Numéro 10 Régional

Macron et Lafarge font la chasse aux écolos

Les actions et manifs contre les multinationales de la pollution et l’agriculture intensive s’enchaînent à un rythme soutenu depuis quelques temps, et semblent chaque jour faire tache d’huile face à l’urgence du changement climatique. Le pouvoir macroniste tente alors de reprendre la main… en lançant sa police antiterroriste à la poursuite des militant·es. Retour sur les arrestations du 5 juin dernier, dans le cadre de l’enquête sur l’action de sabotage à l’usine Lafarge de Bouc-Bel-Air près de Marseille, en décembre 2022.

« Ce sont des arrestations politiques, c’était complètement démesuré, ils étaient 70 flics pour deux personnes dont une avec une gosse. C’est clairement n’importe quoi. Ils ont bouclé tout le village pendant trois heures, avec des flics qui ont l’habitude d’arrêter des types armés ! ». Sylvie fait partie des deux personnes arrêtées. Elle est révoltée contre cette opération de répression mais prévient qu’il ne faut pas tomber des nues car ces pratiques politico-policières ne datent pas d’hier : « Évidemment c’est scandaleux, et en même temps, ça n’a rien de très étonnant. C’est fait pour casser tous les mouvements, on est dans une séquence répressive bien plus large que sur l’écologie et les Soulèvements de la Terre. C’est fait pour que tout le monde soit un peu paralysé par la peur ».

Ce 5 juin à six heures du matin, quinze arrestations simultanées se déroulent à Marseille, Montreuil, Dijon, Lyon, Toulouse, Bayonne, mais aussi à Caylus et Verfeil-sur-Seye, dans le Tarn-et-Garonne. Le petit village de Verfeil voit débarquer 70 policiers des services antiterroristes, dont la moitié armés, cagoulés et en treillis militaire. Ils fouillent cinq maisons, rentrent dans les chambres, collent les habitant·es au mur, soulèvent les matelas à la recherche d’armes. Sylvie et une camarade, qui laisse son enfant à un voisin, sont arrêtées. Le matériel informatique est saisi. Elles sont emmenées au commissariat de Toulouse, avec trois autres personnes, et prises en charge par une équipe de la SDAT(1) spécialement descendue de Paris. Elles y resteront enfermées trois jours, dans le cadre d’une enquête ouverte pour « association de malfaiteurs » et « dégradations en bande organisée » qui autorise la prolongation de la garde-à-vue à 96 heures.

La SDAT enquête depuis février avec des moyens de surveillance importants. Ils disposent des « fadettes »(2) téléphoniques de chaque prévenu·e sur plusieurs mois, associées à des écoutes. Ils ont épluché les comptes bancaires et mené des filatures sur la période récente. « Tu sais que ce sont des choses qui existent, mais tu t’imagines toujours que c’est pour quelqu’un d’autre. Avant que ça t’arrive c’est jamais vraiment réel ». Cela s’ajoute aux « perquisitions numériques » qui ont lieu pendant la garde-à-vue, qui concernent tous leurs comptes en lignes : boîte mail, Sncf, Blablacar, Le bon coin, etc.

« Je suis la seule qui ait vraiment passé 80 heures toute seule en cellule. Ils ont même mis un rideau devant ma cellule pendant les deux premiers jours car il y avait peut-être une personne arrêtée dans la même affaire en face de moi. ». Pendant quatre jours, ils exploitent les données du matériel saisi et « ils s’en servent pour nous faire parler et mettre la pression. C’est une énorme opération, et rien qu’à Toulouse ils doivent coordonner les auditions de cinq personnes en même temps avec leurs avocats. On avait un officier de la SDAT par personne, plus un coordinateur. Moi ils m’ont assez peu mis la pression sur le fait que je refusais de répondre aux questions, avec quelques remarques genre « on est quand même très déçus, on aime bien quand il y a des aveux« , ou « quand on est militant faut assumer » ».

