Numéro 3 régional

Iaata.info, un sabot dans le réseau

Iaata.info est un site collaboratif d’analyse et actualités fondé en 2013 dans la région toulousaine. « Information Anti-Autoritaire Toulouse et Alentours » se veut un espace, une fenêtre, un carrefour, où les méthodes pratiques et théories, locales et anti-autoritaires peuvent se croiser. On y trouve autant des appels à manifester que des rendez-vous pour des goûters-lectures, des revendications de sabotages ou des témoignages. Rencontre avec quatre membres du collectif de modération.

IAATA.info se définit comme un média « collaboratif ». Qu’est-ce que cela implique ?

Z. Ça veut dire que Iaata est un outil pour tous⋅tes. N’importe qui peut créer un compte sur le site et proposer un article, sans compétence journalistique particulière si ce n’est l’envie de raconter les luttes.

C. En tant que collectif de modération et d’animation, on essaie d’être seulement un appui : on n’est pas là pour produire du « contenu » journalistique, mais pour accompagner la rédaction ; par exemple, on a fabriqué des guides pour aider à la publication, réaliser des auto-entretiens ou rédiger des comptes-rendus. On essaie dans nos relectures de pointer d’éventuels oublis ou des manques de précision qui peuvent nuire à la compréhension.

Que signifie «Anti Autoritaire» et comment cela se concrétise dans votre activité ?

J. Anti Autoritaire c’est être contre toute autorité ! C’est pas rien… mais c’est surtout un positionnement politique à la fois large et précis dans le sillage de celles et ceux qui veulent transformer le monde sans prendre le pouvoir, qui ne veulent pas d’État même socialiste. C’est un terme qu’on s’efforce de discuter régulièrement entre nous, car il peut être fourre-tout. Est-ce que la référence à l’internationale anti-autoritaire(1) fait encore sens aujourd’hui ? Même dans le collectif ce n’est pas certain…

C. A IAATA, on s’est dit que cela signifiait avant tout de ne pas publier de textes qui perpétuent les rapports de domination (racisme, sexisme, transphobie, validisme, homophobie, etc). Ironiquement, anti autoritaire signifie donc que l’on s’autorise à pratiquer la censure… ce qui nous vaut d’être souvent taxé.es d’autoritaires!

B. De la même manière on essaie de faire attention aux rapports de dominations dans notre collectif, que ce soit dans notre fonctionnement interne ou dans notre rapport à la modération. Par exemple, le fait que le collectif d’animation du site se renouvelle assez souvent permet une évolution des dynamiques et des pratiques. À mon sens il y a un enjeu à ce qu’il y ait régulièrement du sang neuf pour éviter qu’une routine ne s’installe, qu’un petit groupe monopolise IAATA, ou que les ancien·nes prennent toutes les décisions.

En quoi consiste le travail de modération ? Et à quels choix de publication êtes-vous confronté.es ?

C. Le travail est assez routinier : lire les articles, vérifier qu’il n’y a pas de gros oublis ou coquilles et décider quelle place aura l’article sur le site : en une (sur la page d’accueil), en manchette (les deux gros titres en avant pendant quelques jours), ou dans le fil d’infos (les colonnes à droite sur la page d’accueil). L’article est validé lorsque deux membres au moins du collectif ont donné leur feu vert.

B. Un article en une ou en manchette sera plus visible, et donc souvent plus lu que ceux qui ne sont pas mis en avant. Lors de mouvements sociaux, unes et manchettes se renouvellent souvent, ce qui est moins le cas dans les périodes de moindre intensité. Ce n’est jamais évident de prendre cette petite décision : elle marque ce que l’on pourrait nommer une « ligne éditoriale », les articles étant au final un peu hiérarchisés selon l’exposition qu’on veut leur donner.

Vous refusez beaucoup d’articles ?

