Numéro 10 Régional

Règlement de conte

Le loup n’a pas mangé le petit chaperon rouge, Cendrillon n’a pas embrassé le prince charmant. En revanche le comte Hanbanck a bien privatisé les semences. Mais une poignée de paysan·nes et de jardinier·es résistent encore.

Tata, dis, tu me racontes l’histoire de Sperma[1] la petite graine ?

Mais bien sûr mon enfant… Elle était une fois Pistil qui tomba amoureux d’Étamine. Leur passion était si forte que Pistil fut mis en cloque par le pollen d’Étamine. Et quelques mois plus tard, une jolie petite gousse enfanta de cinq magnifiques petites graines. Elles étaient si savoureuses qu’Homo sapiens décida de les semer à nouveau l’année suivante. C’était il y a vachement longtemps, c’était une très belle histoire… et puis ça a merdé !

Depuis des lunes et des lunes, Homo sapiens mangeait les plantes qu’il cueillait et dévorait les bêtes qu’il chassait. Fatigué de galoper après du gibier qui courait plus vite que lui ou de grappiller les fruits qui voulaient bien pousser, il décida de construire une ferme, la clôtura pour que les bêtes ne s’en aillent plus, et conserva ses graines. Homo sapiens venait de découvrir l’agriculture [2], et il déclara :

ÇA, C’EST À MOI !

Il eut veau, vache, cochon, couvée – beaucoup. Beaucoup de terres et beaucoup de récoltes. Beaucoup trop pour tout manger, car il n’avait qu’une seule bouche. Et même Sperma le rendit riche, gros et con, car pour elle aussi il avait déclaré :

ÇA, C’EST À MOI !

Mais il en voulut plus : devenir très riche, très gros et très con. Alors il pactisa avec le démon MéphistHomocapitalistophélès, et devint le sinistre comte Hanbanck. Il s’acoquina avec un sorcier, le funeste Monsanballec qui, dans son alambic, sublima Sperma. KonTrollix ! Coupa sans gêne son Adéhène. KonTrollvé ! Lui colla des amulettes chimériques ! KonTrollcé ! Copia le philtre d’immortalité démoniaque… et :

ABRACADABRA !

Le tonnerre gronda, le vent souffla, les éclairs déchirèrent le ciel lourd de nuages, et tout à coup Sperma devint SperminatorCL®+ [3], une redoutable graine qui produisait mille fois plus, avait un goût dégueulasse et rendait tout le monde malade. L’infâme Monsanballec inventa même une potion magique, pour tuer toutes les plantes, sauf SperminatorCL®+.

Pendant ce temps-là, ses voisins continuaient à cultiver la vraie Sperma, en cachette, car elle fut bien vite interdite par le comte. Mais plus il devenait riche, gros et con, plus les paysans devenaient pauvres. Alors, ils mouraient tous, les uns après les autres. Le riche comte Hanbanck, semencier démentiel, reprenait toutes leurs terres pour en avoir encore plus. Il coupa la forêt, pompa l’eau des rivières, l’eau des lacs, l’eau de toute la terre ; tua toutes les bêtes qui mangeaient la semence maléfique, les oiseaux qui la grignotaient, les limaces qui la boulottaient, les insectes qui y pondaient, les papillons qui y chenillaient et les écureuils qui la bouffaient. La terre entière fut semée de SperminatorCL®+, si bien qu’il n’y avait plus d’autre plante qu’elle…

Un jour, SperminatorCL®+ ne germa plus. C’est qu’elle était trop fatiguée et s’ennuyait toute seule sans ses amies les autres plantes. Une terrible famine frappa alors la terre entière [4]. Mais, une fois le comte défait, les rares paysans qui avaient toujours refusé de semer Sperminator®CL+ purent de nouveau partager leurs semences avec leurs voisins, comme ils le faisaient depuis des lunes et des lunes, et ils déclarèrent :

Ça, c’est à tout le monde !

Ils ne se marièrent pas, n’eurent pas d’enfant mais semèrent vachement beaucoup.

[L’enfant ne s’était pas endormie…]

Dis Tata, c’est quoi leur potion magique ?

