Un débat politique jugé au tribunal
Rencontre avec Abdel, militant décolonial à Montpellier qui a pris 12 mois avec sursis.
Lors d’une manifestation le 4 novembre dernier, Abdel lit un long texte (1) dont l’État et ses serviteurs ne vont retenir que quelques mots isolés pour l’accuser d’apologie du terrorisme, lorsqu’il parle de l’attaque du 7 octobre comme d’« un acte héroïque de la résistance palestinienne ». Évidemment personne ne qualifie ainsi les massacres de civils du 7 octobre. Néanmoins, compte tenu des massacres qui se sont déroulés quelques heures après, employer ces mots-là pour qualifier l’opération militaire qui est parvenue à percer le mur d’enceinte et prendre plusieurs bases israéliennes, c’est prendre le risque de vifs débats… jusqu’au sein même de cette rédaction.
Mais en aucun cas cela ne devrait amener quiconque devant un juge.
Le communiqué d’Abdel publié avant son procès lui permettait d’expliquer son point de vue : « Sorti de son contexte discursif et historique, l’usage du terme « héroïque » peut choquer ; je le conçois. Si l’on estime, en effet, que soutenir le droit à la résistance revient nécessairement à se réjouir des morts et du sang versé, alors oui, mon propos est inacceptable. (…) Si l’on omet les 75 années de spoliation, d’oppression et de destruction qui l’ont précédée, alors oui, mon propos est inacceptable.(…) Lorsque j’évoque un « acte héroïque », j’ai notamment en tête cette photo, désormais célèbre, de Palestiniens fêtant la destruction d’une partie de l’immense mur de barbelé assiégeant et séparant Gaza du reste de la Palestine, du reste du monde. Les cœurs justes, amoureux de la vie et de la liberté, n’ont pu rester impassibles face à la charge, puissante et symbolique, de ces images (…). Évidemment, le constat ne peut être qu’amer et extrêmement douloureux quand on pense aux morts, à tous les morts. »
Sous la pression d’élus PS et LR, et notamment du sénateur socialiste Bourgi, le préfet lance une plainte contre lui. Abdel subit alors une garde à vue de 30 heures. On lui demande des explications sur « chaque virgule de la minute de la vidéo incriminée, mais il y avait six minutes de discours avant », où il dénonçait même la montée de l’antisémitisme. Abdel estime que « c’est en lien avec la criminalisation de ma parole, je suis aussi là parce que je suis un arabo-musulman, je suis quelqu’un qui va être condamné facilement ». Ainsi l’enquêteur lui demande s’il est musulman pratiquant et s’il fréquente une mosquée, à quoi il refuse évidemment de répondre. Il ressort libre dans l’attente de son procès. Ses deux avocats se désistent à deux semaines de l’audience, sous la pression. Il se tourne alors vers la légale team antiraciste qui lui trouve un autre avocat.
Le 8 février, il se retrouve devant le juge qui sonne immédiatement la charge : « Comment qualifiez-vous les actes du 7 octobre ? Du terrorisme ? » Abdel réitère ses propos tenus en garde-à-vue : qualifier la résistance palestinienne de terroriste est une insulte, le terme est galvaudé et sert souvent à disqualifier les ennemis d’un État donné. Sur l’usage de l’adjectif « héroïque » pour parler du 7 octobre, Abdel indique qu’il ne faisait pas référence aux morts de civils mais à des scènes comme celle de la démolition de checkpoints à Gaza : « Il faut se mettre dans la tête d’un Palestinien sous blocus depuis dix-sept ans. », ajoutant « les faits sont tragiques, les morts du 7 octobre sont tragiques ».
Les cinq avocates de la partie civile ne se gênent pas ensuite pour qualifier Abdel d’islamiste et pour relayer toutes les fake news sur le 7/10 qui étaient pourtant déjà démenties dans les médias.
Le verdict est scandaleux. Douze mois de prison avec sursis, inscription au fichier des auteurs d’infractions terroristes (Fijait), 3000 euros de dommages et intérêts. « Dès que je politise ma condition, dès que je défends mes droits et de ceux qui me ressemblent, je suis un islamiste, car j’ai des revendications, je deviens un sale arabe à combattre, et c’est ce qu’il s’est passé. Pendant dix ans, je suis interdit de territoire dans plusieurs pays, si je pars à l’étranger je dois prévenir 15 jours avant mon départ et je dois communiquer mon adresse au comico tous les trois mois : c’est une semi-liberté en fait ! » Abdel a fait appel… comme le procureur, qui voudrait une peine plus sévère.
Quant à Perla Danan, présidente du Crif de Montpellier, qui déclare ce 8 février à l’AFP venir « barrer la route aux personnes qui distillent de la haine », elle s’est assise ce jour-là dans la salle d’audience aux côtés de Florence Médina pour papoter amicalement, après l’avoir embrassée : cette dame est l’ancienne candidate locale de Reconquête aux législatives de 2022 (1). Elle était convoquée le même jour pour incitation à la haine (2), pour avoir déclaré sur Facebook : « Si c’est la guerre que les racailles veulent ils vont l’avoir. Dans les années 80 il existait des ratonnades – au risque de choquer, on peut recommencer ». Rien de surprenant, ces néo-fascistes ont désormais meilleure presse que celles et ceux qui luttent contre la colonisation et le massacre en cours en Palestine.
1 : En ligne sur le compte twitter @Decolonialnews.
1 : Un fait relevé par Le Poing, « Procès pour apologie du terrorisme à Montpellier », 08/02/2024.
Texte : Emile Progeault