Numéro 12 régional

Ancienne mine d’or et pudding à l’arsenic

Entre Carcassonne et Mazamet, dans la vallée de l’Orbiel, 120 tonnes d’or ont été extraites tout au long du XXe siècle. Aujourd’hui, les traces de cette activité industrielle se font rares dans ces paysages vallonnés et verdoyants. Au pied de Villanière, on peut encore voir le chevalement du puits Castans qui descendait les mineurs au labeur. Quant au nord de Salsigne, la mine à ciel ouvert n’est plus qu’un trou béant entouré de grillage. La pollution, elle, n’est pas près de disparaître.

Dans ce district minier comme ailleurs, la protection de l’environnement et de la santé des riverain·es a longtemps été reléguée loin derrière les intérêts économiques. Comme Célia Izoard l’a documenté, « Personne n’a imaginé que l’après-mine serait un problème. On considérait qu’il suffisait d’arrêter les machines et de ranger un peu pour en avoir terminé. » (1). Entre Lastours et Conques-sur-Orbiel, sur le site de La Combe du Saut où le minerai était traité, quelque huit millions de mètres-cubes de stériles (matériaux pas ou peu valorisables) plus ou moins concentrés en arsenic ont été amoncelés puis confinés dans les bassins de Montredon et de l’Artus au début des années 2000. Dès l’origine, ces stockages entre lesquels la rivière Orbiel serpente se sont révélés mal conçus par les derniers exploitants de la Mine d’or de Salsigne (MOS) et ils demeurent perméables malgré plusieurs chantiers pour y remédier : l’eau s’infiltre et les substances toxiques, principalement de l’arsenic, se déversent dans le cours d’eau jusque dans les nappes phréatiques.

Les solutions pour tenter de contenir la pollution sont relativement expérimentales et tout dépolluer semble techniquement impossible. Jean-Louis Nedellec, responsable jusqu’en 2022 de la zone pour le Département prévention et sécurité minière (DPSM) du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) (2), en charge de la station de traitement des eaux polluées spécialement conçue pour l’occasion, ne dit pas autre chose : « On estime qu’il y a environ 20 % de la pollution qui vient des eaux souterraines qui est captée par la station. Mais il reste 80 % qui rejoint l’Orbiel sans être traitée. […] Si on veut arriver à une situation équivalente à celle qui existait avant l’activité minière, c’est quasiment impossible. (3) » Au final, ce seraient de trois à huit tonnes d’arsenic qui se déverseraient chaque année dans la rivière malgré les millions d’euros investis.

Biopolitique en milieu pollué

Dès lors, on comprend pourquoi des événements climatiques comme de fortes pluies exacerbant la pollution sont surveillés par les habitant·es comme le lait sur le feu. Déjà en 1996, alors que l’exploitation était en perte de vitesse, de premières inondations avaient joué un rôle majeur dans l’arrivée des préoccupations en matière de santé et d’environnement sur le territoire. C’est dans ce contexte que des « recommandations de bonnes pratiques » à destination des zones de résidences exposées à l’arsenic ont commencé à être édictées et sont pour la plupart encore reconduites aujourd’hui, comme le préconisent la Haute autorité de santé (HAS) ou la Société de toxicologie clinique (4) . Il s’agit notamment d’éviter « la consommation des légumes produits localement » et « l’ingestion de poussières et de terre par les enfants de moins de six ans, […] du fait de leur importante activité au niveau du sol et, à cet âge, du port habituel des objets et des mains à la bouche ». Outre la vallée de l’Orbiel, d’autres territoires occitans au lourd passé industriel sont concernés par ce genre de consignes comme Saint-Félix-de-Pallières dans le Gard ou le bassin de Decazeville en Aveyron, où l’on exploitait zinc et plomb.

