Numéro 8 régional

À Sainte-Soline ou ailleurs, no basaran !

Fin octobre, 7000 militant·es se sont réuni·es dans les Deux-Sèvres pour s’opposer au projet de construction d’une « mégabassine ». Venu·es de toute la France, iels répondaient à l’appel lancé par le réseau des « soulèvements de la terre » pour soutenir la lutte amorcée depuis plusieurs années par des associations locales, comme « Bassines non Merci ! ». L’interdiction de la manifestation comme la répression féroce n’ont pas empêché la lutte de s’amplifier.

Ces « retenues de substitution » sont d’immenses trous creusés dans la terre, ceinturés de digues et recouverts de grandes bâches en plastique, afin de stocker l’eau l’hiver pour permettre à quelques agriculteurs d’irriguer les champs environnants, pendant les chauds mois d’été. La bassine visée par les opposant·es au chantier de Sainte-Soline, la plus grande d’un projet qui en prévoit 16 dans le marais Poitevin, représente un volume de 720 000 m3, sur 17 hectares. Cette aberration écologique est soutenue par la FNSEA et le gouvernement, qui finance le projet à 70% soit une aide de 60 millions d’euros.

Dans le contexte de sécheresses récurrentes que nous connaissons actuellement, il est en effet alarmant d’imaginer pomper abondamment dans les nappes phréatiques, au risque d’assécher certains cours d’eau, et d’affecter le biotope local. Les partisan·es du projet rétorquent au contraire que le remplissage des bassines serait uniquement effectué par de l’eau excédentaire qui s’écoule durant l’hiver lorsque les nappes sont pleines, et ruisselle dans les cours d’eau jusqu’à la mer. (1)

Ralentir le cycle de l’eau

Les écologistes répondent à leur tour en expliquant que le ruissellement lui-même est une cause des monocultures qui entourent le site, de la suppression des haies séparant les parcelles, de l’assèchement des sols provoqué par ce système agro-industriel débridé, et amplifié par une politique agricole qui accroît la centralisation des exploitations, au détriment des petits agriculteurs.

Des solutions existent, expose Benoit Biteau, député européen écologiste : « Le stockage dans le sol est gratuit et il a l’avantage de soustraire l’eau aux pertes dues à l’évaporation. Restaurons le bocage, revoyons nos assolements, mettons fin aux immenses parcelles, et rendons nos sols perméables à nouveau. […] Il faut ralentir le cycle de l’eau. »

Ce sont en réalité deux conceptions de l’agriculture qui entrent ici en conflit, antagonisme à l’origine d’une déclinaison de luttes locales dans tout le pays. D’un côté les partisan·es de l’agro-industrie, dopée aux intrants chimiques, aveuglés par des logiques courtermistes et poussés dans une fuite en avant par leur foi inconditionnelle en des solutions technicistes (OGM, méthaniseurs, méga-bassines). De l’autre une agriculture raisonnée, à échelle humaine et soucieuse du vivant, autant que de la préservation du commun.

Partage de l’eau

Le projet des bassines soulève également la question d’une gestion raisonnée du partage de l’eau. Celle de Sainte-Soline est censée fournir de l’eau à un nombre restreint d’agriculteurs et agricultrices : 220 exploitations sont concernées par les 16 réserves prévues dans le Marais Poitevin, quand le département compte 5000 paysans. Il s’agit dès lors d’un accaparement de l’eau par quelques un·es, qui pose un sérieux problème pour la viabilité des petites exploitations qui ne peuvent ou ne souhaitent pas prendre part à ce projet.

Cette position s’inscrit en plein dans la logique des politiques d’aides aux agriculteurs – la PAC notamment – soumises aux impératifs de rentabilité, favorisant l’agriculture intensive et la concentration des exploitations par une politique d’attribution des aides à l’hectare et non proportionnée aux actifs. Le rapport publié par la chambre de l’Agriculture du département des Deux-Sèvres souligne cette tendance à la concentration : le nombre d’exploitations agricoles dans le département a baissé de 20% entre 2010 et 2020 et a été divisé par 4 depuis 1970.

Enfin, la question du partage de l’eau se pose également en termes de ses différents usages. À l’heure où de nombreux villages en France souffrent de pénuries d’eau inédites, devant être approvisionnées par camion-citerne, il semble vital de préserver un équilibre entre la consommation en eau potable, le maintien d’un débit suffisant dans nos cours d’eau, et l’agriculture. Il est temps de remettre en question notre système agricole, et continuer de réduire la proportion des cultures les plus gourmandes en eau, comme le maïs, qui représente encore un tiers des surfaces irriguées dans cette région.

L’assaut

Ce 29 octobre, à l’appel des « soulèvements de la terre » (3) notamment, les manifestant·es bravent l’interdiction préfectorale. 7000 militant·es écologistes contre 1700 policiers, 6 hélicoptères et des centaines de véhicules blindés. Divisé·es en trois cortèges hétéroclites, composés d’individus cagoulés comme de familles ou de paysans locaux, ils et elles tentent de disperser les forces de l’ordre dans les parcelles agricoles, et bravent les barrages au son des tambours qui retentissent dans la plaine. Des affrontements éclatent à chaque fois que la police se place en travers du chemin de l’un de ces cortèges, et des tirs de projectiles sont échangés de part et d’autre. Les manifestant·es lancent des pierres et plusieurs cocktails molotov éclatent sur des camions blindés. Les CRS font pleuvoir bombes lacrymogènes et grenades de désencerclement sur la foule afin de tenter de la fragmenter, en même temps qu’ils usent des LBD (2).

Malgré cette répression et de nombreux blessé·es, les manifestant.es ne désarment pas et parviennent à atteindre leur but : pénétrer dans la bassine de Sainte-Soline, après avoir arraché les grilles qui l’entourent. Pendant quelques instants la foule savoure sa victoire avant d’être à nouveau chassée par une pluie de projectiles. Si les écologistes ne sont parvenus à ne rester que quelques minutes dans l’enceinte de la bassine, la charge symbolique de la victoire est là.

Tous et toutes à Sainte-Soline !

Cette mobilisation historique en appelle d’autres. Cela paraît évident et le gouvernement l’a bien compris. Il accélère donc les choses en signant pour un nouveau projet de 30 méga-bassines dans la Vienne malgré les oppositions des associations et de la communauté urbaine du Grand Poitiers.

La bataille ne fait donc que commencer. Des rassemblement sont prévus pour soutenir les inculpé·es (les 5 et 6 janvier à Niort), une manifestation aura lieu le 15 décembre à Orléans contre le financement public des bassines et enfin, surtout, une mobilisation nationale est programmée le 25 mars dans le Poitou-Charentes. À vos agendas !

texte : Maxime Morinière / photo : Antoine Berlioz

1 : Ils fondent ces affirmations sur un rapport publié par le BRGM, qui ne prend pas en compte l’évaporation potentielle de ces futures réserves, ni la menace de sécheresses récurrentes liée au réchauffement climatique.

2 : Depuis la mise en service de ces armes, une personne a été tuée et 66 ont été éborgnées. Quant aux grenades de désencerclement, elles sont fréquemment responsables de blessures très graves telles que des mains arrachées.

3 : Depuis début 2021, il réunit « paysan·nes, habitant·es de territoires en luttes et militant·es de la jeunesse climatique » contre l’artificialisation des terres et leur accaparement par l’agro-industrie, en menant des actions directes au fil des saisons.