B. Juste assez pour continuer à avoir une réputation de censeur.

J. Depuis huit ans, on en a refusé 157… pour 4525 articles publiés. Donc non pas beaucoup.

C. C’est toujours un peu difficile parce qu’on est là pour publier des choses, pas pour les refuser. Les raisons sont multiples mais disons que ça démarre toujours par un désaccord d’au moins une personne du collectif. Chacun.e de nous a un droit de veto pour pouvoir bloquer la publication d’un article qui nous dérangerait trop mais dans les faits on y a peu recours. Parmi les raisons courantes de refus, on trouve des articles incomplets, où il manque les infos minimum nécessaires à sa compréhension, ceux dont les auteur.ices ne donnent plus signe de vie, ou ceux qui sont simplement des ramassis d’insultes. Il y a aussi des papiers qui vont attaquer une lutte déjà minorisée ; d’autres qui ajoutent de la confusion dans un temps qui n’en a pas besoin ; ou encore des articles multipostés sur plein de sites, qui ne concernent pas une actualité locale et qui ne nous provoquent pas une émotion particulière. On justifie systématiquement et collectivement nos refus. La question de l'(in)visibilisation des luttes est primordiale. Privilégier ceux et celles que l’on entend peu ou pas, faire attention à ne pas ignorer des personnes qui galèrent à publier. C’est quelque chose qu’on essaie d’avoir tout le temps en tête,en mettant en place le plus de garde-fous possibles : un renouvellement régulier des membres du collectifs pour ne pas figer les débats, une modération à plusieurs voix… Ça permet de rester attentifs-ves à ce qui pourrait être minorisé. Mais on ne va pas se mentir, on est loin de nos objectifs : actuellement on reste un collectif avec une majorité de personnes blanches, qui ont fait des études supérieures, habitant en centre-ville, etc. Et cette homogénéité de profils au sein de l’équipe se ressent forcément dans les choix de modération.

Z. Finalement, la question qui nous traverse le plus souvent est plutôt : pourquoi ne pas publier ?  Il est clair pour nous qu’on n’est pas en accord politique avec tout ce qui est présent. Pour autant on accepte la publication de certains groupes car on estime qu’ils portent une parole qui doit exister dans une lutte.

Savez-vous qui propose des articles?

Z. C’est dur à dire. Pas mal de collectifs viennent annoncer leurs différentes activités (manifs, permanences, concerts de soutien, etc.). Il y aussi des gens qui viennent publier des témoignages, des textes d’analyse, des trucs un peu plus énervés, des revendications d’action aussi… Bref il y a plein de formes d’écriture qui ont leur place sur le site, et plein de gens différent⋅es qui écrivent, selon les périodes.

J. Mais c’est quand même surtout de l’information locale, et centrée autour de la ville de Toulouse, même si on aimerait bien capter davantage les campagnes environnantes. Beaucoup de propositions d’articles alimentent l’agenda militant du coin. Après, certains articles sont diffusés à une plus grande échelle, notamment des textes d’analyse, et se retrouvent sur différents sites du réseau national.

C. Pour info on compte aujourd’hui (septembre 2021) 1804 auteur⋅es sur le site. Moins de la moitié a écrit plus de 2 articles et peut-être une trentaine a écrit plus de 10 articles. Des fois des gens se mettent à publier beaucoup autour d’une lutte ou d’un événement. Il y a des auteur⋅es très présent⋅es sur une année ou deux et puis ça change. Il y a aussi de vrais plumes… et aussi parfois des comptes collectifs.

Et vous avez parfois des désaccords ?

Z. Un article peut nous amener à des heures de discussions de fond, à rediscuter l’utilité du site et sa charte. Les personnes qui souhaitent publier sur le site sont prévenu.es, si vous voyez que votre article met du temps à être publié, soit vous n’avez pas de chance et vous êtes tombé.es sur les jours où tout le monde est parti à la plage, soit le collectif a besoin de temps pour décider du sort de votre texte.

