Numéro 10 Régional

À chacun·e sa faux

Face au rouleau compresseur des semenciers et de l’agrobusiness, qui arrosent nos champs et nos assiettes de pesticides et tentent d’imposer les semences OGM partout, les Faucheurs Volontaires font partie de celles et ceux qui tentent toujours d’arrêter la machine infernale. À l’occasion de leur procès à Rodez, on a rencontré Annick, Jacques, Rémy et Norbert pour causer de l’histoire de leur combat comme de son actualité. Et si ces quatre-là ne sont plus tout jeunes, une chose est sûre, ils mordent encore…

« Plus efficace, plus sûr et plus simple. Clearfield®, c’est l’association d’un herbicide à base d’imazamox (Pulsar® 40) et de variétés de tournesol résistantes à cet herbicide (VTH), qui permet d’obtenir un champ propre en un seul passage » (1) ! C’est bien contre cette folie de l’agrochimie et de l’industrie de la semence que bataillent les Faucheurs depuis plus de vingt-cinq ans. À partir de 1997 vont se succéder des actions de destruction de semences ou des fauchages en plein champ, de jour comme de nuit, revendiqués ou non. La Confédération Paysanne et de nombreuses associations, collectifs et ONG, dont le collectif des Faucheurs Volontaires (FV), qui est créé en 2003, formeront ce mouvement anti-OGM. La mobilisation aboutit en 2008 à l’interdiction des cultures transgéniques en France. Pourtant depuis cette date, dans le pays comme ailleurs dans le monde, les OGM et leurs pesticides associés poursuivent une croissance tranquille.

Empoisonnement

À l’heure actuelle, 8 % des terres cultivées au niveau mondial sont mises en cultures avec des semences OGM. Si une grande partie de l’Europe en interdit la culture, 70% des importations destinées à l’alimentation animale dans l’Union sont issues de plantes génétiquement modifiées (2). En France une centaine d’OGM au total sont autorisés dans la consommation, notamment pour l’alimentation humaine et animale (3). Ce qui fait dire à Jacques, que « si l’on achète un morceau de viande en barquette dans un supermarché quelconque, on n’est pas loin d’avoir 100% de chance de tomber sur de la viande issue d’animaux nourris au soja OGM, donc bourrée de pesticides. Les OGM importés, c’est quasi caché, on n’en parle pas. C’est pour ça que depuis 2008 il y a eu de nombreuses actions dans les principaux ports d’importation, à Sète, Brest, Lorient ou St Nazaire. »

À cette situation catastrophique s’ajoutent de nouveaux OGM mis au point par les semenciers dans les années 2010 avec la mutagenèse, qui profitent d’un flou juridique dans la réglementation – flou artificiellement créé par les industriels. Si la transgenèse consistait à transférer un gène d’un organisme dans un autre – ainsi le maïs Bt de Monsanto est un maïs auquel on a ajouté, en laboratoire, un gène de la bactérie Bacillus thuringiensis, permettant à la plante de produire un insecticide contre la noctuelle et la pyrale du maïs – la mutagenèse franchit encore un cap. Il s’agit toujours de modifier le génome mais via une mutation interne, sans transfert de gène. Annick résume cette technique : « Tu bombardes in vitro des cellules avec des rayons ou des produits chimiques et mutagènes, ainsi tu modifies le gène en place, et si tu obtiens des plantules, tu sélectionnes celles qui résistent à l’herbicide ». L’empire allemand de la chimie BASF crée ainsi le « Tournesol Vollcano Clearfield® plus », vendu avec son herbicide dédié, le Pulsar 40. Celui-ci contient de l’imazamox, un produit toxique, mutagène et cancérigène, associé à des adjuvants produits par la pétrochimie pour s’assurer que l’herbicide colle bien à la plante. Effet cocktail garanti ! Des études ont montré que ces plantes OGM ne font qu’augmenter l’utilisation des pesticides, tout comme les OGM transgéniques depuis 20 ans, avec une consommation en hausse constante (4) qui empoisonne les sols, les insectes, la faune sauvage, l’eau et notre alimentation. Des liens de causalité directs ont été mis en évidence entre l’usage des pesticides et certaines maladies et cancers, notamment chez les paysans et les enfants (5).

