Numéro 10 Régional

Mobilisation sur l’île du Taur

Témoignage

Nous avons reçu le récit de l’effervescence qui a entouré le blocage de l’Ensav, en plein cœur de Toulouse lors du mouvement contre la réforme des retraites. Extraits.

Le blocage de l’ENSAV* et des locaux d’Art et Com commence le 22 mars, au 56 rue du Taur. Il débute après une première assemblée entre élèves et personnels, il y est décidé de bloquer le bâtiment dès le lendemain. C’est là que notre lutte commence. Tôt le matin, les élèves se rassemblent et bloquent l’entrée de l’école. Les deux premiers jours semblent durer des semaines. On décide de dormir sur place, de créer une cantine solidaire et d’occuper activement les lieux. Si parmi les élèves il y a déjà des militant·es aguerri·es, c’est également la première grosse mobilisation pour beaucoup d’entre nous. Nos principaux objectifs sont d’abord de profiter de la position géographique de l’école en centre-ville pour en faire un refuge durant les manifestations, de se positionner ouvertement en tant qu’étudiant·es en lutte contre la réforme des retraites, de montrer notre soutien aux grévistes, de créer un espace d’éducation populaire et de mettre nos caméras à disposition du mouvement.

Le premier jour, notre barrage est impressionnant, il est gardé 24h/24 avec des roulements pendant la nuit. On crée notre infirmerie, une équipe de street medics de l’école se déploie rapidement en manif, rejoints par d’autres toulousain·es pour former une équipe de vingt personnes. On y accueille des gens fatigué·es par les gaz, ou blessé·es à cause des nasses. Pendant ce temps, d’autres s’attellent à faire les fins de marchés pour nourrir les élèves mobilisé·es. On crée des banderoles, des drapeaux, on choisit le nom d’ « Île du Taur », on relaie les informations de la défense collective, on envoie des élèves aux AG inter-fac, inter-pro ou à l’AG des autonomes, on crée du lien avec les autres occupations, on invite des réalisateur·ices politisé·es, on fait des projections. On crée aussi un point info’ devant notre barrage car il y a beaucoup de passant·es dans la rue du Taur. On met en place une caisse de solidarité qui va bien fonctionner et dont les fonds vont nous permettre de tenir l’occupation et de verser de l’argent à la caisse de grève. Lorsque les premiers blocages de périph’ et des éboueur·euses arrivent, on crée des équipes et on se lève tôt pour faire en sorte d’y être toujours présent·es.

Notre relation avec les profs et le personnel de l’école a été conflictuelle. Au début, ils et elles affirment leur soutien, nous rappelant toujours l’histoire de l’ENSAV née d’une lutte, une école politisée et de gauche. Mais les premiers jours, l’accès aux locaux et au matériel nous est refusé. On parle avec nos profs à travers une vitre, c’est étrange car nous sommes peu familier·es avec cette distance. C’est au cours des nombreuses AG et des décisions de modalités d’occupation qu’on parvient à débloquer l’accès. C’est parfois très tendu entre les élèves et le personnel. Mais on découvre aussi des camarades de lutte parmi les profs et le personnel de l’école, on dialogue beaucoup. On s’engueule mais on se réconcilie.

Dans cette occupation, on discute, on partage nos savoirs, on crée du lien, on parle politique, on débat… Les moments de manif arrivent toujours comme une célébration de nos efforts, mais aussi comme un moment de colère extrême. On se fatigue beaucoup, on réalise tout·es les failles et la violence de notre gouvernement, on a les nerfs à cran. Des élèves commencent à partir en GAV, on se mobilise alors devant les commissariats, on se soutient. Mais on s’épuise, le barrage ne peut plus durer longtemps. Il est décidé de passer au barrage filtrant. Plus besoin de le tenir 24h/24, plus besoin de dormir sur place. On est un peu perdu·es car la beauté de notre barrage s’efface et nos forces de mobilisation avec.

Avant que tous nos efforts ne s’effondrent avec la fin de l’année scolaire, on a réussi à organiser des concerts dans le cadre de deux soirées inter-luttes. C’était beau de se rencontrer comme ça. Grâce aux dons, on a réussi à reverser plein d’argent aux caisses de grève. C’est fou de voir tout ce
dont on est capable quand on se mobilise ensemble. Notre lutte aura duré deux mois, c’est les vacances qui l’ont tuée. Aujourd’hui on espère que l’école gardera des traces de cette mobilisation, qu’on aura marqué son histoire. Renverser le gouvernement et le capitalisme c’est long mais à chaque mobilisation on scie un peu plus les barreaux de nos prisons. À l’heure actuelle, pour beaucoup d’entre nous, c’est un sentiment étrange d’échec et d’abandon. Nous essayons de nous dire que nous n’avons pas gagné la lutte, loin de là, mais sur le chemin nous avons trouvé de nombreux·ses camarades et outils pour se mobiliser, se politiser, occuper, zbeuler et mettre à mal ce système.

* École Nationale Supérieure d’AudioVisuel.

Les étudiant·es mobilisé·es de l’île du Taur