Ménopause : faire peau neuve
Le plan de santé hormonale pour les femmes ménopausées annoncé en mai par Macron, et la gestion médicalisée qu’il induit, a dû ravir l’industrie pharmaceutique. Pendant ce temps–là, entre Saint-Antonin et Gaillac, les femmes de la compagnie l’Espante et de l’association Sonnets Trois Fois ont préféré s’emparer de la question avec leurs outils artistiques. Elles ont présenté en public les premières étapes de Peau Neuve : un travail de création issu de neuf mois de recherche avec huit femmes ménopausées. A l’aide d’enregistrements et de photos en noir et blanc, elles libèrent la parole pour se défaire du tabou.
Ce 26 avril au soir, pour la représentation de Peau neuve, la médiathèque de Saint-Antonin fait le plein… de femmes. Sur scène, Sarah, Aurore et Coralie se tiennent debout devant nous, avec un sourire gêné. La performance commence par leurs doutes, leurs hésitations. Se pencher sur la ménopause n’a pas été une évidence pour ces artistes qui n’en ont pas encore vécu l’expérience. Le sujet est trop sensible, ou peut-être fait-il peur ? Alors, elles invitent sur scène les femmes avec qui elles ont mené leur processus de recherche, pour explorer avec elles, les vécus et les corps, les « on dit » et les métamorphoses à l’œuvre. Nous les écoutons parler tout bas entre elles : « Est-ce que quelque chose change dans la façon dont les autres te perçoivent, peux-tu raconter une anecdote ? » Le public tend l’oreille, se rapproche de cette intimité, de ce partage d’expériences . Comme une veillée moderne, où se partagent des histoires qui nous renforcent, et qui construisent la culture commune des femmes.
D’où naît le projet de Peau neuve, et pourquoi ce titre ?
Les artistes : C’est un pied de nez à « vieille peau », cette expression dévalorisante mais bien ancrée dans l’imaginaire collectif pour décrire une femme ayant dépassé un certain âge. Mais il fait aussi allusion à l’expression « faire peau neuve », avec l’intention d’aller vers un renouveau qui fasse table rase des préjugés autour de cette période de la vie d’une femme. Si la peau se ride, se trace autrement, le processus de régénération n’en continue pas moins inlassablement. Elle regorge de vie au-delà des apparences. L’entrée en ménopause n’est pas à lire comme une fin mais comme une métamorphose. Et puis Peau neuve évoque Peau d’âne, ce qui ouvre des liens avec l’univers du conte et en particulier avec ceux proposant à la femme une disparition temporaire des regards, pour échapper à la prédation, afin de vivre plus librement son renouveau.
Comment commence l’aventure ?
Après M’avions pas dit, notre spectacle précédant autour du post-partum, deux femmes de l’association Famille Rurale Penne-Vaour nous ont proposé de nous pencher sur la ménopause, période qu’elles décrivent comme vraiment difficile à la fois socialement, financièrement, professionnellement et psychologiquement. Nous étions d’abord réticentes. Nous-mêmes non ménopausées, avons réalisé plus tard que nous étions porteuses des préjugés qui participent au dénigrement des femmes plus âgées. Le projet les a déconstruits. Nous avons été transformées par l’engagement, la générosité, la capacité d’écoute, la sororité des 8 femmes qui ont répondu à l’appel que nous avons fait circuler dans les réseaux locaux et différentes associations. Chaque mois, nous avons utilisé nos outils somatiques et artistiques (le théâtre, l’écriture, la danse) pour déplier un thème : le sang, le temps, l’image de soi, la sexualité, la mort, le renouveau, la transformation… Ces femmes ont été enregistrées, photographiées, leurs textes retranscrits et, à travers le partage de leurs expériences, elles ont fait œuvre de transmission entre elles et autour d’elles.
Deux stéréotypes se côtoient sur la femme ménopausée : elle serait débridée sexuellement et donc dangereuse, et en parallèle elle deviendrait acariâtre et vieillirait prématurément…
Au moment de la ménopause, les femmes ont atteint une certaine connaissance d’elles-mêmes, de leurs moyens, de leurs responsabilités, de leur corps, de leur sexualité : elles accèdent à une certaine puissance. De plus, la ménopause signant l’arrêt de la posture de vigilance induite par la possibilité de tomber enceinte, la femme peut s’ouvrir à une vie sexuelle non contrôlée intimement mais également non contrôlable socialement. Quels sont les moyens utilisés par notre système patriarcal pour réduire, circonscrire la place de la femme ? Les accusations d’hystérie, de sorcellerie, de sensualité excessive, ont été utilisées depuis plusieurs siècles et sont toujours à l’œuvre en sous-marin. N’oublions jamais les bûchers à travers toute l’Europe, lisons Caliban et la sorcière de Silvia Federici. L’orientation vers une seule lecture médicalisée de la ménopause n’est-elle pas un autre moyen de garder le contrôle sur l’expérience vivante des femmes en fléchant leur compréhension des événements, plutôt qu’en les laissant décider de ce qui est bon pour elles ?
