Numéro 10 Régional

Les rentiers à la campagne

En parallèle d’un « exode urbain » fantasmé lors du Covid, la bourgeoisie métropolitaine a investi dans les campagnes, alimentant encore la surchauffe des prix du foncier et des loyers.


« Il n’y a plus rien à vendre. » Entendue de la bouche de maires ruraux ou d’agents immobiliers au sortir de l’été 2020, cette phrase est reprise comme une antienne en guise de preuve manifeste de l’« exode urbain ». L’expérience du confinement est venue brutalement l’accélérer, avec une mise en récit littéraire et journalistique narrant la découverte émerveillée de la campagne paisible, à travers notamment le prisme déformant du « télétravailleur des champs » et de la figure du « gentleman farmer », ayant acquis plusieurs domaines dans lesquels il vit en multi-résidence. Mais la réalité de l’exode urbain n’est finalement guère avérée deux ans plus tard : non seulement il n’y a pas de départs massifs, mais les espaces urbains restent aussi des territoires d’arrivée. En revanche, les professionnels de l’immobilier reconnaissent une frénésie transactionnelle au sortir du premier confinement, notamment dans des espaces relativement désinvestis jusqu’alors. Ce sont en effet les flux financiers, bien davantage que les flux humains, qui ont explosé depuis le premier confinement, atteignant 1 130 000 transactions à la fin mai 2021, un niveau record depuis 2000.

Multirésidence et crise du logement

Ce qui se produit avant tout depuis deux ans est un accroissement considérable des transactions (et des prix) dans les couronnes pavillonnaires aérées des métropoles, mais aussi dans les villes satellites, parfois situées à plusieurs dizaines de kilomètres des centres. Quelques dizaines de kilomètres plus loin, dans certains espaces ruraux proches des métropoles, des campagnes attrayantes et bien desservies ont vu des cadres profiter du télétravail pour vivre en bi-résidence, ce qui a été abondamment relayé par les médias. Pourtant, non seulement leur contribution au développement local reste modeste, mais ces « rurbains » ne s’installent pas dans les espaces les plus reculés : ils contribuent simplement à étendre encore davantage la périurbanisation. Et qu’en est-il encore plus loin des métropoles ? Un nombre croissant d’actifs ont certes définitivement quitté la ville, mais il s’agit là de la simple accélération de la cinquième vague de néoruraux identifiée par Catherine Rouvière (cf-ci-contre).

En milieu rural, passée l’euphorie des premiers mois, les territoires d’accueil ont rapidement déchanté : certes, les maisons mises depuis longtemps sur le marché avaient enfin été vendues, mais les volets n’en ont pas pour autant été ouverts à l’année. Ces achats ont en effet alimenté des stratégies diverses : multirésidentialité, investissement, les deux à la fois… Pour de nombreux acheteurs, il s’agit de tirer parti des aménités de chaque résidence au meilleur moment : beaux jours à la campagne, hiver doux à la mer, sociabilité et rendez-vous médicaux en ville… Le tout facilité par la mise en location temporaire via des plateformes type AirBnB, qui permet de payer les charges, voire de dégager un revenu complémentaire. Au lieu d’occuper un ou deux logements selon des temporalités saisonnières (les mois d’été par exemple), les ménages avec ce type de stratégie sortent donc plusieurs logements du marché résidentiel, notamment du secteur locatif libre.

La Bretagne est de ce point de vue exemplaire. Les prix de l’immobilier montaient déjà depuis plusieurs années, et passé le premier confinement, la spéculation y a explosé. Elle se manifeste à travers de nouveaux comportements, tels que des achats sans visite, sans négociation, en vue d’une revente rapide, ou encore des achats et constructions de résidences secondaires et/ou de location de courte durée. Les étudiants découvrent à la rentrée que les studios sont désormais loués à la semaine pour les touristes. Par un jeu de vases communicants, les classes moyennes reculent vers les premières couronnes. Quant aux travailleurs à faibles revenus, ils sont relégués de plus en plus loin dans l’arrière-pays.

