Voyage en Occitanie « post-vérité »

L’onde de choc mondiale qu‘a provoquée la Covid-19 et sa gestion capitaliste n’ont pas épargné l’Occitanie de la peur virale. Le concept d’« ère post-vérité » est marqué par une culture politique qui, de la gauche libérale à la droite fasciste, oriente le débat vers les émotions plutôt que les faits, pour modeler l’opinion. Proche de nous, ce confusionnisme a même atteint les milieux de gauche radicale. Équipé·es de nos lunettes 3D anti-autoritaires, nous allons explorer la complosphère régionale, mêlant écologie « apolitique », développement personnel, santé naturelle et New Age. Attachez votre casque !

À l’heure où une information fausse se propage cinq fois plus vite qu’une vraie (1), nous vivons dans une « économie de l’attention », où les croyances sont plus importantes que les faits eux-mêmes. Les internautes et plateformes internet n’étant pas soumis à la déontologie journalistique, la propagation d’informations non vérifiées et d’opinions personnelles n’a jamais été aussi massive. Les opportunistes de la pandémie ont vu leur popularité se massifier sur les réseaux dit sociaux. Depuis une dizaine d’années, l’Alt-right américaine suprémaciste profite de la défiance envers les médias mainstream pour répandre des rumeurs virales (renommées « faits alternatifs »(2)) contre ses ennemis politiques. En France, la « réinformation » popularisée par Bruno Mégret (ex-FN) utilise le même procédé de détournement de faits divers, pour les réorienter vers les idéologies d’extrême droite : racisme, nationalisme, négationnisme, antisémitisme, anti-féminisme, anti-LGBTQIA+…

L’emprise des gourous de la « santé naturelle »

Notre expédition commence dans le relief en creux du Rouergue, où l’ancien homéopathe Olivier Soulier aurait accueilli l’an dernier des membres de « Réinfo Covid » pour un projet d’installation, nous dit la presse locale. Ce réseau a été créé par le médecin Louis Fouché, proche de « la Manif pour tous » (contre le droit à l’avortement, le mariage et l’adoption pour les couples homo), des Colibris et des anthroposophes (3). Le réseau, qui se proclame « apolitique et citoyenniste », est pourtant animé par de vraies personnalités de droite dure et a même lancé ses propres listes électorales lors des régionales de 2021. Le noyau dur participe à la désinformation sur la pandémie et colporte des contrevérités sur des sites de réinformation (4) ou dans le documentaire conspirationniste Hold-up, réalisé par un partisan de la Manif pour tous. Cet été, à Toulouse, une trentaine d’affiches mensongères ont défrayé la chronique sur des panneaux géants : « Vaccins anti-Covid : 1’accident cardiovasculaire pour 100 injections » pouvait-on lire au dessus d’une photo de seringue. Les affiches ont été signées par l’auto-proclamé « Conseil Scientifique Indépendant » et on pouvait voir dans une seconde version les logos de Réinfo Covid et de Réinfo Liberté (l’association récoltant des fonds pour ces campagnes de désinformation). À Foix, lors de la manifestation hebdomadaire pour l’abrogation du passe sanitaire le 13 novembre 2021, un porteur de banderole a été agressé par des militants du RN (5). Par la suite, à chaque défilé, les porteuses et porteurs de cette banderole « Anti fasciste, anti pass’ sanitaire, contre toutes les ségrégations, ni Macron ni la bande à Fouché, Philippot, Asselineau, Hold-up… » ont été harcelés par les fans de Fouché qui ne supportaient pas d’entendre que leur chef soit mêlé à l’extrême droite. C’est pourtant un fait : il a trouvé une tribune permanente dans ces médias, sans jamais prendre de distance avec leur contenu. Tout en séduisant le camp progressiste, il a noué des relations durables (6) avec des conservateurs extrémistes et milite contre les droits des femmes et LGBTQIA+ avec des catholiques intégristes, des antisémites et des fascistes.

Poursuivons ce voyage dans le Vallespir, une région des Pyrénées Orientales qui attire toutes sortes de mystiques et autres survivalistes. Le perpignanais Thierry Casasnovas s’y est fait connaître il y a une dizaine d’années en se présentant comme un miraculé. Mettant en scène sa santé à travers des milliers de vidéos, il prône toutes sortes de conseils médicaux, sans aucune formation. Il fonde la structure « Régénère », organise des stages de crudivorisme et multiplie les conférences et séminaires. Dépassant les 500 000 abonnés, il est suivi par la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires à la suite de 600 signalements. Il vend sur son site des extracteurs de jus, des compléments alimentaires, du coaching franchisé et un magazine papier. Il est propriétaire de plusieurs biens immobiliers (dont un gîte payé en cash) et il est conseiller municipal à Taulis. Toutes ses activités, qu’il fait tourner avec une quinzaine de salariés, lui auraient permis de dégager près de deux millions d’euros de chiffre d’affaire en 2019 (7). Depuis 2014, il se rapproche d’Alain Soral (qui se proclame national socialiste) et de Dieudonné (antisémite négationniste) avec qui il « partage 99 % des idées » (8). Il reçoit une « Quenelle d’or » de la part de ce dernier dans la catégorie « lanceur d’alerte » et relaie la propagande de QAnon et des « Souverains ».