Comment analysez-vous le fait que ce sujet devienne aujourd’hui moins tabou ?
Il nous semble que cela provient d’un double mouvement. D’une part, les femmes échangent et s’organisent, se battent pour briser les tabous. D’autre part, un marché estimé à 600 milliards de dollars en 2021 est en jeu et les laboratoires pharmaceutiques s’y engouffrent avec ce que cela suppose de lobbying (cf. le plan Macron). D’où l’enjeu de créer des espaces ressources proposant des informations indépendantes, des temps de transmission et de partage entre femmes.
« Laissez-nous vivre ! »
Elsa et Ada ont participé au processus de recherche de Peau Neuve, de septembre 2022 à avril 2023. Extraits de leurs réponses au questionnaire intitulé « rencontres sensibles », utilisé pour déplier l’expérience et libérer la parole, à deux ou à plusieurs.
Comment la ménopause impacte tes activités, ton rapport aux autres, à toi-même ?
Elsa : Ce qui me vient en premier lieu, c’est la difficulté à parler de ce que je traverse. Il se trouve que je suis entourée d’ami·es plus jeunes que moi, j’ai assez peu de personnes proches qui vivent la même chose. C’est très loin des gens, donc soit c’est compliqué, soit il y a une gêne chez des gens qui pourraient être concernés, une espèce de tabou. Quand j’essaye d’aborder le sujet, il y a une stratégie d’évitement, je n’arrive pas à dérouler le propos. C’est quelque chose qui ne se parle pas. Du coup oui, je ressens un décalage. Comme on ne peut pas en parler et que moi je suis complètement là-dedans, c’est comme si je m’invisibilisais moi-même. Je sens bien que ce n’est pas un sujet autour duquel échanger, donc je ne suis pas un sujet, dans ce que je vis, là.
Je me suis dis que l’aventure que je vis avec le projet Peau neuve pourrait être une porte d’entrée pour parler de la ménopause. Du coup, j’ai commencé à en parler lors d’un apéro. Et là, trois hommes d’une quarantaine d’années se sont esclaffés en disant : peau neuve, c’est complètement inadapté comme titre ! Sous-entendu : quand on te regarde, ou quand on pense aux femmes ménopausées. C’est assez particulier à recevoir. J’ai senti là-dedans plus le malaise que l’agressivité. J’ai senti une énorme gêne. Le tabou. C’est quand même dingue de ne pas pouvoir parler de quelque chose qui concerne absolument tout le monde, puisque les hommes vivent aux côtés de femmes qui sont ou vont être ménopausées un jour.
Quel rapport au plaisir as-tu depuis que tu es ménopausée ?
Ada : Je me fais davantage plaisir. J’ai eu à un moment donné une perte de désir mais il y avait ce discours : c’est normal, c’est l’âge, c’est la ménopause. Jusqu’au jour où je me suis rendu compte que non. Mon corps pouvait se réveiller, avoir du désir, un élan, du plaisir. Et je me suis laissée porter par ça. Je me suis autorisée à me faire plaisir, à avoir du désir. J’ai écouté mon corps parler. Comment j’écoute mon corps ? Est-ce que je le laisse hurler pour vraiment l’entendre ou est-ce que je m’autorise à poser certains actes ? Si j’ai du désir pour certains hommes, alors allons-y. Cela pose le problème du désir des femmes qui sont bien dans leur corps et qui sont désirantes. Tout de suite c’est : qu’est ce qui lui prend ? Ben, on est vivantes alors laissez-nous vivre ! On est toujours dans cette lutte, il y a toujours un regard pour te dire : attention. Mais j’ai le droit. Jusqu’à quel point suis-je actrice de ma vie ? La maturité me permet de poser plus de limites, de vivre des actes d’expansion. J’ai besoin de continuer à me frayer un chemin, de traverser les entraves.
Qu’est ce qui a changé dans la manière dont les autres te perçoivent ?
