Dépeupler pour mieux régner !
Une fois retrouvé son fauteuil de maire après ses démêlés judiciaires, l’édile de Montauban, Brigitte Barèges, a souhaité poursuivre son œuvre politique : sortir les locaux syndicaux du centre-ville et brader la Maison du Peuple au privé. De quoi consacrer son étiquette de maire d’extrême-droite, confirmée en juin par son alliance avec les néo-fascistes du RN.
L’histoire de la Maison du Peuple de Montauban a commencé il y a plus de 90 ans. Entre le 3 et le 4 mars 1930, la ville est durement frappée par la crue du Tarn qui ravage les quartiers les plus bas de la ville causant la mort de dizaines de personnes et laissant des milliers d’autres sans abri. Dès le lendemain des dons arrivent de tout l’hexagone et même de l’étranger, pour la reconstruction, mais aussi pour des projets à même de relever la ville et sa population. Les mairies de région parisienne et le département de la Seine organisent un comité de collecte drainant des millions de francs or en quelques semaines. En juillet 1930, le conseiller général de la Seine, Henri Sellier, envoie une lettre à l’union départementale (UD) CGT du Tarn-et-Garonne pour lui annoncer que la moitié des sept millions de francs or dédiés au département ira à la ville de Montauban : « Il serait à souhaiter qu’on envisage la construction de la Maison du Peuple […] abritant en même temps, les organisations ouvrières, une salle des fêtes, des bibliothèques, un centre d’éducation populaire. »
Une Maison du Peuple, par le Peuple, pour le Peuple !
À la réception du don, la municipalité de Montauban prend un arrêté indiquant que la somme sera effectivement utilisée pour la construction en centre-ville de ce bâtiment, en concertation avec les syndicats. Des plans, provenant de la correspondance de l’architecte Germain Olivier avec le secrétaire général de l’UD CGT de l’époque, ainsi qu’une liste distribuant les salles aux organisations syndicales et associatives, permettent de voir l’implication de la CGT, à la fois partie prenante et destinataire d’une partie des locaux.
Achevée fin 1932 et investie progressivement par les syndicats, la Maison du Peuple est inaugurée le 1er mai 1936 en plein entre-deux tours des législatives remportées par le Front Populaire. L’édifice municipal est géré par une commission multipartite, dont les articles 1 et 2 du règlement expriment l’usage privilégié et permanent des locaux des étages par les organisations syndicales confédérées notamment, tout en stipulant l’impossibilité d’usage pour tout but commercial.
Forte des actions de certains de ses membres dans la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, l’UD CGT se voit confortée dans son usage des locaux de la Maison du Peuple à la Libération. Un nouveau règlement émerge par délibération du 28 septembre 1945 et sera régulièrement validé tout au long du XXe siècle, sans jamais véritablement pouvoir être protégé par une législation nationale spécifique aux locaux des syndicats.
Jusqu’à nos jours et durant toutes ces années, se seront déroulées de nombreuses activités syndicales, des fêtes populaires, des réunions en tout genre et des manifestations de solidarité. De l’exode des républicain·es espagnol·es et des italien·nes fuyant le fascisme dans les années 1930, aux réfugié·es d’aujourd’hui, la Maison du Peuple de Montauban est surtout une Maison des Peuples, un bien commun pour la population.
Expulser les syndicats
Une belle histoire à laquelle Brigitte Barèges, maire de Montauban depuis 23 ans, dans la solitude qui caractérise ses décisions, a décidé de mettre fin de manière arbitraire. Cela a débuté le 17 mai 2019, lorsqu’elle dénonce une occupation illégale d’une partie des locaux par l’association RESF (1) qui accueillait des demandeurs d’asile sans logement. Ni une ni deux, elle décide de faire changer les serrures… L’UD CGT, qui soutient RESF et qui poursuit son légitime usage des bureaux, se voit dès lors refuser l’accès au bâtiment et n’a plus la possibilité d’assurer ses permanences.
S’en suivent deux délibérations en 2019 et 2020 dans lesquelles la majorité municipale entend changer la destination du bâtiment pour en faire un tiers-lieu communal – projet auquel une partie de l’opposition au conseil municipal a pu adhérer dans la mesure où il s’agissait, en apparence, de perpétuer un usage public sans vocation commerciale. Barèges annonce aussi vouloir réaliser des travaux et reloger ailleurs une partie des organisations syndicales. De façon plus sournoise, elle profite d’une de ces délibérations pour y inclure discrètement l’abrogation des délibérations de 1945 et de 1966, lesquelles attribuaient l’usage d’une partie des locaux à la CGT. Sollicité par la suite, le tribunal administratif annule cette décision, considérant que la maire a tout simplement omis d’informer, de manière claire, les membres du conseil municipal sur les réelles conséquences de leur vote.