Extension du domaine de la rente

Cette évolution ne peut se comprendre que dans le cadre plus général de la lente (re)constitution d’une « société de rentiers »(1). Or, celle-ci reste largement ancrée dans les métropoles. Signe de cette inégalité structurelle, un quart des ménages vivant en France détiennent les deux tiers du parc de logements des particuliers ; et un nombre élevé de ces multipropriétaires se concentrent dans les cœurs des métropoles. Dans l’ensemble, ils investissent dans des endroits jugés rentables, généralement ceux dotés d’une bonne réputation. Or, celle de la « France en déclin » avait été particulièrement mise à mal par deux décennies d’éloge de la métropolisation. Il fallait donc un nouveau récit pour changer l’image des périphéries et l’adapter au désir d’investisseurs à la recherche de nouveaux marchés. L’« exode urbain » a fourni ce récit. De nombreux investisseurs métropolitains ont alors décidé de miser sur ces nouvelles frontières préservées par la crise sanitaire et jugées « sûres » du point de vue de la crise climatique. De larges fractions de la Bretagne et du Sud-Ouest, nouveaux Far West financiers, ont donc à leur tour fini de rejoindre l’orbite des principales métropoles françaises, sous l’effet d’investissements massifs en provenance conjointe des capitales régionales comme de l’Île-de-France.

Ainsi, si les villes ne se sont manifestement pas vidées de leurs habitant·es vers les campagnes plus ou moins urbanisées, il semble bien en revanche que le capital urbain, en surplus depuis la crise sanitaire, y ait trouvé un nouveau débouché, les conditions d’une nouvelle rente hors des métropoles. Mais ce récit n’affecte pas tous les territoires de la même façon. S’il entraîne en effet la surchauffe et l’assèchement de marchés immobiliers étroits dans les nouveaux territoires ruraux désirables, il laisse inversement de côté d’autres territoires dépourvus des aménités désirées (campagnes industrielles ou zones d’agriculture intensive, villes en déclin). En outre, ces investissements ne concernent qu’une petite partie de la population, entre stratégies de rentabilité pure et dure et des stratégies familiales d’accroissement du patrimoine. Les comportements de cette minorité affectent toutefois l’ensemble de la chaîne du logement.

Force est de constater une demande croissante de régulation du marché de la part d’une population qui se politise actuellement sous l’effet de la crise aiguë du logement. Taxation des résidences secondaires, limitation de AirBNB, permis de résident conditionnant l’achat d’un bien au fait d’habiter le territoire depuis au moins un an, etc. : autant d’éléments fort présents dans le débat local des régions en surchauffe, mais guère relayés au niveau national, où le débat est au contraire polarisé par une droite radicalisée, néolibérale et populiste qui a bien compris son intérêt à exploiter le ressentiment en promouvant simplement une bien vague (et introuvable) « démétropolisation ». Trois ans après la spectaculaire révolte des gilets jaunes, il est hautement probable que la relégation provoquée par le soi-disant « exode urbain » débouche à l’avenir sur de nouveaux conflits majeurs.

1 : Évoquée par Thomas Piketty dans Le capital au XXIe siècle (Le Seuil, 2013).

NB : Ce texte est extrait de « L’« exode urbain », extension du domaine de la rente », publié par Aurélie Delage et Max Rousseau, dans la revue Métropolitiques en juillet 2022.

Au bout de la route

S’installer dans les Cévennes et les Pyrénées Audoises en temps de Covid

Vidés par l’exode rural, des espaces enclavés et en déclin situés en moyenne montagne enregistrent de modestes flux entrants depuis plusieurs décennies. Le Covid semble les avoir amplifiés, sans qu’on puisse parler d’« exode urbain » (cf ci-contre). Un groupe de chercheurs a conduit une étude sur ces «  Mobilités résidentielles post-Covid » (1), notamment dans les Cévennes et les Pyrénées audoises.

 

Comme on s’y attendait, ce sont les retraité·es qui confirment leur importance parmi les arrivées dans ces territoires du Sud-ouest. Il s’agit parfois de retours au pays après une vie professionnelle à la ville ou de personnes extérieures au territoire, en quête de méridionalité et qui connaissent souvent la région pour y avoir passé des vacances. D’autres n’ont pas l’intention de résider à plein temps. Ceux et celles qui n’achètent que dans le but de s’offrir une résidence secondaire, accroissent sans en avoir conscience l’agonie de nombre de villages aux maisons fermées la plupart de l’année.

En revanche, on y trouve peu de personnes en télétravail. Cette catégorie ressort en effet très peu des entretiens menés dans les Cévennes (2) et les Pyrénées audoises (3). Parmi les facteurs explicatifs, figurent la mauvaise accessibilité depuis les principales métropoles, la mauvaise qualité de la connexion internet, le manque de services à la population ou la question de l’emploi du conjoint. Mais dans l’ensemble, ni les retraité·es ni les cadres en télétravail ne s’engagent dans une « transition rurale », les conduisant à rompre véritablement avec la ville pour occuper des activités ancrées dans leur territoire d’accueil.

