Palestine Vaincra : Une cible dans le dos, des soutiens dans la poche
Le collectif toulousain est dans l’œil du cyclone, et cela ne date pas du 7 octobre. Soutenu par toute la gauche toulousaine, il parvient jusqu’ici à faire face. Son avenir reste néanmoins suspendu au jugement du Conseil d’État qui doit confirmer ou non sa dissolution, ardemment désirée par Darmanin.
À Toulouse, ville jumelée avec Tel-Aviv depuis 60 ans, la mairie de Moudenc (LR) est un soutien actif à l’État d’Israël. La mobilisation a donc fait face à une forte répression. Tom Martin, le porte-parole du collectif Palestine Vaincra nous rappelle qu’après le 7 octobre, « toutes les manifestations ont été interdites de façon systématique, les nôtres et même celles déposées par la CGT. Ça a été plus long que dans d’autres villes, au moins de trois semaines, alors que ça se débloquait ailleurs, où il n’y a pas forcément d’organisation de soutien à la Palestine sur les positions que nous on porte. (1) Même dans les arrêtés d’interdiction des initiatives de la CGT, il leur était signifié parmi les arguments qu’ils avaient cosigné des tracts avec nous… Donc c’était une stratégie pour nous isoler, et faire de nous un bouc-émissaire en mode : attention dangereux terroristes islamistes ! »
Darmanin et la meute médiatique
Au lendemain du 7 octobre, le collectif subit « une campagne politico-médiatique initiée par Darmanin à base de calomnies, contre-vérités et mensonges. Sur France inter il a dit qu’on était des relais politiques du Hamas, à l’Assemblée il a dit que c’était des manifs du Hamas. C’est scandaleux, ce sont des politiques qui visent à intimider. » Dans un communiqué publié le 21 décembre, le collectif bat en brèche les accusations qui leur sont portés par des médias d’extrême droite ou par le Figaro « qui ose écrire que Palestine Vaincra s’est réjoui sans détour de ces actes de barbarie ». Pourtant dès le 12 octobre, le collectif regrette « que des victimes palestiniennes et israéliennes sont à déplorer par milliers et que des crimes de guerre de part et d’autre seraient à déplorer ». Ils expliquent également que non, leur appel à « une Palestine libre et démocratique de la mer au Jourdain » n’équivaut pas à « un appel à la mort de sept millions de Juifs qui vivent sur cette terre », comme l’a affirmé sur I24 David Antonelli, commentateur proche de la droite israélienne. Pour eux, « à l’opposé du projet suprémaciste et réactionnaire mis en œuvre par le gouvernement d’extrême droite israélien », il faut « débarrasser la Palestine du colonialisme, ce qui doit conduire à l’instauration d’une société libre, démocratique et multiculturelle basée sur la libération nationale et sociale, sur l’ensemble de la terre de Palestine ».
Le 20 octobre, le collectif préparait un meeting avec un des représentants de la résistance palestinienne et du réseau de soutien aux prisonniers palestiniens Samidoun. Moudenc enrage et menace de représailles la CGT, qui co-organise l’événement. Ils ont donc préféré annuler « plutôt que de pousser à la répression contre la CGT. » D’après Tom, « une campagne est menée sur les réseaux, notamment via une organisation israélienne, NGO Monitor, et son représentant en France, Vincent Chebat, et des médias comme France 3 reprennent ses éléments de langage », affirmant notamment que des membres du FPLP (2) seront présents au meeting. De même, on accuse Samidoun d’être « proche du Hamas », parfois c’est l’inverse, on dit le réseau affilié au FPLP : « Ça dépend des moments ! » Samidoun est sur les mêmes positions que le collectif toulousain, avec qui il est en lien, et affirme soutenir « la lutte des peuples pour leur libération à travers le monde, mais aussi les luttes contre le capitalisme, le patriarcat, le racisme d’État et contre toutes les formes d’oppression ». Par contre, Tom précise s’il le fallait : « Les accusations de financement du FPLP, on réfute, c’est de la pure calomnie ».