Coup de force des semenciers

Selon Annick, dans les deux cas -transgenèse ou mutagenèse- « tout ça c’est des OGM, des organismes génétiquement manipulés, où il y a eu la main de l’homme sur le génome, à l’opposé de la sélection où les plantes ont été croisées entre elles. Et jusqu’ici, la directive européenne 2001-18 (6) définit ça très bien ». Le hic, c’est que les empires de la semence et leurs armées d’avocats et de lobbyistes murmurent un autre refrain à l’oreille des députés et des ministres européens : les plantes mutagènes n’ont rien à voir avec des OGM, elles diminuent l’emploi des pesticides et nous sauveront de la sécheresse et du changement climatique ! Un tissu de mensonges. Mais que voulez-vous, les ministres sont prêts à empoisonner la population pour un resto, un échange de bons procédés, ou tout simplement sont-ils partie prenante d’une classe sociale avide d’augmenter sa part du gâteau-PIB. Ainsi le ministre inconnu de l’agriculture, Marc Fesneau, plagie sans vergogne les lobbys sur le réseau Twitter en avril dernier : « Nous devons accélérer l’utilisation de ces techniques dès lors qu’elles servent l’objectif de la réduction des produits phytosanitaires et d’une meilleure résilience face au défi du changement climatique ». Et ce n’est pas le nouveau président de la FNSEA, Arnaud Rousseau, industriel de l’agro-alimentaire et de la finance (7), qui contredira le ministre.

Après un arrêté de la cour de justice européenne en 2018, confirmé par le Conseil d’État français en 2020 et qui soutient que les semences mutagènes sont des OGM, le gouvernement français et ses alliés ont fait des pieds et des mains pour renverser la vapeur. Nous voilà désormais suspendus à une décision de la commission européenne ces prochains mois, et tout indique qu’elle suivra la propagande des lobbys…

Contre-attaque des Faucheurs

Rémy fulmine : « Fesneau ment carrément sur le sujet ; les semenciers et le gouvernement, travaillent dans notre dos. À la Commission, ce sont les lobbys qui tiennent la plume… Mais si on perd ce coup-ci, on gagnera la belle ! » Jacques ne peut s’empêcher d’ajouter avoir « peur qu’on ne soit plus là… » C’est que dans ce mouvement des Faucheurs Volontaires, les têtes grises remplissent peu ou prou les deux tiers des troupes, lesquelles se sont amoindries avec le temps ; on n’est plus dans la période faste des années 2000. Jacques l’admet : « On est largement moins nombreux, il y a moins d’actions, car le contexte a changé depuis 2008. Avec le moratoire, qui, au passage, ne portait que sur le maïs transgénique et était donc très restrictif, on a scié la branche sur laquelle on travaillait… puisqu’on a gagné ».

D’après Rémy, il y aurait actuellement en France 120 000 hectares de culture de tournesol VrTH et 20 000 hectares de colza VrTH. Donc bien plus qu’à l’époque du maïs transgénique et des fauchages à répétition qui eurent lieu dans les années 2000… « Vivement qu’on ait un test pour faucher tout ça, et là, il va falloir à nouveau tout le monde ! » Pour les premiers OGM, ils disposaient en effet d’un test qui donnait un résultat immédiat, via un changement de couleur, mais rien de tel n’existe pour les « nouveaux » OGM. « Alors on a eu l’idée d’aller chez les semenciers », lors d’inspections citoyennes qui se sont multipliées dernièrement (8) et pour lesquelles trois d’entre eux étaient poursuivis au tribunal de Rodez début juin (cf. ci-contre).

Désobéissance, sabotage… ou « désarmement » ?

Les Faucheurs Volontaires s’organisent discrètement et réunissent des militant·es de tout le pays pour réaliser une action à plusieurs dizaines, sur les 200 membres actifs que compte leur collectif. Le plus souvent ils sont à visage découvert, et revendiquent publiquement leur action. Une méthode décriée par la frange plus radicale du mouvement anti-OGM (9), lui préférant dans les années 2000, les actions nocturnes et revendiquées avec des noms de collectifs inconnus. « Aux Faucheurs, on a des gens de toutes origines, c’est ce fameux mélange qui fait notre richesse, souligne Jacques. Et on est tout sauf un mouvement monolithique, c’est en débat permanent, on s’engueule ». Annick enchaîne : « Ces discussions traversent en permanence : agir le jour ou la nuit, être masqué ou non, donner la liste ou pas » (10). Oui, car les Faucheurs transmettent la liste des militant·es présents lors de l’action à la police, ce qui a de quoi surprendre. Mais Jacques précise : « Attention, on attend qu’une personne soit convoquée en gendarmerie pour ensuite aller remettre une liste d’une partie des participants, en solidarité. On tient beaucoup à cette solidarité collective ». Et lorsque cela ne suffit pas, ils se présentent en « comparants volontaires » au procès. Ainsi après l’action à Castelnaudary en mars 2021, où des sacs de semences OGM sont éventrés chez le groupe Arterris, seuls deux personnes sont poursuivies, ce qui justifie à leurs yeux les dizaines de comparants volontaires qui se présenteront au tribunal, pour être jugés aux côtés de leurs camarades.

