Numéro 10 Régional

Écrire « comme si il y avait une urgence »

Humiliations, harcèlement, agressions sexuelles, sidération… Suite à notre appel, plusieurs femmes nous ont confié leurs témoignages de violences conjugales, des textes ciselés ou bruts, écrits après coup, parce que les traumatismes ne s’effaceront jamais.

« Un isolement quasi total »

J’ai été victime de violences psychologiques. Celles qui se diffusent dans le quotidien, qui résident dans la sphère ultra intime, qui sont imperceptibles. J’ai mis d’ailleurs plusieurs années à comprendre d’où venaient ces larmes, cette sensation d’être folle, cette mal aisance dans notre domicile, ce manque terrible de légitimité. Je passe sur les évènements plus flagrants de violence que j’ai encore du mal à accepter. C’est très dur de reconnaître d’avoir subi tout ça. Comment ai-je fait pour ne pas savoir m’en préserver ? C’est difficile d’être en confiance pour dénoncer ces faits. Et ça me paraît impossible de sortir de cette peur qu’il m’inspire, de me libérer de cette emprise.

Ça m’a brisé de différentes façons. Quand ces violences ont été mises à jour, par moi, par lui, dans notre cercle social, il ne s’est rien passé. Personne n’a pris parti pour ces évènements qui ont eu lieu insidieusement. Personne sauf quelques amies. Merci à vous. Pour le reste, cela a demandé trop d’implication. Je ne leur en veux pas mais ce que ça a produit, c’est un isolement quasi total. En effet, je ne suis plus parvenue à voir des gens qui me parlaient de lui, qui ne le condamnaient pas. Peut-être de manière disproportionnée, j’avais un grand sentiment d’injustice. Je me disais qu’ils et elles ne le voyaient pas sous son vrai visage, comment pouvaient-ils rire avec lui après ce qu’il avait fait ?

Dans mon passé, j’avais continué à relationner amicalement avec un mec qui avait abusé sexuellement à plusieurs reprises de nanas, ne prêtant aucune garde au consentement de celles-ci. Je ne m’étais pas positionnée. Aujourd’hui, je me mettrai radicalement du côté des victimes. Même si c’est dur, car le monde est complexe et l’on perd parfois des amis. Je m’en veux de ne pas avoir été suffisamment solidaire et avoir conduit à l’isolement de certaines. Aujourd’hui, je ne peux que détester tout ce qui nourri le patriarcat : les hommes virils ou assoiffés pouvoir, les oppresseurs pervers qui opèrent en cachette, ceux qui te coupent la parole, le rap misogyne même si c’est populaire, les faux déconstruits qui se pensent bienveillants, ceux qui abusent de nos corps, tous ces tarés qui se pensent victimes et réécrivent l’histoire… La liste est tellement longue.

 

« Ses regards tiraient des balles réelles »

L’idée de la mort ne me faisait plus peur, elle me rassurait, m’enchantait même parfois, elle était comme un soulagement, un soutien, une amie que je pouvais aller voir. Plusieurs fois en voiture, j’ai roulé vite, de plus en plus vite… jusqu’à perdre le contrôle quelques instants puis me raviser en larmes, m’énerver de ma lâcheté ou de ce lien viscéral à la vie qui ne voulait pas me lâcher.

La honte m’envahissait ensuite en pensant à mes filles. Arrêter cette vie là-bas était un instinct de survie, survenu comme la mort arrive sans prévenir. Fuir. Point. C’était vital.

La mort était partout.

Ses mots cognaient aux oreilles puis, comme des vers, me grignotaient lentement et bruyamment de l’intérieur, ses regards de juge tiraient des balles réelles : putrides, incompréhensibles, douloureuses, nombreuses.

Tout en moi sentait la mort. Larmes et insomnie, mes cellules luttaient, je suais, j’avais mauvaise haleine. Je me souviens que, souvent, je me recroquevillais derrière les bacs à linge en me cachant la tête, je sanglotais, perdue, comme ivre. Mon crâne bourdonnait. Je ne mangeais plus et mes os se voyaient. Il aimait s’en moquer.

