Chronique d’une arrestation ordinaire
Le 15 juin 2021 en Limousin douze personnes ont été perquisitionnées, six placées en garde à vue et trois mises en examen sous contrôle judiciaire. Dans cette enquête* sur l’incendie de véhicules Enedis en 2020 et d’antennes relais en 2021, les accusations vont de « destructions en bande organisée » à la fumeuse « association de malfaiteurs ». Marie-Claire nous raconte ici son calvaire policier et judiciaire.
J’étais institutrice, syndiquée, plutôt de gauche et écologiste.
Le 15 juin 2021, à 6h15 du matin, j’ai entendu des cris chez le voisin. Le hameau était rempli d’uniformes, surarmés, cagoulés. Mon voisin avait été, par erreur, braqué au petit matin ! Une part de lui est morte ce matin où les policiers l’ont traumatisé à vie en croyant pénétrer chez moi. Des policiers sont arrivés et m’ont menottée dans le dos. Je ne comprenais rien.
Ils ont perquisitionné la maison. Il y avait la SDAT (sous direction de l’antiterrorisme), le PSIG, la police judiciaire. Des gendarmes barraient les routes d’accès au village. On m’a embarquée. Beaucoup de gens s’étaient rassemblés, très choqués par la violence de la scène. Je suis restée quatre jours en garde à vue. Mon avocat m’a demandé de garder le silence. C’est un droit et je le conseille parce qu’on est en état de choc dans ce cas-là. L’avocat ne connaît pas le dossier. Il n’y a que les policiers qui le connaissent et essaient de piéger les gens jusqu’à ce qu’ils s’accusent eux-mêmes. Le 18 juin, après avoir entendu un résumé de l’affaire par la police, la juge m’a mise en examen sous contrôle judiciaire pour association de malfaiteurs. J’avais été surveillée, suivie, écoutée, les courriers lus, les domiciles des amis sur écoute, les voitures, les téléphones.
J’ai été placée sous contrôle judiciaire strict : assignée au département de la Creuse. Je ne pouvais plus aller chez ma fille et mon petit-fils à 10 km… en Corrèze. Je n’avais pas le droit de manifester sur la voie publique et on m’a interdit de voir cinq personnes. Je devais pointer tous les quinze jours à la gendarmerie. Ça a duré six mois. J’ai fait plusieurs demandes de levée du contrôle judiciaire, toutes refusées.
Un contrôle judiciaire sert à éviter la réitération des faits, la communication entre inculpés ou la fuite. Ce sont des interdictions et des obligations qui sont plus ou moins contraignantes. On pourrait croire qu’il faut des éléments probants pour être mis en examen et sous contrôle judiciaire, or il suffit de faisceaux d’indices concordants, de raisons plausibles de supposer que…
On met en examen, sous contrôle judiciaire voire en détention provisoire des personnes que les renseignements généraux désignent comme suspects. La garde à vue et les arrestations servent à faire pression pour recueillir des aveux. La perquisition sert à chercher des preuves et faire du renseignement. En France, le contrôle judiciaire est une punition sans jugement, une atteinte à la liberté, une souffrance psychologique et les arrestations sont d’une violence inouïe. Les journaux aux titres terrifiants ajoutent une violence médiatique.
Après mon arrestation, le directeur académique m’a suspendue de mes fonctions de directrice d’école et d’enseignante pour me protéger et protéger le service a-t-il précisé. Il n’a fait que bafouer la présomption d’innocence et m’a volé ma fin de carrière contre mon avis, celui des élus de la commune et des parents d’élèves qui lui avaient demandé de me laisser terminer l’année scolaire. Une longue période de dépression nerveuse a suivi cette décision.
En plus, pour me défendre, j’ai dû dévoiler une partie de ma vie intime. J’avais une relation amoureuse avec une autre inculpée. La justice a utilisé cette information pour faire pression sur nous. Serait-ce de l’homophobie ? Pendant un an la justice n’a pas eu le temps de nous entendre et même après un premier interrogatoire elle continue de nous broyer en silence. Notre relation amoureuse n’est sans doute pas conforme au modèle de la famille nucléaire hétéro-normée et peut-être paie-t-on pour ça aussi.
Mon contrôle judiciaire a été levé le 27 octobre 2022 et le dernier scellé (sur 12), à savoir mon ordinateur, m’a été rendu. Mon amie a vu son contrôle judiciaire allégé et nous pouvons donc nous revoir. Il aura fallu plus de 16 mois ! Je suis toujours mise en examen pour association de malfaiteurs en attente d’un procès ou d’un non-lieu.
Nous avons eu la chance d’avoir beaucoup de soutien. Mais j’ai perdu beaucoup de points de vie dans cette histoire. Je voulais écrire cet acharnement policier et judiciaire sur des personnes dont les opinions politiques dérangent la logique capitaliste. La stratégie utilisée est la terreur, une mise en scène délirante lors des arrestations, des moyens démesurés et des mois de privation ou de limitation de liberté.
Et pendant ce temps-là, les puissants continuent à détruire la vie en toute impunité. On muselle, on écrase, on défait les liens, on criminalise à tout va. Si seulement tout l’argent mis dans la répression était utilisé pour le bien commun… La criminalisation des mouvements écologistes n’est pas nouvelle, pas plus que les arrestations arbitraires pour orientations politiques, chants, écrits, lectures qui dérangent un pouvoir qui n’a pas tout à fait bonne conscience, mais les moyens utilisés sont de plus en plus redoutables, légitimés par des lois de plus en plus liberticides. L’État, aidé de ses forces de répression, appuyé par une presse décomplexée et des fonctionnaires zélés qui devancent la justice, vient de faire la démonstration, encore une fois, de la dérive totalitaire dans laquelle il entraîne ce pays.
Marie-Claire, arrêtée brutalement le 15 juin 2021, gardée à vue pendant quatre jours, mise en examen et sous contrôle judiciaire, suspendue par sa hiérarchie, privée de relation avec son amie pendant plus de 16 mois et en attente d’un jugement ou d’un non-lieu.
* On racontait cette affaire dans le numéro 4, dans « Face au mépris, le feu ? ». « Les trois personnes mises en examen après ces descentes sont accusées de deux actions. En février 2020, huit voitures d’Enedis ont été incendiées à Limoges, avec une revendication qui vise plusieurs facettes du monde connecté : contre le « linky », le « big data » et « big brother ». En janvier 2021, des antennes de radio, télé, téléphonie et militaires avaient été incendiées aux Cars, au sud de Limoges par le « comité pour l’abolition de la 5G et son monde », dans une opération poétiquement nommée « Voix du vent et chants d’oiseaux ». Le parquet de Limoges, pour des accusations de dégradations de biens, a choisi les moyens d’enquête et le régime antiterroriste, dont les très éprouvantes 96 heures de garde à vue. Des régimes d’exception votés sous les émotions du 11 septembre et des tueries de masse, utilisés pour des câbles et des routeurs abîmés. On en est là. »