Les Faucheurs Volontaires gardent leur principe d’action de désobéissance-civile-non-violente et la volonté de peser sur les pouvoirs publics pour faire avancer le droit. Leurs actions sont souvent revendiquées comme légitimes face à « l’état de nécessité », après que tous les recours légaux aient été utilisés. Une forme de citoyennisme qui, là encore, a ses détracteurs. Pourtant, à l’évocation d’une forme de mollesse et de confiance en l’État de droit, nos quatre compères déclenchent un brouhaha réprobateur. Annick se souvient, lorsqu’elle a rejoint les Faucheurs, s’être en effet demandé « où étaient Riesel et son courant (11) ? ». Pour autant, elle estime que « chez les Faucheurs, il y a vraiment une radicalité de pensée qui est présente. Par exemple, moi aujourd’hui je suis Écran Total, Faut pas pucer (12), etc. » Rémy ajoute « qu’il y a beaucoup de Faucheurs qui agissent aussi avec Extinction Rébellion, Les Soulèvements de la Terre, etc. C’est très bien qu’il y ait aussi des actions illégales ou anonymes : on se complète, c’est une alliance de pratiques. C’est deux philosophies mais on est cousins germains, c’est le même combat avec des méthodes différentes ». Ainsi l’action de « désarmement » de la cimenterie Lafarge près de Marseille en décembre dernier, qui s’est faite à visage masqué avec des destructions d’installation, a toute l’approbation de Jacques : « C’était un super coup, mais peut-être que ça a été possible car l’entreprise était bien isolée. Avec un entrepôt de semences isolé comme ça, on pourrait imaginer une belle action aussi ! » Annick renchérit : « On a tous des rêves de sabotage de chimères génétiques en nous, et probablement qu’il faudrait en faire d’avantage », avant de préciser qu’ils n’utilisent pas ce mot publiquement… Reste que notre équipe de Faucheurs paraît décidée à reprendre des actions de nuit.

Bové, persona non-grata

On pourrait aussi évoquer leur position conciliante avec l’utilisation des OGM dans la recherche fondamentale ou médicale, qui a été pointée du doigt par les plus radicaux. Mais là encore, le tour de table est loin d’être consensuel. Annick est « contre certaines recherches qui utilisent des OGM », mais Norbert n’est « pas contre quand ça reste en milieu confiné ». À quoi Rémy répond que « ça finit par en sortir », Annick concédant qu’on « ne cherche pas pour rien ». Une chose est sûre, ils ne sont pas dupes sur le fait que la recherche médicale sert d’alibi aux OGM. Mais Jacques ajoute : « On est partis sur les OGM agricoles, on n’a pas les forces humaines et scientifiques pour s’attaquer à ça. » Si les Faucheurs Volontaires ont pris position contre les vaccins à ARN messager, Jacques précise : « on a mis des mois à faire ce communiqué ! ».

L’étiquetage et la traçabilité des produits OGM est également un sujet de débat, une partie du mouvement anti-OGM en faisant un cheval de bataille, quand d’autres dénoncent par ce biais une légitimation de la filière. Mais le temps presse et nous ne voulions pas quitter nos Faucheurs récidivistes sans la question bonus : et José dans tout ça ? En effet, Bové a incarné la lutte anti-OGM dans les années 2000, avant de finir sur la droite du mouvement écolo. Rémy n’y va pas par quatre chemins : « Bové et Cohn-Bendit, ce sont mes deux ennemis. » Inutile donc de lui rappeler cette chronique des deux lascars dans Le Monde (13) dans laquelle ils faisaient part de leur dégoût face à l’infamie que constituait, selon eux, la coalition de la Nupes. Non, les choses sont claires, d’après Jacques : « On ne peut nier son apport pour la mise en lumière du combat contre les OGM, mais aujourd’hui José est loin du collectif, il est sur un chemin que nous ne voulons pas suivre ». Annick concède qu’avec Bové, « on avait la presse nationale, donc c’est ce temps-là qu’on regrette. Mais il n’est pas le bienvenu chez nous, et il ne nous a pas suivis sur la culture des OGM mutés ! »

Sur ces belles paroles, on leur promet d’aller faucher des champs ou détruire des semences avec eux… le jour où ils cesseront de donner la liste des militant·es aux gendarmes !

 

1 : Publicité du géant BASF sur son site internet.

2 : Chiffre de 2019 de l’International Service for the Acquisition of Agri-biotech Applications.