La deuxième audition concerne « l’engagement politique », où leur vie de militant·es, leurs positions et leurs fréquentations sont questionnées. « Ils veulent savoir si on connaît telle ou telle mouvance, ce qu’on pense de la théorie du désarmement, du sabotage, de la différence entre violence et non-violence, etc ». Les flics insistent aussi sur la forte probabilité de finir incarcéré après la garde-à-vue, « d’autant plus que les avocats nous préparaient aussi à cette possibilité puisque l’un des chefs d’accusation est l’association de malfaiteurs, ce qui dans leur logique peut justifier une détention provisoire pour empêcher les accusé·es de se voir. ».

Concernant la signalétique (empreintes, photo, ADN), « ils mettent la méga-pression parce qu’ils sont hyper nombreux face à toi, et qu’ils te donnent l’impression que c’est la grosse affaire du siècle. À Toulouse, on a tous et toutes cédé à la pression. Cela a bien sûr du sens de refuser, mais aujourd’hui, ils ont le droit de prendre les empreintes par la force et l’ADN par la ruse. »

Désormais, la police détient son portable et son ordinateur. « Donc ça fait deux semaines que chaque matin je me réveille en pensant à un nouveau truc qu’ils savent sur ma vie privée. C’est très désagréable. Après, c’est de ma faute aussi. Je suis pas du tout une crack en informatique. J’ai un Windows tout simple avec tous mes mails dedans. C’est pas très prudent, c’est sûr, mais tu ne t’imagines pas que les flics vont débarquer chez toi. »

D’une façon générale, elle concède avoir été un peu impressionnée. « Franchement, je me suis bien fait avoir par leur dispositif, avec les flics de la sous-direction anti terroriste de Paris qui débarquent chez toi. C’était surtout une opération d’intimidation, et comme c’était la première vague d’arrestations [la SDAT a arrêté dix-huit militant·es le 20 juin, cf page 11], on s’est vraiment fait prendre par surprise… ».

« Jusqu’au jeudi midi on pensait qu’on allait être déferré à Aix [l’enquête est dirigée par une juge d’Aix-en-Provence]. » Sylvie est pourtant libérée, et c’est ensuite la mobilisation à Verfeil qu’elle a envie de retenir : « La belle solidarité du village nous a vraiment fait beaucoup de bien, il n’y avait pas du tout de jugements, du style « vous apportez le bordel«  ou « vous troublez la quiétude du village« . Évidemment c’était pas tout le monde, mais il y a eu un rassemblement organisé par les habitant·es le jeudi soir, avec un appel à une discussion et à la mise en place d’une caisse de soutien. Il y avait quand même 150 personnes sur la place de la Halle ! »

Sylvie n’est pas pour autant sortie d’affaire, loin de là. « C’est une situation très angoissante. Ils nous ont relâchées sans suites. On n’a donc pas accès au dossier d’instruction et on ne sait pas ce qu’ils ont contre nous ». Et difficile de penser qu’une opération politique et policière d’une telle ampleur demeure sans suite… Ainsi parmi les personnes arrêtées le 20 juin, deux sont convoquées pour une garde-à-vue le 11 juillet à Aix(3).

De leur côté, les dirigeants et actionnaires du groupe Lafarge-Holcim, qui portent plainte pour cette action, poursuivent un business écocidaire qui leur rapporte des milliards de bénéfices annuels. Premier cimentier mondial et l’un des plus gros pollueurs de la planète, Lafarge-Holcim a été condamné pour avoir collaboré avec Daesh en Syrie et est accusé par Greenpeace de 122 cas de pollution environnementale et de violation des droits de l’homme, dans 34 pays différents (4). Nul doute que les actions à l’encontre du groupe vont se poursuivre…

Propos recueillis par Emile Progeault

1 : Sous-Direction Anti-Terroriste de la police judiciaire.

2 : Équivalent des factures téléphoniques détaillées.

3 : Un rassemblement de soutien aura lieu ce même jour à Aix.

4 : « Der LafageHolcim-Report », par Greenpeace Suisse, 2020 (en allemand), disponible sur www.issuu.com.