Néo-paysan·nes, militant·es, pirates

Du point de vue du redéveloppement des espaces délaissés, le profil des néo-ruraux en rupture professionnelle avec la ville est nettement plus intéressant. Ce mouvement s’accélère actuellement sous l’effet d’un rejet des métropoles alimenté par la cherté du logement et par la gentrification, et une vision utopique des espaces délaissés de moyenne montagne, dont les Cévennes et les Corbières. Depuis Mai 68, plusieurs vagues de néo-ruraux s’y sont succées, dont la plus récente, selon la sociologue Catherine Rouvière, se subdivise en deux catégories : un courant « civique » (des néopaysan·nes politisé·es mais pragmatiques, qui s’inscrivent dans une démarche collective de transition écologique) et un « courant autarcique » (une mouvance libertaire et radicale qui privilégie des modes de vie clandestins ou nomades). Il s’agit d’« idéaux-types », soit des catégories sociologiques venant compartimenter une réalité évidemment plus nuancée.

Les « civiques », et parmi eux les moins politisés, sont clairement la catégorie qui a le plus les faveurs des journaux, mais aussi des élu·es locaux. Ce mouvement trouve des échos dans les espaces enclavés d’Occitanie. Ainsi un maire de la Haute Vallée de l’Aude indique que « jusque-là des gens qui arrivaient étaient très alternatifs, il y avait beaucoup de marginaux qui venaient ici pour les prix locatifs un peu bas. Désormais il y a un changement de profil sociologique, avec l’arrivée de catégories socio-professionnelles supérieures.» Plusieurs acteurs et actrices expriment de manière détournée cette évolution du profil des néo-ruraux depuis quelques années, tendance que la crise sanitaire a accentuée. Un élu ajoute que « depuis quatre-cinq ans, et le Covid le conforte, il y a ce regain de mouvements, plus concret qu’en 68. Il correspond aujourd’hui à un mouvement de société beaucoup plus large, avec une volonté de changement de modèle, qui trouve écho dans la société ». La « montée en gamme » de ces profils n’est pas sans évoquer la gentrification et laisse penser que les processus d’éviction qui caractérisent les cœurs métropolitains depuis trois décennies pourraient désormais concerner davantage d’espaces ruraux (4).

Les maires notent également une augmentation du nombre de personnes (la quarantaine, urbains, diplômés) en reconversion professionnelle qui cherchent à s’installer pour donner vie à leur nouveau projet. Parmi eux, des agents des services publics évoquent le Covid comme un révélateur de la déshumanisation de leur activité sous l’effet des nouvelles techniques managériales. Nous avons ainsi rencontré plusieurs anciens salarié·es des services publics qui ont quitté leur emploi et la ville à la suite d’un burn-out. Pour Stéphane (5), infirmier en EHPAD lors du premier confinement, installé désormais dans les Pyrénées audoises : «Quatre mois de gestion de la pandémie m’ont conforté dans mon choix de devoir arrêter ça. Trop de pression, un système de santé qui ne me convient plus, bat de l’aile… Ça a été une décision définitive. (…) Le Covid a été une forme de rupture, amenant à une introspection sur l’essentiel de la vie. » Pour Céline, ancienne infirmière installée dans les Cévennes elle aussi à la suite d’un burn-out survenu durant la gestion de la crise sanitaire : « Préférer un arrêt maladie à l’exercice de mon métier a révélé mon épuisement émotionnel. »