3 : Idem

4 : En France, on tourne autour de 65 000 tonnes déversées dans les champs chaque année. En 2008, le plan Ecophyto promettait une réduction de 50% en dix ans, mais en 2021, la quantité de pesticides est de 12% supérieure à celle de 2008 ! Source : « Pesticides : la France toujours très loin des engagements de réduction pris en… 2008 », www.lamontagne.fr, 02/03/23.

5 : L’expertise de l’INSERM en 2021, « Pesticides et effets sur la santé »,  confirme le lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides et plusieurs pathologies : les lymphomes non hodgkiniens, le myélome multiple, le cancer de la prostate, la maladie de Parkinson, les troubles cognitifs et la bronchite chronique. Chez l’enfant, elle démontre un lien entre l’exposition domestique aux pesticides pendant la grossesse ou pendant l’enfance et les tumeurs du système nerveux central et les troubles du développement neuropsychologique et moteur de l’enfant.

6 : La directive européenne 2001/18, votée en 2001, définit un OGM comme un « organisme dont le matériel a été modifié d’une manière qui ne s’effectue pas naturellement par multiplication et/ou recombinaison naturelle ».

7 : C’est le patron d’Avril-Sofiprotéol, 4ème groupe agroalimentaire français, qui produit aussi des engrais chimiques et investit dans la recherche sur le génome.

8 : À la RAGT de Calmont en novembre 2021 mais aussi chez Arterris à Castelnaudary en mars 2021, chez BASF à Genay en mars 2022, chez Top Semences à La Bâtie-Rolland en juin 2021, etc.

9 : On retrouvera ces critiques dans les écrits de René Riesel comme ses Déclarations sur l’agriculture transgénique et ceux qui prétendent s’y opposer (Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances, Paris, 2000), dans La liberté dans le coma, du groupe Marcuse (Éditions la lenteur, 2ème édition en 2019) ou la brochure OGM fin du monde éditée en 2004 (www.infokiosque.net).

10 : En effet, la liste des actions des Faucheurs de ces dernières années contient ausssi bien des inspections citoyennes, des actions d’étiquetage OGM dans les supermarchés, des manifestations, des fauchages de cultures OGM en plein jour (comme en 2020 à Druelle, en 2019 à Farret et Tour sur Orb), que des fauchages nocturnes (en 2021 à Amberyac, en 2019 à St Paul lès Romans, Pusignanou et Echiré). Quant à la dernière action nocturne et non revendiquée, elle remonte à 2017, à La Pouëze (49).

11 : René Riesel est l’une des figures du courant anti-industriel, ancien secrétaire général de la Confédération paysanne de 1995 à 1999. Il fut très actif dans les fauchages et destructions d’OGM, pour lesquels il est incarcéré six mois à la prison de Mende en 2003.

12 : Écran Total est un collectif qui entend « résister à la gestion et l’informatisation de nos vies »
et au capitalisme industriel. Faut pas pucer est également un collectif qui regroupe paysan·nes et militant·es contre le puçage des animaux.

13 : « Avec cet accord indigne, vous exécutez un principe fondateur de nos sociétés, la démocratie et, son extension, l’Europe ». Le Monde, 7/05/22.

 

« Je recommencerai »

Le procès des Faucheurs Volontaires pour l’action de sabotage à la RAGT en 2021 avait lieu à Rodez. Morceaux choisis, après sept heures d’audience.

«  Ni dans nos champs, ni dans nos assiettes, les OGM on n’en veut pas » ! Ça chante à tue-tête sur le parvis du tribunal de Rodez, ce 7 Juin. « No Pasaran ! » « État hors la loi ! ». Une cinquantaine de Faucheurs et Faucheuses, regroupé·es devant l’entrée, poings levés, plein·es d’enthousiasme. Il faut dire que du monde est venu les soutenir, et qu’avec tous ces barnums, la cantine, les banderoles et les drapeaux, les Faucheurs Volontaires ont un peu envahi les lieux. Après des dizaines d’actions sans suite ces dernières années, la direction de la RAGT a finalement porté plainte. En novembre 2021, 80 Faucheurs s’étaient introduits dans les entrepôts du site de Calmont, en Aveyron, et avaient éventré plusieurs big bags de semences OGM, avant de répandre leur contenu au sol. Une « inspection citoyenne » que les militant·es revendiquent fièrement, allant jusqu’à demander qu’une vingtaine de comparants volontaires – qui certifient avoir participé à l’action –soient également jugés. Et qu’on soit en accord ou non avec cette stratégie, il faut bien avouer que cette cohorte de prévenu·es apparaît comme un groupe compact et solidaire, dans un rapport de force déterminé et décomplexé avec la justice – une quinzaine d’entre eux ont déjà une ou plusieurs actions de fauchage inscrites à leur casier judiciaire.

