Palestine libre !
A-t-on seulement encore le droit de lancer ce slogan sans être taxé d’antisémitisme ? Peut-on débattre des origines des attaques du 7 octobre sans se retrouver devant un juge ? Est-il possible de soutenir la résistance palestinienne, qu’elle soit pacifique ou armée, sans être accusé de soutenir l’idéologie réactionnaire et islamiste du Hamas ? Ces derniers mois, aux quatre coins de la région, collectifs et associations ont dû faire face à la répression judiciaire, aux interdictions de manifester et à la vindicte des médias dominants et du pouvoir. Heureusement, cela n’a en rien entamé à leur détermination.
À Gaza le massacre se poursuit. Près de 38 000 personnes tuées dont 14 000 enfants. Que l’on parle de génocide ou de crime contre l’humanité, cette tuerie de masse représente ce qu’il y a de pire dans l’Histoire. Et pourtant. Le milieu politico-médiatique reste volontairement bloqué sur l’offensive palestinienne du 7 octobre et les crimes de guerre commis ce jour-là. Les 700 civils tués, dont 37 mineurs et une douzaine d’enfants de moins de dix ans.
Sans relâche, la propagande israélienne a imposé ses éléments de langage grâce à d’importants relais en France et à l’international : tout aurait commencé le 7 octobre ; les Palestiniens sont des barbares terroristes avec pour preuves une série de fake news démenties depuis (des bébés décapités, des femmes enceintes éventrées et bien d’autres) ; Israël a le droit de se défendre – gommant sa position de force occupante qui tue, humilie, emprisonne depuis des décennies ; il faut libérer les otages israéliens et ne jamais évoquer les milliers de prisonniers « administratifs » palestiniens enfermés sans procès et sans chef d’inculpation. Alors le massacre se poursuit, sans que les chefferies occidentales ne s’y opposent réellement. Pire, nos pays livrent massivement des armes pour équiper l’armée israélienne.
En France, on assiste à une sorte de folie médiatique. Tout le mouvement pro-palestinien est mis au ban, injurié, traîné dans la boue ou devant les tribunaux. Sur des chaînes d’infos, toute une partie de la gauche et de l’extrême gauche est qualifiée d’antisémite ou accusée de soutenir le « groupe terroriste » du Hamas ou de faire l’apologie de leurs crimes de guerre. Qui n’a pas défilé le 12 novembre aux côtés de Le Pen et Bardella lors de la marche « pour la République et contre l’antisémitisme » (qui en réalité apportait son soutien au gouvernement israélien d’extrême droite), est sorti de « l’arc républicain ». De façon incroyable, le RN est alors adoubé comme force politique respectable, lui offrant un boulevard pour s’imposer dans les urnes.
En parallèle, la répression qui s’est abattue sur les collectifs et les militant·es pro-palestiniens, si elle ne date pas d’hier, est orchestrée de façon massive. Le 10 octobre, le ministre de la justice Dupond-Moretti donnait le ton en transmettant aux parquets une circulaire très grave et qui va être au cœur de la réduction de la liberté d’expression : les propos présentant les attaques du 7/10 comme une légitime résistance devaient être poursuivis sur le délit d’apologie du terrorisme et faire l’objet d’une « réponse pénale ferme et rapide ». Les préfets et des organisations pro-israéliennes multiplient alors les plaintes et les signalements, entraînant de nombreuses auditions policières et la tenue de dizaines de procès.
À Toulouse, la répression et la calomnie se déchaînent sur le collectif Palestine Vaincra (cf. lien). À Montpellier, BDS (cf lien ) est aussi au centre de la répression judiciaire, et un militant local a pris dix mois avec sursis (cf. lien). À Bordeaux, le collectif Comité Action Palestine est toujours menacé de dissolution. Dans le Béarn à Lacq, c’est un syndicaliste et secrétaire général de la branche chimie de la CGT, Timothée Esprit, qui est licencié de l’entreprise Toray pour un post de soutien à la Palestine (cf lien). À Clermont, après avoir interdit plusieurs manifestations en octobre pour trouble à l’ordre public et antisémitisme, le préfet a interdit la montée du drapeau palestinien au Puy De Dôme début mars, qui avait été préparée par le « collectif pour une paix juste et durable » qui comprend 30 organisations locales. À Millau le 13 mai, une simple action pacifique et symbolique – brandir un drapeau palestinien lors du passage de la flamme olympique, a été empêchée par une police sur les dents, embarquant drapeaux et militant·es. À Albi, une conférence organisée par l’AFPS (1), d’une militante féministe et laïque de Gaza, Mariam Abu Daqqa, était prévue à Albi dans les locaux de la CGT le 19 octobre. Elle a subi les foudres du député RN Frédéric Cabrolier qui a alerté le maire de Lavaur, Bernard Carayon. Ce dernier s’est empressé d’écrire au préfet pour dénoncer sans sourciller « une incitation à la haine contre les juifs d’Israël et de France », ajouté à d’autres mensonges et amalgames. Le préfet n’aura pas besoin d’interdire la conférence puisque Darmanin se chargera d’expulser la militante palestinienne. Elle est arrêtée alors qu’elle est en compagnie de Pierre Stambul, porte-parole de l’Union juive française pour la paix, qui déplore alors « une séquence totalement liberticide »(2).
La répression financière est aussi au rendez-vous. Ces dernières années, le mouvement pro-palestinien avait déjà dû batailler avec des financiers soucieux de leur image, notamment BNP Paribas qui avait fermé le compte de la campagne BDS (3) en 2016, ou Paypal qui avait bloqué le compte de l’AFPS en 2018. Ces derniers mois, plusieurs banques françaises ont récidivé. Ainsi à Rodez, le collectif Palestine12 s’est vu bloquer son compte par le Crédit agricole, et en Ariège, Couserans Palestine a été obligé de passer par des banques étrangères pour parvenir à financer son action humanitaire à Gaza (cf. page x).
On termine cette liste, loin d’être exhaustive, par la lutte dans les facs et les lycées, avec des blocus ou des mouvements qui se sont produits à Montpellier, Bordeaux, Limoges ou Clermont-Ferrand. À Toulouse, organisés en coordination entre différents établissements de la ville, les jeunes sont parvenu à bloquer le lycée Saint-Sernin le 21 mai, avant de récidiver les 4 et 5 juin aux Arènes, pour réclamer la fin de la colonisation. La police nationale a cru bon d’envoyer une escouade pour mettre fin à l’action et embarquer trois lycéens au commissariat pour « attroupement illégal ». Mais peu importe la brutalité de la répression, Tom Martin, porte-parole de Palestine Vaincra, voit dans ce mouvement une force pour la suite : « Une nouvelle génération s’est conscientisée sur la question palestinienne. Que ce soit à l’INSA, au Mirail, à Sciences Po ou à Saint-Sernin, ce sont des gens très jeunes qui pour la plupart ne s’étaient jamais posé la question de la Palestine, et là ça leur semble tout à fait naturel de s’engager en faveur du peuple palestinien, contre le génocide, contre le colonialisme. » La banderole accrochée sur le lycée des Arènes affirmait « c’est important de montrer son soutien à la Palestine, c’est par des petites actions que nous ferons de grandes choses ». Une belle détermination, dont on va avoir besoin pour poursuivre le combat pour une Palestine libre.
1 : www.revolutionpermanente.fr, 8/11/23.
2 : Boycott Désinvestissement Sanctions.
3 : Association France Palestine Solidarité.
Texte : Emile Progeault / Photo : Antoine Berlioz