J. Sur le fond on essaie de prendre les décisions au consensus et de faire durer autant que nécessaire les discussions pour ne pas se précipiter, sans céder à « l’urgence d’internet ». Nous pensons que le fond et la forme sont indissociables alors on peut dire qu’on est un collectif qui cherche l’égalité dans un monde structuré par des rapports inégaux.

IAATA fait partie du « réseau Mutu ». C’est quoi « Mutu » ?

C. C’est un réseau de sites internet de plusieurs villes en France, Suisse et Autriche, (et bientôt la Belgique) qui se sont construits sur une déclinaison du modèle lyonnais Rebellyon.info. Le réseau correspond à un projet simple : partager des expériences en tant que media local, et mettre en commun un certain nombre de dispositifs techniques. Une mutualisation de ressources et de pratiques qui associe pour l’instant une vingtaine de sites assez différents dans leur fonctionnement, dans la composition de leur collectif d’animation ou par l’espace dans lequel ils s’inscrivent. Il y a néanmoins un certain nombre de caractéristiques communes à tous les sites du réseau comme la publication participative, les idées politiques anti-autoritaires ou l’ancrage dans le contexte local. Chaque site utilise un même langage de développement et une même interface de publication, et un portail (https://reseaumutu.info/) réunit les unes de chaque site. C’est Bourrasque à Brest, Manif’est à Nancy, Marseille Info Autonome, Renversée à Genève, La bogue à Limoge etc. Dix-huit sites en tout…

J. Régulièrement, les collectifs du réseau se retrouvent pendant deux ou trois jours. Il peut y avoir des divergences de fond dans notre manière de traiter l’actualité ou de nous organiser. Un article refusé par un site peut être accepté par un autre, et il est passionnant de discuter de ces processus de décision. D’un point de vue technique, c’est aussi le moment de s’entraider sur des questions de développement web et de permettre à des collectifs qui n’ont pas les compétences suffisantes en interne de pouvoir continuer d’exister. 

Avec la profusion de blogs et de réseaux sociaux, cela a du sens de faire encore des « sites internets »?

Z. En réalité, on a des comptes sur certaines plates-formes (Twitter et Telegram) où l’on fait de la republication automatique des articles publiés sur le site. Certains articles tournent pas mal sur Facebook via des personnes qui les relaient. Nous savons qu’il y a des personnes à cet endroit qui peuvent nous lire avec intérêt et avec qui nous avons envie de nous lier aussi. C’est le compromis qu’on a choisi pour ne pas toucher uniquement un public convaincu, mais pour diffuser l’information plus largement. On utilise également les réseaux pour faire un peu de veille : quand il y a des événements, grèves, manifs, émeutes… et pour aller à la pêche aux infos.

B. Rappelons quand même que les réseaux sociaux vivent de la collecte et de l’utilisation de nos données. À l’inverse sur IAATA, ainsi que sur tous les autres sites Mutu, il est possible de publier anonymement en utilisant une adresse mail jetable et en passant par le réseau TOR (2).

Z. Historiquement, le réseau Mutu s’est constitué pour permettre une autonomie matérielle des sites d’information, en dehors des GAFAMs. Le réseau dispose de ses propres serveurs et les sites sont développés avec SPIP, un logiciel libre conçu pour permettre un travail d’édition et de publication horizontal et collectif.

B. Cette autonomie est sécurisante. Plusieurs obstacles légaux et techniques protègent en effet les sites du réseau Mutu d’une censure devenue presque banale sur les réseaux sociaux. Les réseaux sont peut-être plus adaptés à des collectifs qui souhaitent communiquer à de grosses audiences mais on n’y maîtrise rien et une grande partie des contenus est inaccessible sans compte. Surtout, n’oublions pas que les entreprises ne se cachent pas de divulguer les coordonnées des utilisateur.ices aux flics qui le demandent. 

