (Aude), l’eau devient une ressource menacée. Les conflits d’usage se multiplient au rythme du réchauffement climatique, au point que certain·es exploitant·es agricoles tentent de s’accaparer la ressource par la construction d’infrastructures comme le barrage de Caussade (Lot-et-Garonne), construit en toute illégalité pour une poignée d’irrigants.

Mais l’heure de l’impunité est révolue. Des luttes et des collectifs essaiment de partout pour s’opposer à ces logiques d’un autre siècle et à ces projets prédateurs du vivant. Des associations locales jusqu’à des mouvements comme XR ou les Soulèvements de la Terre, la mobilisation collective gagne chaque jour de l’ampleur et souffle un vent d’indignation, que les intimidations du gouvernement ne calmeront pas.

Texte : Maxime Morinière / Illustration : Jeanne

Plus d’infos : L’Aprova sur www.protection-nappe-ariege.org , Extinction Rebellion Foix sur Facebook ou foix@extinctionrebellion.fr