Dans la même décision le tribunal déboute la CGT quant à sa détermination à réintégrer ses locaux de la Maison du Peuple, au titre de l’absence d’obligation légale pour la municipalité de loger une organisation syndicale non représentative de son personnel… Une année après avoir changé les serrures, Barèges déloge officiellement la CGT en août 2020.
Un centre-ville embourgeoisé, sans la CGT
Cependant, depuis le départ de la CGT, la Maison du Peuple demeure fermée et aucun projet n’a émergé. Les travaux, jugés trop dispendieux par la mairie, et le contexte de la crise Covid ont permis à la majorité municipale d’argumenter en faveur d’une nouvelle délibération prononçant cette fois, le 30 novembre 2023, le déclassement de ce bien public afin qu’il puisse être vendu à une entrepreneure privée. Barèges assume sans gêne : « Je suis attachée au droit syndical, mais nous avons longtemps maintenu une coutume qui consistait à loger des syndicats départementaux alors que ce n’est pas une obligation légale. Il manque une locomotive en centre-ville, des salles de réunion ou de conférence. Nous voulons donner un nouvel élan à ce bâtiment. Ce ne sera peut-être pas avec des galas de la CGT, mais la Maison du Peuple sera ouverte au public. »
La phrase est lancée : « Je suis attachée, mais… ». Commencer par une fausse affirmation et la nuancer immédiatement revient généralement à trahir l’intention réelle. Le résultat est là : au moment où cet article paraît, plus aucune union syndicale n’a de locaux dans le cœur de ville de Montauban. Et si la maire souligne publiquement qu’elle a bien relogé la CGT ailleurs, dans des locaux municipaux rue d’Albert, depuis août 2022 elle s’acharne à les en expulser. Changements de serrures (en plein été 2022) et avis d’expulsion s’enchaînent, l’UD CGT est acculée et déménage à nouveau en juin 2024, dans le quartier de la Fobio éloigné du centre-ville.
Rapporté aux propos limpides de Barèges dans Valeurs actuelles en novembre 2023 (2), on comprend mieux le projet de société de la majorité municipale. Sécurité, exclusion, précarisation des plus vulnérables. Une politique aux antipodes des idées que défendent les organisations syndicales de Tarn-et-Garonne, CGT en tête.
Quant à l’argument du manque de locaux dans le centre, il ne tient pas la route : plusieurs salles publiques existent et affichent rarement complet. Ce dont la ville a besoin, c’est plutôt davantage de soutien aux initiatives associatives et culturelles inclusives et émancipatrices qui font vivre le tissu social, loin des coups de comm’ aux fins politiques. « La Maison du Peuple sera ouverte au public », nous dit la maire : mais quel public ? Un public choisi par le portefeuille ? Certainement, puisque l’entrepreneure privée a l’intention d’y installer une franchise de la FNAC !
Barèges fait d’une pierre deux coups : expulsion des associations et syndicats du centre-ville et mise en concurrence de commerces culturels indépendants avec une chaîne nationale. Dans une délibération de juin 2020, l’édile présentait la Maison du Peuple comme « l’un des plus beaux bâtiments historiques de la ville » pour promouvoir son projet de tiers-lieu municipal – finalement abandonné – et convaincre l’ensemble des élu·es du conseil municipal de voter l’abrogation de la délibération sur les usages du bâtiment. Elle parle, trois ans plus tard, « d’accroître l’attractivité du cœur de ville » et de « redynamiser notre centre-ville en accueillant et développant des espaces commerciaux de proximité » pour justifier sa vente.
Tapis rouge pour la FNAC
Le magazine de l’agglomération de février 2024 nous apprend qu’un pré-accord entre la municipalité et une franchise FNAC a été passé afin de vendre le rez-de-chaussée et l’entresol du bâtiment représentant 550 m² pour la somme de 250 000 euros, et que c’est Martine Bosc Coulomb qui se porte acquéreuse. Libraire indépendante, installée à Albi depuis 1988, elle a récemment « sauvé » son business en passant sous pavillon FNAC à la surprise générale. Faut-il préciser que le centre-ville de Montauban compte deux librairies indépendantes, un bouquiniste et plusieurs autres commerces (jeux, musique, papeterie, boutique de téléphonie) qui vont nécessairement souffrir de la concurrence d’un nouveau commerce tel que la FNAC dont l’implantation est annoncée pour 2025 ?