S’il y avait une image à retenir, ce serait ce Faucheur chevelu appelé à la barre, arborant fièrement son tee shirt  « OGM non, pour le bien commun je résiste » et passant pieds nus devant les directeurs de la RAGT bien seuls, au premier rang. Ils font plaisir ces dizaines militant·es qui défilent à la barre, défiant le procureur et la multinationale de la semence. Si une partie vient de la région, d’autres ont fait des heures de route depuis Dijon, Lyon, ou la Bretagne. Ils et elles sont retraité·es du bâtiment ou de l’Éducation Nationale, maraîcher ou apicultrice, marin ou charpentier, vendeuse de glaces ou homme au foyer, et naviguent entre le RSA et des revenus modestes excédant rarement 1500 euros. À la question « étiez-vous sur les lieux ? », toutes et tous sont catégoriques, à l’image de Bernard qui affirme à la juge : « Oui j’y étais, et j’y retournerai s’il le faut ». Ou Christiane qui avoue que c’était sa première action, « et je recommencerai » soutient-elle.

Il y a des bavards et des timides, des énervé·es, des provocateurs ou des pédagogues. Voilà R., très ému, qui parvient difficilement à expliquer qu’il fait ça pour ses petits-enfants. Le suivant s’emballe, expliquant son action car « ces semences sont faites pour résister aux pesticides, et les pesticides ça suffit ! », avant que la juge ne le coupe puisqu’il ne faut « répondre que sur les faits de vol et dégradation en réunion ». Elle tentera bien de réitérer son injonction à plusieurs reprises, sans succès. M. affirme qu’il n’y était pas, malgré la présence de son véhicule (qu’il avait prêté), « mais il y aurait été avec plaisir », ajoutant qu’il a « trois fois la dose de glyphosate dans le sang ». Clément est lui « exaspéré » par ces multinationales qui sont « hors la loi » : « Oui on a dégradé des semences qui dégradent nos sols ». Jean-Marc rappelle qu’avec Nature et progrès, association à laquelle il est adhérent, « ça fait 60 ans qu’on a des solutions pour arrêter les pesticides, dire le contraire c’est de l’enfumage ». Un autre affirme par cette action se substituer au travail des services de l’État, puisque ces OGM de la RAGT sont illégaux, et rappelle que « toutes les instances nous alarment, la réalité crève les yeux à tout le monde ». Pendant que ses camarades éventraient les sacs de semences OGM, Didier confie gaiement à la juge : « J’ai expliqué aux gendarmes sur place que tout allait très bien se passer, dans la bonne humeur ». Rires dans la salle. M. lui, a le plus beau tee shirt du tribunal, lequel questionne indirectement la juge : « Je pisse du glyphosate, et toi ? »

Le suivant revient sur Le Grenelle de l’environnement, qui promettait de diminuer de 50 % les pesticides en dix ans : « Et rien ! Tout ça pour des gens qui vendent des produits dangereux pour gagner de l’argent. Nous on fait partie de l’armée des vivants ! ». Sébastien rappelle que « beaucoup de paysans sont les premières victimes de ces épandages de pesticides, on en connaît qui en sont morts. Ça fait une bonne raison de faire ces actions ».

La plaidoirie de l’avocate de la RAGT alterne ensuite entre la malhonnêteté et le ridicule. Elle dénonce un « commando violent » et « un acharnement »… « pour détruire les sacs ». Mais les dommages qu’elle réclame sont passés de 200 000 euros au début de la procédure… à 6600 euros aujourd’hui. Une chose est sûre, selon la défense, ce « rouage imminent en France de l’agro business » qu’est la RAGT, avec ses 500 millions de chiffres d’affaires, n’a été que très peu impacté par cette action, qui est de l’ordre du symbolique. Lors du verdict – pour lequel ils font appel, les Faucheurs Volontaires sont condamnés à payer plus de 20 000 euros, pour moitié à la RAGT, pour l’autre sous forme d’amendes. Une belle addition pour cette action, mais le collectif en a vu d’autres : en mai 2022, le tribunal de Toulouse a mis trois mois avec sursis et 450 000 euros d’amende à trois Faucheurs pour avoir détruit en pleine nuit des parcelles d’OGM à Gardouch, en août 2017. Il va falloir écouler quelques milliers de litres de la bière des Faucheurs pour payer la note… Alors santé !

+ d’infos : https://www.faucheurs-volontaires.fr / collectif@faucheurs-volontaires.fr et www.infogm.org

 

Texte : Emile Progeault / Illustration : Marco