L’autorité ultra-individualiste Souveraine

Notre road trip continue sur les petites routes de Haute Garonne et ses tags clairvoyants : « Ils mentent, nous savons qu’ils mentent, ils savent que nous savons qu’ils mentent… ». Depuis plus de deux ans, d’obscurs complots pédo-satanistes (9) seraient révélés par des « éveillé·es », des « Êtres souverains ». Inspiré par le mouvement libertarien des « Citoyens souverains » américains, le mouvement du Commonwealth « Freeman on the land » et les négationnistes « Citoyens du Reich » en Allemagne, leur doctrine se base sur « la fraude du NOM légal » (10) et vise à faire sécession avec l’État. En somme, ils revendiquent leur souveraineté face à l’autorité. « Vous n’avez pas d’autorité sur moi. Montrez-moi que vous avez de l’autorité sur moi », se récria une commerçante refusant de porter le masque sur le marché de Saint Girons en septembre 2020, avant de se faire embarquer. Cet anti-étatisme affiché est d’apparence libertaire mais c’est une posture de la droite libertarienne, c’est à dire ultra-libérale, qui rejette toute contrainte administrative et organisation sociale.

C’est sur le causse sauvage de Gramat dans le Quercy, que les Souverain·es de « One Nation » ont tenté d’implanter une base de 200 hectares l’année dernière. Leur ambition est de créer un maillage de lieux privés pour s’extraire de l’État, en occultant tout rapport de force. Le couple leader Alice « Pazalmar » et Sylvain  « Outlow » publie des vidéos de défiance à l’autorité (arrestations sans permis ni plaque, passeport brûlé…) et des délires mystiques. Les adeptes communiquent sur la messagerie chiffrée Telegram et se rencontrent lors de stages d’endoctrinement à la souveraineté individuelle. Ils mélangent un discours anti-autoritaire avec des formes d’autorités (dogmes New Age, cabales antisémites, sexisme naturalisé), en méprisant les faits historiques et la lutte de classe (11). Dans ce monde magique, « tous les systèmes sont faux » selon Guylaine Lanctôt, gourou souveraine du Québec (« Ghis ») qui prône « la guérison par la pensée » et vends des livres à succès comme « La mafia médicale ». Ne parlez pas de capitalisme ici, la vérité est ailleurs et insaisissable : thèses ésotériques, extra-terrestres, État profond, Nouvel Ordre Mondial, francs-maçons, juifs, « lobby gay », etc. C’est selon leur intuition du moment ! Les scénarios sont grands : « Grand Reset » (complotiste), « Grand Éveil » (millénariste), « Grand Remplacement » (raciste). Les Souverain·es ont massivement relayé les obsessions pédocriminelles du mouvement complotiste pro-Trump « QAnon ». C’est au travers de la messagerie de « One Nation » que l’affaire de l’enlèvement de la petite Mia (12) a commencé, ce qui a révélé toute une organisation putschiste d’ultra droite menée par un certain Rémy Daillet…

Les hommes de la providence à la rescousse

Notre périple nous amène à présent sur les collines du Comminges, où Rémy Daillet a été exclu du Modem en 2010 pour ses positions conservatrices sur la famille. Il est l’auteur d’un site populaire sur l’école à la maison, basé sur un argumentaire de machination. Il a épousé les obsessions les plus effroyables de QAnon et s’est rapproché des néonazis « Honneur et Nation ». Il organise « Le renversement » qui promeut des commandos pour restituer à leurs parents des enfants placés par l’État « pédo-sataniste ». Il est soupçonné d’avoir organisé trois affaires d’enlèvement d’enfants (dont Mia), ainsi que plusieurs attentats terroristes et un coup d’État (« Opération Azur ») visant à s’emparer de l’Élysée à l’aide d’une vaste organisation paramilitaire.

Un autre mouvement putschiste s’est retrouvé dans la rubrique « insolite » de la presse Baylet à l’été 2020. Dans les départements du Lot, de l’Aveyron, du Gers, du Tarn-et-Garonne et de l’Ariège, des centaines de « mystérieux ronds verts, avec un point blanc au milieu » ont été tagués. Ils étaient l’œuvre du « Conseil National de la Transition », initié par le complotiste suprême Éric Fiorile, connu pour sa tentative échouée de coup d’état à l’été 2015 et ses « sommations et rappel à la loi » pour un prétendu génocide. Ancien carriériste dans les placements financiers puis reconverti dans la médecine holistique, le scandale des « Pandora papers » a révélé que ce « révélateur » avait une société offshore domiciliée aux Seychelles !