Trouver sa propre manière d’écarter le danger

Au-delà de ces recommandations illustrant l’inconsistance de l’État face à ces situations extrêmes, le district minier de Salsigne est sous le joug de nombreux arrêtés de la préfecture de l’Aude pour le moins euphémisants. À la suite des inondations de 2018, la préfecture a décrété la « suspension » de la consommation de certains légumes (racines et feuilles) ainsi que de champignons, d’asperges, de thym et d’escargots. D’autres arrêtés, dont les premiers remontent à 1997, interdisent temporairement la « commercialisation et la mise à consommation humaine (sic) » (5) de ces produits et sont renouvelés tous les ans depuis. Les observations menées lors de l’étude PRIOR (6) montrent que les habitant·es « continuent, malgré tout, à s’adonner à des activités de cueillette et de ramassage d’escargots » et tentent, de manière générale, d’adapter leurs pratiques à ce contexte de pollution chronique. Prenons le témoignage de Pierre : « À l’époque [de la mine en activité], […] j’allais même cueillir des asperges sauvages près de l’usine. Et j’en ai mangé, carrément au pied, au bord de l’Orbiel, à côté de l’usine. Ce n’était pas comme maintenant. Maintenant je n’irais pas. Mais jeune j’y allais. » Selon les chercheur·euses, c’est comme si « la présence d’installations de gestion des pollutions, après l’arrêt des activités minières, [venait] rendre bien plus réel le danger ». Concernant les escargots, les choses sont différentes : « Je les laisse jeûner… Je leur mets du riz […] comme ça ce qu’ils ont mangé éventuellement dans la nature c’est chassé par le riz et tout. […] ça veut dire que vous pouvez les manger sans risquer (sic). » À la question de savoir si cette préparation le protège des pollutions il répond ne pas savoir. Pourtant, le rapport note que Pierre a bien conscience des dangers auxquels il peut s’exposer, mais le protocole qu’il a élaboré lui paraît « suffisamment éprouvé et « routinisé » pour écarter les principaux dangers », réduisant la part d’incertitudes auxquelles il est confronté et ramenant le problème à une dimension qu’il peut gérer. Finalement, les recommandations préfectorales semblent n’avoir qu’une portée limitée. Les habitant·es cherchent à s’autonomiser et à avoir prise tant bien que mal sur une situation que l’État ne semble pas à même de résoudre.

Adapter les pratiques potagères

Dans la vallée de l’Orbiel, les maisons individuelles sont légion et le jardinage, hérité des pratiques ouvrières de subsistance, est très répandu même si certain·es y ont renoncé. C’est donc une question très importante pour les habitant·es puisqu’elle est liée à un attachement à la terre et à une quête de maîtrise de son espace domestique, de ce qui est consommé, de la graine à l’assiette. Alors certain·es, comme Thomas, tentent de poursuivre leurs activités potagères en portant attention à la fois au travail du sol et aux espèces cultivées selon la capacité différentielle des plantes à capter les métaux lourds : « Les plants de tomate font des racines qui descendent très profond, qui vont chercher à plus de 60 ou 80 cm, elles vont taper dans l’arsenic de toute façon. […] c’est vraiment pas un endroit pour faire de la tomate, mais on devrait pouvoir faire autre chose. […] et plus c’est amendé, moins y a de risques. » Ces discours peuvent sembler surprenants mais révèlent la complexité du social dans des situations qui peuvent nous paraître inextricables de l’extérieur. Les sociologues de PRIOR invitent tout au long du rapport à « prendre au sérieux » les arrangements des habitant·es même s’ils peuvent paraître « « fragiles » du point de vue de l’expertise scientifique, car ils donnent à voir toute la capacité des habitant.es à vivre (avec) la pollution et à énoncer les niveaux de risque auxquels ils·elles [s’estiment] soumis·es ». D’ailleurs, personne dans la vallée de l’Orbiel n’est dans le déni des pollutions, d’autant plus lors des inondations qui rebattent les cartes du jardinage quand les terrains sont touchés, comme le raconte Sylvie : « C’était hors de question d’exploiter ce jardin-là. [Un établissement public a] dû faire analyser les sols. Ils étaient impropres aux cultures. »