Z. Il y a aussi un truc qui se joue autour de la temporalité. Sur les réseaux, la durée de vie d’une prise de parole est très courte, elle va avoir tendance à être noyée dans les flux massifs d’informations qui caractérisent ces médias. Les sites internet ont une temporalité plus lente, il est encore possible de lire un article publié il y a des semaines ou des mois sur IAATA sans que ça perde trop de sens. Cette fonction d’archivage nous semble fondamentale. En fouillant un peu on peut trouver plein de choses écrites sur les luttes passées et qui peuvent nous éclairer encore aujourd’hui. 

B. Pour autant il nous arrive aussi de travailler dans l’immédiateté. On produit par exemple régulièrement des « suivis de manif » publiés en simultané sur le site et les réseaux sociaux. À notre initiative ou parfois à celles d’organisateur·ices de manifs, on transmet en temps réel des informations reçues depuis les cortèges. Pendant les GJ par exemple, ces suivis avaient une énorme audience, les gens s’y référaient pour savoir où se retrouver après des dispersions par les flics, prévenir d’éventuelles arrestations ou nasses policières, etc. Malgré tout, ça nous a parfois donné l’impression de participer à une forme de sensationnalisme des luttes ou de surexposer les pratiques insurrectionnalistes au détriment des autres.

Est-ce qu’il y a eu des changements marquants depuis que le site existe tant du côté de l’équipe que des publications?

C. On est passé d’un petit site confidentiel à deux ou trois mille vues uniques par jour aujourd’hui. À chaque mouvement social on constate un pic d’audience qui nous amène à plus de 120 000 visites par mois. Les manifs suite à la mort de Rémi Fraisse, la loi travail et les Gilets jaunes ont vraiment été des moments importants dans la vie du site. Pendant ces périodes, le nombre de visites a explosé et des personnes qui n’étaient clairement pas habituées aux types d’écrits et aux idées habituellement publiés se sont mis.es à y écrire.

B. Aujourd’hui, il y a une plus grande variété dans les thèmes et les types de publication qu’aux débuts du site en 2013. Je pense que ça chamboule pas mal de monde, au sein du collectif d’animation comme pour des lecteurs et lectrices plus ancien.nes. Mais est-ce un problème de passer d’un communiqué syndical à une revendication de sabotage en un clic ? Pour l’équipe actuelle, pas forcément.

J. Bien que l’on ne souhaite pas être une simple vitrine syndicale, nous estimons malgré tout qu’un communiqué de blocage ou de grève de travailleur.ses a sa place sur le site. Et même si on préférerait un discours autonome alternatif, malheureusement, les syndicats sont souvent les seuls à être présents sur ces luttes et à proposer des communiqués. Ce sont des choix de publication qu’on fait, et qui ont amené certain.es à délaisser le site…

Z. Parfois on se dit que le fait que Iaata soit critiqué à la fois pour sa radicalité et son manque de radicalité veut peut-être dire qu’il est finalement à la bonne place, en représentant les luttes dans leur diversité !

1 : Si on veut revenir à l’origine du terme, on trouve une référence à l’Internationale anti-autoritaire, créée en 1872 par les anarchistes exclus de la 1ère Internationale qui s’est recentrée autour de Marx. Mikhaïl Bakounine, James Guillaume et les anarchistes d’autres fédérations et sections se sont alors réunis dans le village de St Imiers, dans le Jura Suisse : c’est la naissance du mouvement anarchiste organisé.

2 : The Onion Router est un logiciel permettant de naviguer sur le web en dissimulant efficacement son adresse IP. Les adresses en « .onion » ne sont accessibles qu’en passant par ce logiciel. Tous les sites mutu disposent de ce type d’adresse pour laisser un minimum de traces.

Publie tes luttes

Le site n’existe que par les contributions de toutes celles et ceux qui se mêlent du monde tel qu’il ne va pas… Tu trouvera sur le site des tuto et tout un tas d’astuce. www.iaata.info/Comment-publier-394.html

Texte : Iaata / illustration : Manoï