Camions, yourtes et cabanes

Un autre type de flux, absolument pas relaté dans les médias, a également augmenté depuis la crise sanitaire : celui des populations précaires et marginales. Dans les Cévennes et les Pyrénées Audoises, ces profils ne sont pas une nouveauté. Au-delà de l’image traditionnelle et caricaturale du « punk à chien en camion », la précarité revêt en réalité plusieurs formes. Tout d’abord, les mères isolées sont nombreuses, comme en ville, mais elles se retrouvent parfois dans des situations d’autant plus compliquées qu’elles ne possèdent pas toujours de voiture dans un milieu rural sans alternative de transports en commun. Le Covid a également eu un réel impact sur les saisonniers agricoles. Du fait de la fermeture des frontières pendant la crise sanitaire, les exploitations ont eu recours à un autre type de main d’œuvre, locale et précaire, peu formée aux exigences du métier. Enfin, les flux de nomades, vivant notamment en camion aménagé, semblent avoir également augmenté, sous l’effet combiné d’un « déguerpissement » (6) accru sur les zones littorales (rappelons que la préfecture de l’Hérault fait désormais appel à des drones pour lutter contre la cabanisation) et de la montée de nouvelles aspirations. Les nomades affectionnent certaines lisières de forêt, propices à l’invisibilité, des villages comme Rennes-les-Bains et ses sources thermales en accès libre, ou des campings tel celui d’Alet-les-Bains qui accueillent des populations à l’année. Au sein de cette catégorie, des nuances spatiales apparaissent avec un rapport différent à la marginalité. Elle paraît parfois subie, parfois davantage « choisie » selon que l’on soit dans les Fenouillèdes, la haute vallée de l’Aude ou dans la Vallée Française des Cévennes. Mais ce « choix » de la marginalité est à nuancer en prenant en compte le champ de contraintes dans lequel sont prises ces populations. Pour certains, la vie en camion ou en habitat léger (de type yourte) est une alternative aux mauvaises conditions de logement en ville, et leur habitat certes « non conventionnel » leur permet d’avoir un semblant de vie pavillonnaire avec un lopin de terre (qui permet aussi l’autosubsistance). Pour d’autres c’est une alternative au sans-abrisme.

Quitter la ville et le salariat

Au-delà des différences de classes sociales, les néo-ruraux partagent en grande partie certaines valeurs communes. Ce qui est frappant est la récurrence dans leurs discours de la quête de ralentissement face à une vie (urbaine) effrénée marquée par la (sur)consommation et la sur-sollicitation permanente. Comme l’indique Mickaël, un jeune habitant d’une métropole du Sud de la France, rencontré alors qu’il venait juste d’acheter un camion aménagé en vue de son départ pour les Cévennes : « La ville est violente, avec les publicités partout, les interactions difficiles, il faut toujours payer un truc… Pendant le confinement il y a eu comme un mouvement de panique, où tout le monde s’est dit « on va à la campagne ». Mais beaucoup se sont ravisés au cours du temps, ils ont retrouvé le confort de la ville. Moi aujourd’hui j’ai l’envie de m’affranchir de ce monde-là, de développer mon autonomie énergétique, d’être mobile, de m’inscrire dans une dynamique éco-citoyenne, dans les Cévennes. Je n’irai dans aucune grande ville. Parce que l’erreur est urbaine (rires). »

La recherche d’un nouveau rapport au travail constitue également un facteur de mobilité vers les régions de moyenne montagne. Parmi les personnes récemment installées, plusieurs occupaient des emplois rémunérateurs, qui leur ont permis de se constituer un capital financier. D’autres cumulaient RSA et activités au black. La naissance des enfants, ou autre élément de rupture biographique (maladie, décès d’un proche), peut également être le moment de la prise de conscience. Ils acceptent parfois d’avoir une période sans entrée d’argent avant de combiner les activités et donc les sources de revenus (par exemple un gîte, une activité bien-être et de la production-vente sur place).

Également, nombreux sont les anciens citadin·es installés dans les Cévennes depuis le début de la crise sanitaire à avoir pris leurs distances avec l’emploi salarié en général. C’est ici que ces installations silencieuses dans les espaces dépeuplés d’Occitanie rejoignent un phénomène plus large qui concerne actuellement les pays développés, qui dans d’autres contextes a pu être qualifié de « grande démission ». Thomas, jeune docteur en mathématiques appliquées, explique ce type de trajectoire : « Normalement, j’aurais dû travailler dans l’énergie, dans une ville du Sud. Je n’avais pas de projet professionnel en arrivant ici. Je voulais simplement construire quelque chose qui puisse m’apporter un salaire. Je n’ai pas une vision très positive du travail salarié ou du travail rémunéré en général. Donc je n’ai pas construit ma vie autour du travail. Mais c’est difficile aussi… c’est une lutte. » Cette tendance à s’installer dans des espaces au faible coût de la vie (même si cela est relatif selon les territoires) afin de développer une moindre dépendance à l’argent se retrouve également dans les Corbières et les Pyrénées audoises : « On voit arriver des nouveaux arrivants, sans lien avec le territoire, sur des productions (agricoles) nouvelles. (…) Ces gens ne sont pas demandeurs de forts revenus. Ce n’est pas le revenu pour le revenu, ils cherchent simplement à vivre », croit savoir un élu audois. Malgré ce rapport plus distant à l’argent, les difficultés restent importantes, et nombre des nouvelles exploitations sont à la limite de la rentabilité.