Que la colère dépasse les seuils

Les intempéries monstrueuses, à l’origine des inondations meurtrières qui ont ravagé l’Aude à l’automne 2018, ont lessivé les verses et les plages où sont stockés les déchets. Les sédiments laissés par les crues, notamment dans les cours d’école comme celle de Lastours, se sont révélés gorgés d’arsenic et la suspicion d’une contamination des écolier·es a défrayé la chronique. Sous la pression des parents, des recherches d’imprégnation ont été diligentées chez des enfants de la vallée, relevant pour certain·es d’entre elles·eux des taux d’arsenic inquiétants dépassant parfois plus de quatre fois le seuil de 10µg/L de créatinine fixé par l’OMS. Pour l’ARS Occitanie et certains médecins généralistes du territoire, il s’agit d’un « seuil de référence [et pas] de toxicité. Ce n’est pas un seuil prédictif de maladie » (7). En gros, « circulez, y a rien à voir » alors même que les questions de l’exposition à de faibles doses de polluants sont de plus en plus au centre des débats de santé publique, à l’instar des perturbateurs endocriniens.

Cécile (8), dont les enfants ont été testés une première fois avec des taux plus de quatre fois supérieurs au fameux seuil, n’a pas été rassurée et les nouvelles analyses effectuées trois mois plus tard n’ont pas dissipé ses inquiétudes, malgré un « effondrement » des taux d’arsenic retrouvés. « Comment un organisme d’enfant en plein développement est-il capable d’encaisser des variations aussi importantes d’arsenic dans le corps ? » se demande-t-elle. Elle se tourne alors vers les associations locales (9) mobilisées face aux problèmes de pollution de la vallée depuis plusieurs années, notamment à travers des actions entreprises devant la justice (10) visant à faire reconnaître les préjudices subis et à contraindre l’État à agir pour « une dépollution la plus complète possible ». Quand Cécile les contacte, ces associations sont en train de mettre au point une campagne de recherche de métaux lourds (dont l’arsenic) dans les cheveux d’une centaine d’habitant·es. En octobre 2020, elles présentent les résultats de leurs recherches à la presse (11) concluant à un risque de polyexposition, avec en particulier une surexposition au mercure, alimentant la contestation et faisant tache vis-à-vis des discours rassuristes des autorités de santé.

Dans la vallée de l’Orbiel comme dans la plupart des territoires marqués par des activités extractivistes, les luttes mêlant santé et environnement se multiplient (12), soulevant la question de la contamination des corps et des milieux naturels par la pollution d’après-mine. Ces situations nous rappellent que la rentabilité capitaliste ne se soucie guère des conséquences à long terme de ses intérêts carnassiers sur nos vies. À l’heure où il est question d’exploiter le lithium dans l’Allier et l’hydrogène en Lorraine pour fabriquer la bagnole du futur, ne soyons pas dupes : « Il n’y a pas d’après-mine heureux ! » (13), et c’est un cadre du BRGM qui le dit.

Texte : MB / Illustration : Louis Tardivier

MB – L’auteur a participé à l’étude PRIOR ; les propos tenus dans cet article n’engagent pas son équipe de recherche.

1 « Il n’y a pas d’après-mine heureux ! », Reporterre, juin 2022.

2 Établissement public de gestion des ressources et des risques des sols et des sous-sols français.

3 Voir le documentaire Le prix de l’or, France 3, mars 2021.

4 Dépistage, prise en charge et suivi des personnes potentiellement exposées à l’arsenic inorganique du fait de leur lieu de résidence, HAS, mars 2020.

5 Arrêtés préfectoraux du 25 juin 2019 et du 13 octobre 1997.

6 L’étude PRIOR « Pratique et perception des risques par les habitants-riverains de la vallée de l’Orbiel »  est menée par des scientifiques de l’université Toulouse-Jean Jaurès et du CNRS. Le rapport est consultable en intégralité sur blogs.univ-tlse2.fr/prior/ ; voir en particulier les focus 1 et 2.

7 58 enfants surexposés à l’arsenic dans la vallée de l’Orbiel : quelle gravité ?, France 3, juin 2020.

8 Idem note 3.

9 Citons Terres d’Orbiel, Gratte Papiers et le Secours catholique du Cabardès, aujourd’hui réunies dans le collectif Pour que vive la vallée de l’Orbiel.

10 La Dépêche du midi, 17 janvier 2020.

11 Conférence de presse du 16 octobre 2020.

12 Sur ce sujet voir Sur la piste environnementale : menaces sanitaires et mobilisations profanes, M. Akrich, Y. Barthe et C. Rémy, Presses des Mines, 2010.

13 Idem note 1.