IL était arrivé le temps. J’étais arrivé au bout du chemin.

Le dialogue était impossible.

Je lui appartenais.

Il ne supportait rien qu’il n’ait pas maîtrisé : il devait tout contrôler, mes faits et gestes, mes horaires, mes trajets, mes tenues et pire… mes pensées, que je lui ai livrées si naïvement pendant des années ; même mon souffle que je retenais à chaque fois jusqu’à m’étouffer et qui révélait toujours, finalement et malgré moi, mes émotions.

Il me connaissait par cœur, savait tout de moi et surfait sur mes doutes, ma culpabilité, mes faiblesses, mes failles et mes plaies. J’essayais de lui parler… mais il jouait avec les faits, les mots, les sons, les tons, les silences ou entamait des monologues sans fin, en boucle, c’était une torture longue, insidieuse, efficace. Il m’est arrivé de vouloir me taper la tête contre les murs pour ne plus entendre, de me griffer en cachette pour ressentir ensuite de la chaleur douce sur ma peau.

J’étais totalement perdue, j’errais (et cette errance continua encore bien après), désorientée, ne sachant plus où aller puisque celui pour lequel j’avais consacré toute ma vie, le cœur de mon existence, était un tyran à qui je devais obéir. Je devais sacrifier mes valeurs, mes envies, je devais donner mon corps à lui et aux autres pour qu’il regarde – nausée. Tout justifier, lui livrer toute mon existence pour qu’il la juge, la flatte puis la tyrannise comme s’il en tirait une énergie vitale, une jouissance, une survie.

 

Celui qui hante mes nuits »

Ce besoin irrépressible d’écrire, comme un mal à percer, des mots à déverser pour se sentir mieux.

Cette nuit j’ai rêvé, drôle de nom, non pas le rêve mais un rêve. Il m’a fait l’amour. Pause. C’est dur. Non pas l’amour, il a introduit son lui et je l’ai laissé faire. Nausée.

Il, c’est celui avec qui je divorce, qui ne m’a pas touché depuis plus de trois ans, je me reconstruis. Celui que j’ai fui depuis plus de trois ans et qui hante mes nuits.

Et là, cette nuit, j’ai encore laissé faire.

Le divorce jeudi, je l’ai revu. Des mots injustes, pire, des mots irréels, il m’accuse devant la juge, ça tape et ça pue, son regard de colère, il ment et salit.

Moi, quand c’est mon tour, le blanc, incapable, rien, aucun mot. Pareil à avant, je reste figée, impuissante.

Je ne sais pas rendre, me défendre. Hébétée.

Pourquoi tu laisses faire ?

Ce n’est pas vrai, tu as réussi à parler ensuite, tu tremblais mais tu as parlé, ce n’est pas vrai tu as réussi à fuir ensuite, tu es partie, tu as une nouvelle vie.

J’ai revu la prison, j’ai revu ma honte, j’ai revu ce cambriolage de mon âme et de mon corps qui s’appelle un viol.

Je le vis et le revis. Quand retrouverai-je ma liberté ?

 

« Je n’ai pas su reconnaître la violence »

Il disait qu’il était féministe. Il disait que j’étais trop en colère.

Il me disait que lui, il faisait tous les efforts du monde pour être à la hauteur de mon féminisme trop radical. Alors je pouvais bien faire un effort aussi et le laisser vivre en paix sans le critiquer quand il faisait une erreur (comme par exemple me hurler dessus ou m’obliger à lui dire où j’étais).

Moi je sentais le malaise, je déployais beaucoup de force pour recadrer. Je me disais qu’à force de douceur et de pédagogie, il changerait… Et en attendant je me demandais ce qu’il fallait que je change de mon côté pour ne pas le provoquer. J’essayais d’être moins en colère…

Et une grossesse surprise et un déménagement plus tard, je me retrouve isolée, plus vulnérable et voilà le piège qui se referme ! Il peut alors se lâcher, il peut se sentir dans son droit de contrôler mes faits et gestes. Dénigrements, pressions, cris, harcèlement, ont fait de ma grossesse un cauchemar.