Cette campagne chargée de discréditer le collectif n’est pas sans lien avec la procédure de dissolution lancée par Darmanin en mars 2022. La décision avait été suspendue en référé par le Conseil d’État, qui affirmait que « ni l’instruction, ni l’audience n’ont permis d’établir que les prises de position de ces associations (…) constituaient un appel à la discrimination, à la haine ou à la violence ou des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme ». Dans l’attente du jugement sur le fond, peut-être ces prochains mois, Tom estime que les dernières attaques contre le collectif « doivent être pris en compte dans la stratégie de Darmanin vis à vis de nous depuis début octobre, car c’est une manière de mettre la pression sur le Conseil d’État. »
Harcèlement judiciaire
En novembre, Gaëtan Garcia, un syndicaliste CGT toulousain et militant à Révolution Permanente, avait été auditionné au commissariat pour « apologie du terrorisme ». Depuis, les convocations tombent sur de nombreuses personnes aux quatre coins du pays, avec 660 procédures au total. Tom insiste : « En réalité, les militant·es c’est la partie immergée de l’iceberg. L’essentiel c’est des anonymes, qui ne sont pas en lien avec des orgas, pour des posts sur les réseaux, un autocollant de soutien à la Palestine, etc. Plusieurs procédures sont en cours avec des militant·es de Palestine Vaincra, mais on n’en dit pas plus. On ne voit pas l’enjeu de publiciser telle ou telle convoc’ sachant qu’il y en a des centaines. On ne sait même pas si les gens vont être poursuivis ou pas. C’est une stratégie de silenciation, mais on ne répond pas à chaque attaque de la part des pro-israéliens, ou à chaque début de procédure judiciaire sinon on ne ferait que ça ! » Tom prend alors l’exemple de l’interview, la veille, du maire de Toulouse sur le site du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) : « C’est un ramassis de calomnies, de mensonges, de diffamations, mais on ne va pas répondre à chaque fois que Jean-Luc Moudenc dit des choses fausses sur la Palestine ! »
Tom souligne qu’au-delà de la répression de type judiciaire, « il y a toute une dimension moins visible avec le harcèlement de la part des organisations israéliennes ou pro-israéliennes proches de l’extrême droite, en diffusant telle ou telle adresse par exemple. Ça a aussi touché des gens de chez nous, et ça concerne des dizaines et des dizaines de personnes, militant·es politiques, syndicaux, associatifs, etc. ». Il remarque aussi que s’il y a « un saut quantitatif et qualitatif en matière de répression, avec une radicalisation autoritaire », le mouvement de solidarité avec la Palestine est criminalisé depuis des décennies : « La preuve en est : nous on a été dissous bien avant le 7 octobre [depuis, la dissolution a été suspendue], mais il y a aussi la campagne de boycott d’Israël qui a été particulièrement attaquée y compris devant les tribunaux. La lutte contre la répression du mouvement de solidarité avec la Palestine est un enjeu majeur, d’autant que l’État français est l’un des pires État occidental à ce sujet. »
Faire bloc
Face à la répression à Toulouse, il y a eu un large front uni. Que ce soit pour Gaëtan comme pour le rassemblement que la CGT locale organisait en soutien au syndicaliste du Nord qui a pris dix mois avec sursis. Tom explique que depuis sa création, le collectif a eu « la volonté de travailler de manière large avec la gauche syndicale, politique, associative, sans faire taire les désaccords qu’on peut avoir ». Sur la question de la libération de Georges Abdallah (3) sur laquelle ils sont très mobilisés, 60 organisations de la ville les ont rejoints. Pour le comité qui s’est monté contre leur dissolution, ce sont 35 organisations locales qui avaient répondu présent. « Ça a eu lieu parce que les gens nous connaissent et travaillent avec nous. C’est l’une des raisons qui font qu’on est beaucoup attaqués, parce qu’on est une organisation avec des positions radicales, mais on n’est pas isolés sur la scène politique locale ou nationale. Du coup ça gêne beaucoup les organisations politiques israéliennes. On serait un petit groupe dans notre coin à vociférer, ils s’en foutraient un peu plus… »
1 : Sur une position anti-coloniale, ils défendent l’idée d’un seul pays où cohabiteraient Juifs et Arabes, et non une solution à deux États prônée par d’autres courants pro-palestiniens. Le collectif soutient la résistance « sous toutes les formes qu’elle juge nécessaire et légitime, y compris armée » et insiste sur un soutien à « la résistance progressiste et révolutionnaire » (source : www.palestinevaincra.com).
2 : Front populaire de libération de la Palestine, marxiste et laïque, anticapitaliste et anti-impérialiste, fondé en 1967.
3 : Georges Ibrahim Abdallah est un communiste libanais pro-palestinien en détention en France depuis 37 ans. Incarcéré en 1984, cela fait 25 ans qu’il aurait dû être libéré. Chaque année un rassemblement a lieu devant la prison de Lannemezan, où il est emprisonné.
Texte : Emile Progeault / Photo : Antoine Berlioz