Dirigeons-nous dans la Haute Vallée de l’Aude, là ou est né le réseau SOLARIS en septembre 2021. Présenté comme « un internet humain » d’entraide « apolitique, sans idéologie, sans hiérarchie, non survivaliste », le réseau se base pourtant sur des mystifications annonçant la prochaine fin du monde (13). Il est organisé selon l’holacratie, une méthode développée par un gourou du management, qui prétend à une pseudo-horizontalité. En Occitanie, on compte 245 « cellules » locales assez actives (56 en Haute Garonne, 36 dans l’Hérault). Frédéric Vidal, le créateur de SOLARIS, se nomme « Le Passeur ». Il a toutes les caractéristiques d’un leader sectaire, prosélyte, survivaliste et autoritaire, comme en témoigne son ancien site urantia-gaia.info (consultable sur web.archive.org). Il soutient ouvertement Donald Trump et relaie les fantasmes des QAnon. Il collabore avec des personnalités du mouvement fasciste d’Alain Soral, appelle à renverser l’élite mondiale pédo-sataniste et diffuse « le Grand appel » afin que le peuple se lève pour restaurer sa souveraineté. Il soutient l’armée et prône « l’épée de la France (qui) se lèvera dans la main d’un homme de la Providence » (14). Le réseau implanté dans quinze pays alimente un fichier tentaculaire de personnes, ressources et moyens pour organiser « la résilience » en treillis, sur fond de discours digne des émeutiers Trumpistes du Capitole.

Re-politiser le débat et les médias

Notre voyage s’achève ici. Ces réseaux se sont structurés dans un discours d’opposition aux pouvoirs en place, ce qui explique en partie leur capacité de séduction. Cette posture contestataire sert de paravent pour faire avancer des idées d’extrême droite, quand ce n’est pas simplement en vue d’un enrichissement ou d’une gloire personnelle. C’est pourquoi il est important de pointer les logiques autoritaires qui se cachent derrière ces mouvances, pour tracer des lignes politiques claires et ne plus se faire avoir par le confusionnisme. Certes une éducation populaire aux médias est nécessaire pour vérifier les sources d’information, connaître les médias et leurs discours. Mais c’est aussi l’histoire des idées politiques et de la lutte des classes qui doivent être mobilisées pour re-politiser le débat et contrer ces idées réactionnaires, quelles soient brunes, vertes ou jaunes or.

Texte : Sceptix / Illustration : Clairou

1 : « Infos et usage de faux ». Le Canard Enchaîné, dossier n° 163, avril 2022.

2 : Podcast « Le vertige des faits alternatifs », materiologiques.com, avril 2019.

3 : « L’anthroposophie, discrète multinationale de l’ésotérisme » et « Le système Rabhi », Le Monde Diplomatique, juillet 2018.

4 : « Les sites de réinformation en 2022 », www.debunkerdehoax.org, 28/11/2022.

5 : « Contre le passe sanitaire », Journal Tapage n°8, 2022-2023.

6 : Suivre le compte « Antifouchiste » du « Réseau No foucharan », Twitter, 2021.

7 : « Qui est Thierry Casasnovas ? Son parcours, les inquiétudes qu’il suscite », www.unafdi.org, 20/04/2021.

8 : « Pandémie Covid-19 : une inquiétante obsession ». www.bloglextracteur.wordpress.com, 03/06/2021.

9 : « Une guerre secrète aurait lieu entre Donald Trump et une élite pédophile, sataniste et cannibale qui commettrait des crimes sur des enfants en prenant leur sang pour extraire une drogue…». Voyage en ère post-vérité, brochure à télécharger sur www.infokiosques.net, septembre 2022.

10 : L’État nous volerait à notre naissance la propriété de notre nom légal et nous assignerait à une personnalité juridique dans laquelle nous serions esclave. Il en tirerait profit sur un compte secret dont nous serions privé. Plus d’info : « La fraude du NOM légal, une très dangereuse théorie du complot importées des USA », www.debunkersdehoax.org, 11/08/2019.

11 : « Analyse des croyances et fondamentaux d’une secte de citoyens souverains : One Nation », www.debunkersdehoax.org, 02/10/2021.

12 : « Affaire Mia, ces citoyens qui font sécession ». La fabrique du mensonge sur France 5, 26/06/2022.

13 : « L’effondrement, parlons-en, les limites de la collapsologie », Jérémie Cravatte, www.quatre.zone, 2019.

14 : « Réseau SOLARIS : faux dissidents, vrais écofascistes », www.lundi.am, 23/08/2022.

Pour aller plus loin :

Voyage en ère post-vérité, disponible sur www.infokiosques.net, septembre 2022.

S’armer contre l’extrême droite, www.visa-isa.org, 2021.

Écofascismes de Antoine Dubiau, éditions Grévis, 2022.

Petit manuel critique d’éducation aux médias, éditions du Commun, 2021.