Il prenait en charge l’essentiel des tâches ménagères mais c’était lui qui décidait. De tout. Et même du fait que non, on n’allait pas perdre du temps à se parler du glissement entre partage des tâches, aide, soutien et ingérence. Il faisait la vaisselle à ma place parce qu’il me trouvait trop lente à la faire et parce que comme ça il est un mec bien et que je vienne pas me plaindre de quoi que ce soit ! Il voulait tout faire à ma place. Je n’étais pas censée avoir le choix. Et il était scandalisé que je n’en sois pas satisfaite…

Je n’ai pas vu, je n’ai pas su reconnaître la violence… Je me sentais en état d’alerte, je voulais fuir, il me traitait de folle et je le croyais.

Il me hurlait dessus devant les enfants, mais jamais devant d’autres témoins. Il me disait combien il souffrait d’être obligé de me crier dessus… et moi je me sentais coupable de l’avoir « provoqué ». Je pensais l’aimer, il me disait qu’il m’aimait, et il me détruisait en même temps. Je croyais que tant qu’il ne me tapait pas, ce n’était pas de la vraie violence…

Et peu à peu j’ai coulé… Je n’ai plus réussi à dormir, ni à manger, ni à faire les courses pour manger, ni à m’occuper de mes enfants. Je voulais mourir.

Heureusement les voisin·es, les nouvelles connaissances, m’ont vu perdre dix kilos en quelques mois, pleurer en continu, chercher à dormir ailleurs… Heureusement une voisine a su reconnaître la violence conjugale et m’a aidée à sortir du déni, puis à partir, puis à me protéger car non, ça ne s’arrête pas quand on part.

Parfois, souvent, ça s’empire…

Je te déteste 

À toi sale engeance,

J’avais 8 ans quand tu m’a peloté en sortant du cours de danse.

J’avais 11 ans quand tu t’es frotté contre moi dans le bus et que tu as éjaculé sur mes chaussures.

J’avais 12  et toi 16 ans quand tu m’as fait te branler derrière une caravane au camping.

J’avais 13 ans quand tu as raconté à tout le collège que je t’avais sucé, et ça t’a fait marrer.

J’avais 14 ans et j’étais vierge lorsque le préservatif s’est déchiré et que j’ai eu peur d’être enceinte, et que tu m’as répété en boucle que tu avais peur que je t’ai refilé le Sida.

J’étais enfant quand, toi l’adulte, faisait des grosses blagues de cul à table, en me regardant d’un air lubrique.

Je t’ai recroisé bien plus que je ne l’aurais voulu dans cette chienne de vie.

Toi qui attendais que je te fasse la bouffe lorsque tu rentrais du taf.

Toi qui a ouvert le gaz dans l’appartement pour pas que je te quitte.

Toi qui m’ a dit que je te faisais péter les plombs et qui m’ a menacé de me frapper.

Toi,l’ hyppocrate de tes morts qui m’a fait des touchers vaginaux sans gants.

Et toi, le vieux patriarche de mes deux qui m’a dit que ma douleur n’était pas réelle et que c’était toi qui savait ce qui se passait dans mon corps.

Toi qui m’a dit que j’étais jolie mais que j’avais les genoux gras.

Toi qui m’a répété à longueur de journée que je ne savais rien faire correctement.

Toi qui m’a rabaissé constamment et m’a fait raser les murs jusqu’à me faire disparaître.

Toi dont j’appréhendais chaque réveil, puisqu’au premier regard de la journée, je savais si tu allais être violent ou non.

Toi à qui je ne pouvais jamais dire ce que je pensais de peur de déclencher un cataclysme.

Toi qui attendais de moi que je prenne soin de toi, sans jamais rendre la pareille.