Ada : Les regards qui me rabaissent, me figent et me ramènent à la condition de femme ménopausée, de noire, de célibataire. Il m’importe de dépasser le regard des autres et cela demande de prendre en main ma vie, de tourner mon regard vers mes sensations, de m’accorder plus de tendresse, de laisser place à l’écoute de mon corps, ses besoins pour affirmer ma présence. La vie des femmes est considérée comme un problème qu’il faudrait résoudre et moi, cela me fatigue. Mon corps a souvent été violenté par la médecine et pas que par des hommes. On est suivi depuis que l’on prend la pilule et là encore la médecine s’empare de nous et ne nous lâche plus. Il y a quelque chose d’effrayant. Je ne veux plus être prise en charge car je ne me sens pas malade. La ménopause est un fait physiologique, biologique, c’est les autres qui en font un problème.
« Un passage riche et fécond »
Le témoignage d’Agnès
« Quelque chose a stoppé et moi je continuais, comme si de rien… C’était il y a trois ans. Il fallait que je m’arrête. Je chaotais depuis que les règles s’étaient espacées puis avaient disparu. Je n’ai pas tout de suite fait le lien. Une intuition sourde seulement.
Peau Neuve m’a permis de déposer sur le sol toute cette part œuvrant dans l’ombre de mon intimité.
Tout un système extraordinairement complexe d’« ovulations/règles », une sorte de roulis, un ronronnement fluide, fonctionnant même si douloureux parfois, travaillant à sa tâche.
Ils huilaient mes rouages intimes.
Aujourd’hui, ça grippe. De partout, articulations pénibles, souplesse douloureuse, peau fripée, cheveux cassants, blancs, moral dans le doute…
À la ménopause, notre société occidentale rebat les cartes. D’un événement intime (l’arrêt des règles), la société change la donne de la place de la femme. Et il en a fallu de peu pour que j’intègre, même inconsciemment, le fait d’être potentiellement « finie », du moins « diminuée »…
Par le biais d’ateliers d’écriture, de moments dansés, de mise en commun des ressentis et le simple échange des expériences propres à chacune, j’ai remonté le flot et son roulis qui me fait femme, sa texture, son envergure, sa force, ses chutes…
Donc, se retrouver, se connaître, se faire reconnaître, s’aimer. Et, contribuer ! Telles les orques ménopausées qui guident la troupe. Je témoigne ici qu’il faut en parler à tous, à toutes, aux plus jeunes, que ce passage n’est pas du tout anodin, qu’il est riche et fécond, qu’il bonifie les expériences et soutient le devenir. Ce moment de pause et d’introspection au mi-temps du chemin devrait être offert à tous et toutes.
Qu’il est bon d’être une femme, abreuvée une grande part de sa vie par un fleuve complexe et fascinant, qui va bien au-delà de l’injonction d’enfanter. Et que ce sens de la navigation forcément acquis par toutes les femmes vaut de l’or. À tout âge ! »
Florilège masculiniste
» Pas vraiment homme, pas non plus femme fonctionnelle, ces individus vivent dans un monde d’intersexe. Ayant épuisé leurs ovaires, elles ont épuisé leur utilité en tant qu’être humain ».
Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe, David Reuben, 1969.
« Je ne suis pas fanatiquement attaché à expédier toutes les femmes de 50 ans dans un bureau ou dans une usine. Je pense qu’installer une femme ménopausée non équilibrée derrière un bureau la rendra malheureuse, agressive et qu’elle sera alors désagréable vis-à-vis des gens venant la voir. Il existe suffisamment de ronds-de-cuir pointilleux et insupportables. S’il devait s’y ajouter au fur et à mesure des femmes acariâtres, car entrant en ménopause (plus de huit millions de femmes sont ménopausées en France), notre pays ne serait plus vivable. En revanche rien n’est pire, à 50 ans, que de se retrouver seule, désœuvrée, à tourner en rond chez soi et à tenir alors le relevé exact de tous les troubles que l’on peut observer. Mais ce risque, à vrai dire, ne guette que les femmes imprévoyantes qui n’ont pas su organiser leur vie plus tôt. »
Le docteur Roszenbaum, gynécologue, cité dans la revue féministe Pénélope, 1985
Découvrir Peau Neuve :
À Bazart, Saint-Antonin-Noble-Val (Tarn-et-Garonne), installation du 19 juin au 15 septembre 2024, performance le 5 juillet.
A Caylus (lieu à préciser), portée par O’babeltut, performance le 2 août 2024.
À La Soulane, Jézeau (Hautes-Pyrénées) le 19 août 2024.
Pour plus d’infos : www.sonnets3fois.com / www.compagnielespante.fr