Pour rendre tolérantes certaines plantes aux pesticides [5], leur génome est modifié : alors toutes les autres plantes meurent, sauf la plante mutée. C’est donc un poison violent qui tue ce qui est vivant, les plantes, les animaux – tout, sauf la plante qu’on veut cultiver, c’est normal. Tu comprends ?

Ben oui, j’ai 4 ans et demi quand même ! Mais c’est qui ces méchants semenciers ?

Ces semences développées par l’agro-industrie sont majoritairement développées par six multinationales : Bayer, Corteva Agriscience, ChemChina/Syngenta, BASF, Limagrain/Vilmorin et KWS. Et une partie d’entre elles sont aussi des géants des pesticides ! [6]. Les brevets sur le vivant étant encore interdits en Europe, un tour de passe-passe juridique leur permet néanmoins de percevoir des royalties sur leurs productions végétales.

Ah, d’accord… Mais comment ils font pour trafiquer les plantes ?

Comme tu le sais, ces semences résultent d’une hybridation obtenue artificiellement, dans le but d’améliorer les qualités agronomiques d’une plante. Comme il faut les racheter chaque année, ça prive les paysans de leur autonomie semencière. Aujourd’hui, 95 % des plantes potagères commercialisées relèvent d’un tripatouillage du vivant, depuis l’hybridation jusqu’à la manipulation génétique. Si leur productivité est indéniablement supérieure, leurs qualités gastronomiques et nutritionnelles sont en revanche dégradées par rapport aux semences paysannes [7].

Ah d’accord, tata, mais je comprends pas, pourquoi la Sperminamachin ne germe plus ?

Les semences industrielles ne font pas de vieux os. Sache que très vite elles perdent leurs qualités et sont remplacées par de nouvelles variétés. En revanche, la « sélection participative » des semences paysannes, c’est tout le contraire. Améliorées par des processus de sélection naturelle, qui respectent le vivant, les saisons et les climats, elles auront toujours leur place dans un potager, et pour longtemps ![8]

Et toi Tata, dis, tu sais en faire des graines ?

Eh oui, on les produit ensemble dans la maison des semences paysannes du Lot depuis dix ans déjà, avec une centaine de maraîchers et de jardiniers. On se réapproprie les savoir-faire liés à la production de semences, et on partage nos graines, une soixantaine de variétés, pour que la biodiversité cultivée perdure et se propage dans les jardins ! Ça nous permet de préserver des variétés paysannes adaptées localement. Nous décidons tous et toutes ensemble, et en plus, il n’y a aucun échange d’argent entre nous. Et des maisons comme ça, y’en a partout dans le monde… D’ailleurs tu verras ça à la fête des semences paysannes !

Oh oui ! C’est dans combien de dodos ?

Dix ans de semences paysannes dans le Lot, ça se fête le 16 septembre 2023 à Montfaucon !

Animations, ateliers de tri de semences, démonstration de la nouvelle colonne de tri (conçue avec l’Atelier Paysan), films, tables rondes, conférences, bar, repas paysan, marché producteurs et artisans, livres, stands associatifs et militants, coin enfants, concerts.

Vous souhaitez participer ? Contactez-nous !

lamspdulot46@gmail.com

Maison des paysans

Place de la halle

46320 Assier

 

1. « Semence » en grec.

2. Cf. James C. Scott, Homo Domesticus, Une histoire profonde des premiers États, éd. La Découverte, 2019.

3. Allusion à Clearfield®Plus, technologie développée par BASF, associant herbicide et plante OGM.

4. Cf. « Abeilles en liberté », hors-série n°1, déc. 2022, in Apiculteurs en liberté, éviter la déroute, par V. R. Douarre.

5. Pour en savoir plus sur les VrTH (variétés rendues tolérantes à un herbicide), revoir la conférence du biologiste Christian Vélot « Les OGM, qu’est-ce que c’est ? » sur www.criigen.org.

6. « À rebours de l’agro-industrie, une ferme développe les semences paysannes de demain », 22/06/23, www.basta.media

7. Cf. l’étude « Variétés paysannes VS variétés industrielles F1 », octobre 2021 sur www.jardinenvie.com.

8. Cf. le cahier central du Lot en Action n. 86 (déc. 2014-jan. 2015), « La maison des semences paysannes du Lot ».

Texte : La maison des semences du Lot / Dessin : Léa Curtis