Toi qui m’accueillais bourré, les draps sales, pas lavé de deux semaines le jour de mon anniversaire.

Toi qui m’a proposé des plans à trois avec tes potes.

Toi qui m’a laissé un string dans ma boite aux lettres, cinq ans après.

Toi qui me met des claques sur les fesses sans me demander lorsque l’on fait l’amour.

Toi qui a éjaculé sur mon visage alors que j’étais endormie.

Toi qui penses que tu es un mec cool, alors que tu n’es qu’un violeur ou un agresseur.

Toi qui te dis féministe mais qui me coupe sans cesse la parole.

Toi qui malgré toute ta prétendue déconstruction ne supporte pas que les choses n’aillent pas dans ton sens.

Toi qui fait la gueule un matin sur deux, en orbite autour de ton petit monde clos.

Toi qui geint sur tes problèmes alors que le monde s’écroule autour de toi.

Toi qui ne voit pas tes putains de privilèges.

À Toi Toi Toi Toi et toi qui m’ont rabâché que j’étais folle.

Te reconnais-tu dans ce portrait ? Allez, fais un effort, même pas dans une ligne ?

Ah tu vois quand tu veux…

Sache que je te méprise, ah non pardon, que je te déteste.

Et qu’il faudra au moins 2000 ans d’efforts pour que je te pardonne.

 

« T’es où quand on se débat avec l’indicible ? »

Cher ami, cher amour, cher frère, cher amant ;

Je t’écris cette lettre parce que je suis agacée. A vrai dire agacée, c’est un euphémisme. Je suis très en colère, super vénère même.

Tu le sais, avec les copines on essaie de comprendre le système structurel de la domination masculine : pourquoi les femmes meurent sous les coups de leur conjoint, pourquoi les femmes qui subissent de la violence au sein de leur couple n’arrivent pas à en parler, n’arrivent pas à partir, pourquoi le plafond de verre n’a toujours pas explosé, pourquoi on se sent obligé d’avoir des enfants, pourquoi on est tout le temps stressée, pourquoi on a peur. On se réunit, on réfléchit, on parle, on se forme. On s’entraîne en stage d’autodéfense, on essaie de comprendre ce qui se passe en nous, autour de nous, dans nos couples, dans nos corps. On décortique les situations, on apprend à réagir ensemble, on organise des rencontres féministes, on se crée une culture commune, on se cherche des allié·es…

Pendant ce temps-là, toi ? Toi tu es satisfait. Parce que tu n’es pas violent, que tu n’as pas harcelé, que c’est certain, jamais tu ne violeras, toi jamais tu ne porteras de coups… et en plus tu fais la vaisselle ! Tu es conscient qu’il y a un problème, tu trouves que c’est important ce qu’on fait. Tu trouves ça beau les femmes « fortes », les warriors, tu les veux dans ta vie.

Mais t’es où quand on se débat avec l’indicible, avec l’absurde ?

Pourquoi toi, mon compagnon, mon ami, mon frère, tu nous laisse nous débattre avec ces questions. La domination masculine t’en fait partie tu le sais ça ? Quand est-ce que tu vas faire ta part du boulot ? Il me semble qu’il y a un paquet d’espaces que tu pourrais investir sans écraser le processus d’émancipation des copines qui t’entourent. Moi je le cherche régulièrement chez toi l’allié que tu dis vouloir être. Et en vrai je le trouve rarement.

Mais tout ça c’est du taf en fait. Il suffit pas d’écouter trois épisodes des Couilles sur la table pour pouvoir revendiquer d’être un « pro-féministe ». Et souvent j’ai l’impression que c’est pas ta priorité quoi… surtout quand tu vois l’ampleur du chantier. Ah mais oui, suis-je bête… c’est pas toi qui meurt, qui est harcelé, humilié, freiné, découragé, menacé. Alors pourquoi tu te ferais chier à imaginer et expérimenter des outils pour déconstruire les normes de ton genre dominant ?