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Résister joyeusement
Loin de nous l’idée de vous imposer une énième injonction, qu’elle soit au bonheur, à la résilience, ou pire, au bien-être. Le bonheur est un mythe. Cet état de complète satisfaction, durable et stable, pourrait même être une forme d’assujettissement par le pouvoir. Profiter de vacances paisibles, avoir un emploi garanti, une maison bien remplie et une retraite confortable en camping-car. Car le bonheur, cela suppose non seulement d’être satisfait de sa propre condition mais surtout de rester insensible aux souffrances, aux oppressions, aux malheurs qui nous entourent. D’autant qu’en cette rentrée, les astres semblent bien mal alignés : entre le dérèglement climatique et un monde orwellien de contrôle massif de la population, ajouté à un niveau de tension sociale sans précédent, une fascisation des discours et une répression accrue des opposant.es politiques... Sale temps pour celles et ceux qui crient leur rage et refusent de plier.
Gilles Deleuze estimait qu‘il est dans l’intérêt des gouvernants de nous communiquer des affects tristes, qui diminuent notre puissance d’agir : « Les pouvoirs établis ont besoin de nos tristesses pour faire de nous des esclaves », disait-il. Comment continuer alors à vivre dans tout ce merdier ? Peut-être est-il nécessaire de fuir cet idéal de bonheur, reconnaître que l’on vit des heures assez sombres et bien ouvrir grand les yeux et les oreilles.
Les zapatistes ont déclaré à Madrid le 13 août dernier dans un communiqué prophético-poétique : « Le lendemain ne se prépare pas dans la lumière. Il se cultive, se protège et prend naissance dans les ombres insaisissables du petit matin, quand la nuit commence à peine à céder du terrain. Les tremblements de terre qui secouent l’histoire de l’humanité commencent par un « ça suffit » isolé, presque imperceptible. Une note discordante au milieu du bruit. Une fissure dans le mur. » Et nous avons bien envie de croire que c’est dans ces petits interstices que se trouve un sentiment beaucoup plus accessible que le bonheur : la joie.
C’est comme la douleur, ça peut être long ou très court mais c’est ce qui rend la vie intense, c’est une possibilité de vivre de nouvelles choses, une façon de défaire les règles.
Les habitant.es de l’autoproclamée « Commune Libre de la Plaine » à Marseille tout comme les Gilets jaunes, en vivant l’effervescence des luttes et la puissance collective qui en découle, sont traversés par des instants de joie. Comme tous ces moments où l’on s’autorise à tenter quelque chose de nouveau : prendre sa caméra pour filmer autour de chez soi, oser écrire pour la première fois un article et le poster sur un site collaboratif, découvrir au fond d’une librairie un recueil de poésie inconnu et le ramener chez soi comme un trésor, ou le dévorer sur un banc. Dans la vie quotidienne, la joie passe par la spontanéité des rencontres, le goût des grandes tablées, l’ivresse du faire ensemble, la beauté de la nature sauvage comme la richesse de la ville tourbillonnante.
« N’imaginez pas qu’il faille être triste pour être militant, même si la chose qu’on combat est abominable », conseillait Michel Foucault. D’où la nécessité de vivre intensément les moments de joie qui se présentent à nous, de les provoquer et de transformer nos luttes collectives en luttes joyeuses, puissantes et émancipatrices. Rien que ça !
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