Tensions et dynamisme

Ces changements diffus dans des espaces peu couverts par les médias ne vont pas sans heurts. La montée des conflits entre habitant·es « déjà là » et néo-ruraux, qui préexiste à la crise sanitaire, est bien connue. Mais la crise sanitaire l’a clairement accentuée. Les conflits larvés concernent notamment l’accès aux ressources naturelles, en premier lieu l’eau : au conflit d’usage déjà connu entre les usages agricoles (forages illégaux dans la nappe peu profonde, risques de pollution) et résidentiels (les piscines, désormais parfois remplies la nuit par les occupants de résidences secondaires), s’ajoute plus récemment celui lié aux usages récréatifs tels que les sports en eaux vives, par exemple sur la rivière Aude. Mais aussi autour de la forêt : la multiplication de friches pastorales et la fermeture progressive des paysages sous l’effet de l’avancée de la forêt présentent un double risque, celui de propagation accrue des incendies en été, mais aussi du rapprochement croissant de la faune sauvage près des habitats, sangliers en tête. Des visions antagoniques en matière de gestion – ou de non-gestion – des forêts se font ainsi jour.

Des tensions autour du foncier peuvent apparaître lorsque les nouveaux venu·es privilégient des terrains à l’écart des bourgs pour construire un logement neuf (comme des retraités dans les Pyrénées audoises) ou lorsqu’ils et elles sont à la recherche de vastes terrains isolés pour développer des projets alternatifs (éco-hameaux par exemple) – posant ici la question de l’articulation de ces projets avec les villages existants. Par ailleurs, les nouvelles installations se heurtent au conservatisme de familles locales qui « tiennent » les conseils municipaux, notamment dans les villages où la proportion de résidences secondaires est importante. Quant à la cabanisation, légèrement accrue par la pandémie, elle suscite parfois des difficultés de cohabitation dans les Corbières et les Cévennes. Comme l’indique le maire d’une commune de l’Aude, qui entend faire respecter l’ordre sur son territoire : « Mon souci, c’est de faire cohabiter des populations très différentes, je n’ai pas envie d’avoir le feu dans le village entre les anciens et les nouveaux, il faut que le soleil brille pour tout le monde. Il faut des règles car si on laisse faire [la cabanisation] c’est la guerre dans ces villages ».

L’impact négatif auprès des autochtones, produit par un degré de politisation important, des pratiques différentes ou des modes de vie et d’habitats alternatifs, pourrait être diminué par le dynamisme qu’apportent cette nouvelle vague de néo-ruraux. Ainsi, les installations agricoles ou artisanales, la participation à la vie culturelle jusqu’à l’ouverture de lieux tels que les cafés associatifs qui se multiplient partout, peuvent contribuer au mélange des populations. Et peut-être déporter la méfiance envers l’étranger, en direction des propriétaires de maisons secondaires. Dans certains villages, ces dernières peuvent constituer plus de la moitié du parc de logement. Dans un contexte de restriction annoncée des droits à bâtir depuis la loi climat et résilience de 2011, cette concentration des résidences secondaires et son impact sur la vie des espaces enclavés laisse penser que la question de la régulation du marché du logement en France va inévitablement se poser de manière de plus en plus conflictuelle.

 

Aurélie Delage et Max Rousseau

 

1 : Anaïs Collet, Aurélie Delage, Max Rousseau. Mobilités résidentielles post-Covid. Dynamiques sociales et enjeux locaux dans cinq territoires ruraux. Rapport pour le PUCA et le Réseau Rural Français. PUCA. 2023. (Disponible sur hal.science)

2 : Plusieurs entretiens cités sont extraits du mémoire d’Armand Rousseau intitulé « Néo-ruraux cévenols : style de vie et participation au développement local » soutenu en 2022 à l’université de Montpellier.

3 : Les entretiens ont été menés avec David Giband (université de Perpignan). Nous remercions plus généralement l’ensemble de l’équipe du projet « Exode urbain » (réseau rural français/Popsu).

4 : « Redéveloppement urbain et (in)justice sociale : les stratégies néolibérales de « montée en gamme » dans les villes en déclin », Max Rousseau, in Ville, néolibéralisation et justice, n°6, www.jssj.org.

5 : Prénom modifié.

6 : Un déguerpissement, c’est à dire une politique visant à expulser certaines populations d’un territoire, est un concept surtout utilisé dans les pays d’Afrique francophone. Il peut être lié à la destruction de zones d’habitat informel ou aux politiques d’aménagement et de rénovation pour « redorer » l’image d’une ville ou d’un quartier.