Les choses ne s’arrêtent pas là. En avril 2024, à la stupéfaction générale, une consultation de marché public a été diffusée par la municipalité de Montauban pour la réalisation de travaux à la Maison du Peuple avec un budget estimé de deux millions et demi d’euros, hors taxe. Des travaux qu’elle jugeait trop chers en 2023 dans le cadre du projet de tiers lieu, mais qui, cette fois, seraient réalisés dans le but de conclure la vente avec Madame Bosc Coulomb. Mais il y a comme un trou dans la raquette : deux millions et demi d’euros… le calcul est simple, c’est dix fois le prix de vente (net) annoncé dans la feuille de chou de l’agglo !
La privatisation à grands frais de cet espace public, de cet espace de luttes et de rencontres, est une grande perte pour Montauban. C’est un outil en moins pour défendre localement les droits de tous et toutes et les valeurs de solidarité et d’entraide. La population montalbanaise laissera-t-elle Barèges brader cette Maison du Peuple à une franchise d’un grand groupe privé ? Acceptera-t-elle de laisser la ville aux mains de cette femme d’extrême-droite, qui alimente la haine des étrangers pour mieux protéger les classes privilégiées ?
1 : Réseau d’Éducation Sans Frontières
2 : « J’ai créé une vraie police municipale, qui ne soit pas des gardes champêtres, que j’ai armée dès 2002, avec de la vidéosurveillance partout » ; « Il y avait des quartiers ghettos d’immigrés que nous avons cassés pour pacifier » ; « J’aimerais aussi que l’on puisse priver les familles de mineurs délinquants d’allocations familiales » ; « J’ai la culture du chef, il faudrait trouver l’homme providentiel. »
Barèges, Bardella, même combat
On pouvait déjà aisément classer Barèges à l’extrême droite, tant elle a opéré un glissement vers les thèses du RN depuis quelques années, malgré son étiquette LR (1) : préférence nationale, discours anti-immigration, anti mariage pour tous (« Pourquoi pas une union entre animaux », déclare-t-elle en 2011 en commission des lois). Fin 2020, elle tente une alliance avec Robert Ménard. Mais en 2021, patatras, elle est accusée de détournement de fonds publics : son chargé de communication Jean-Pierre Fourment, payé par la mairie, dit avoir été chargé d’infiltrer le Petit Journal du Tarn-et-Garonne pour publier sous pseudo des articles à la gloire de Brigitte et hostiles à l’opposition. Barèges est condamnée à une peine d’inéligibilité en première instance. Mais Fourment se rétracte en appel, elle est relaxée et retrouve son fauteuil de maire. Depuis, décomplexée par son retour aux commandes, Barèges s’obstine dans ses pratiques. La police municipale est dorlotée. Toujours dans l’air du temps, la maire a interdit la circulation des vélos et trottinettes dans l’« hypercentre » par arrêté du 28 février 2024. Elle a fermé l’école Marcel Pagnol en juillet 2023, à la faveur du départ en retraite de deux enseignants, d’une prétendue baisse d’effectif et de la nécessité de réaliser des travaux. Elle a annoncé la construction de deux nouveaux hôtels trois et quatre étoiles Grand Rue Sapiac, qui vont prochainement sortir de terre, en lieu et place d’un ensemble de bâtiments municipaux (qui logeaient notamment, coïncidence, les UD des syndicats FO, FSU, CFDT ainsi que l’UL de la Croix Rouge, tous relégués en périphérie).
Pour celles et ceux qui auraient oublié la proximité entre Barèges et Ménard, l’actualité électorale brûlante a donné à la maire l’occasion d’éclaircir ses positions lors d’un débat télévisé pour les législatives dans la première circonscription du Tarn-et-Garonne, le 19 juin : « Si je suis députée à l’assemblée, je ne m’interdirai pas de voter des textes quand ils me conviendront notamment sur le plan des textes que l’on appelle régaliens : sécurité, immigration. ». En effet elle ne s’interdira rien du tout puisqu’elle a fait alliance ! Le RN ne lui a opposé aucun candidat dans la circonscription, suite à l’accord entre Ciotti et Le Pen, et Barèges est officiellement reconnue par la préfecture comme une candidate de « l’union d’extrême droite ». Elle peut donc désormais reprendre sans complexe le discours irréel frontiste en affirmant, lors du débat précité, vouloir « stopper la submersion migratoire en retrouvant notre souveraineté », ou dans L’Opinion (2), s’épandre sur « une délinquance très dangereuse avec des terroristes et des personnes qui n’ont pas la même culture que la nôtre et qui, pour un oui ou pour un non, sortent un couteau. » Terroriser la population pour un siège de maire ou de député, voilà le danger public !
1 : Relire notre article de mars 2021, « Montauban, bastion de l’extrême droite », L’Empaillé régional n°1.
2 : www.lopinion.com, 25/06/24.
Texte : OLIMPƎ (Organisation des Luttes Internationalistes pour les Maisons du Peuple) avec l’UD CGT 82 / Dessins : Triton