Volem accoucher al pais
Volem accoucher al pais !
Depuis 98, les services de l’État cherchent à fermer la maternité de Decazeville. Chaque fois, le Bassin résiste et arrache à l’administration la survie de l’établissement pour quelques années supplémentaires.
Cette année encore, la rue et le « tous ensemble » n’ont rien lâché.
Rodez,17 mai 2016.
Sur les pancartes : « Naître, vivre, travailler et se soigner au pays ! ».
L’enjeu : prolonger l’autorisation d’exercer de la maternité de l’hôpital de Decazeville, qui expire dans 10 jours.
Objectif de ce mardi: rencontrer l’attaché territorial de l’ARS (Agence Régionale de Santé), et obtenir une réponse avant midi.
Un jalon de plus dans une histoire ancienne.
On n’est pas nombreu.ses, une trentaine, surtout des cégétistes. Faut dire que ça fait des mois que ça se mobilise – le 30 avril, au dernier rassemblement devant l’hosto, il y avait 1500 personnes, et la pétition du 31 mars avait recueilli 3700 signatures. De toute façon, « pas besoin d’être 200 pour foutre le bordel » : la colère déplace des pneus et des palettes, de rond-point en rond-point, la sono à fond pour pas mollir. Des rues bien fréquentées sont bloquées, ça se déplace quand la police se ramène.
L’enjeu est grand : si la maternité ferme, c’est « la mort du bassin ». Comme dit Monique* : « la maternité c’est important, ça reflète la famille, la jeunesse, il ne faut pas que ça ferme (…) Si on abandonne l’hôpital, on perd ce qui soude tout le monde (…) Les jeunes qui veulent s’installer, travailler, avec tout ça, ils hésitent ! Voilà pourquoi aujourd’hui je manifeste ». Pas question d’être relégués au rang d’habitant.es de seconde zone : ici comme ailleurs on a droit à un système de soin de proximité.
Les défis de l’ARS, vœu pieux ou leurre habile ?
En France la proximité s’organise au plus haut sommet de l’Etat, avec un découpage du pays sensé en faciliter l’administration : la région Midi-Pyrénées est ainsi composée de 8 territoires et de 33 bassins de santé. Decazeville-Aubin constitue un bassin de santé et peut prétendre, de droit, à garder sa maternité de niveau I (prise en charge des grossesses sans risques identifiés, et soins courants aux nouveaux-nés) si « le nombre de praticiens est suffisant et si les conditions de sécurité sont réunies ». Bien entendu, tout va se jouer dans l’évaluation de ces critères…
De 2012 à 2017, notre Agence Régionale de Santé doit, d’après son Plan Stratégique, s’emparer de trois défis majeurs : « réduire les inégalités sociales de santé ; positionner l’usager au cœur du système de santé ; adapter le système de santé ». Par « adaptation », on n’entendra sans doute pas la même chose : pour l’ARS, il s’agit de fermer les plus petites structures, pour favoriser des maternités dites « de territoires ».
Le phénomène n’est pas récent, puisque le nombre de maternités a été divisé par trois en quarante ans. Elles ont pris une première claque en 1972, quand le décret Dietrich a fermé celles tenues par des sages-femmes. Avec comme prétexte le risque zéro et ses normes draconiennes, celles réalisant moins de 500 accouchements par an ont dégringolé à l’échelle nationale de 107 en 2003 à 57 en 2010, alors que celles accueillant plus de 2000 naissances sont passées de 95 à 137.
Dans le même temps, les actes médicaux réalisés lors des accouchements ont été multipliés : en trente ans, en France, la péridurale est devenue la norme (76% des naissances – contre moins de 4 % au début des années 1980), et le nombre de césariennes et de déclenchements a doublé. Selon l’INSERM au moins un quart de ces actes pourrait être évité, et la Haute Autorité de Santé recommande d’informer les femmes qu’elles peuvent refuser certains déclenchements artificiels. A Decazeville, le recours aux césariennes est plus important que sur sur le reste du territoire (20 % contre 16%). Réel besoin ou stratégie défensive ? On ne saurait rien affirmer, mais la question se pose : Les médecins doivent-illes en passer par là pour garantir aux yeux de l’ARS l’efficacité et la sécurité de leur service ?
Aujourd’hui, 98 % des accouchements se déroulent à l’hôpital, suivant un protocole drastique de médicalisation. Pourtant la grossesse et l’accouchement ne sont pas des maladies : nous n’avons pas besoin d’être « soignées », mais d’être « accompagnées », ce qui est de la compétence des sages-femmes. À quand la promotion des accouchements dits « physiologiques », réalisés dans un cadre de confiance ? Moins d’actes médicaux et plus d’écoute, c’est pourtant ce que préconise l’ARS, puisqu’elle promeut également l’ouverture de maisons de naissance tenues par des sages-femmes libérales. Décidément, selon les intérêts des partis en présence, le contrôle du corps des femmes est source de toutes les contradictions…
La fête du chiffre
Muriel est infirmière de nuit. Elle travaille à la maternité de Decazeville depuis 26 ans. Elle y est née, tout comme Nicole, et elles rient de cette boucle bouclée. Aujourd’hui retraitée, Nicole est toujours en lutte : « on veut garder notre maternité parce qu’elle est utile, parce qu’on y soigne bien ». Elles étayent avec passion leur combat pour son maintien, non pas comme une lubie chauviniste, mais un réel besoin.
Muriel est sidérée par l’argument sécuritaire avancé par l ‘ARS : sur préconisation de la Cour des comptes, l’Agence considère qu’un établissement qui pratique moins de 300 accouchements par an est moins efficace, voire dangereux, parce que les praticien.nes pourraient en quelque sorte perdre la main. C’est également le raisonnement qui menace les maternités de Millau et Saint-Affrique. Cependant, « la routine ça peut être dangereux aussi ! On est un hôpital de proximité, on connaît notre rôle, s’il y a des actes qu’on ne peut pas pratiquer, on envoie les patientes à Rodez ou Toulouse. On a l’impression dans ce pays qu’on n’arrive plus à se faire confiance, que c’est chacun pour soi ». Dans ces établissements « de territoire » qui tournent à plein régime, le personnel est-il plus disponible, plus efficace, plus attentionné ? Et quelles sont leurs conditions de travail ? Leurs résultats sont-ils plus efficients ? Et sur quels critères ?
Il faut savoir que depuis la loi Bachelot de 2007, les établissements de santé sont rémunérés en fonction de leur activité ; en conséquence, « une maternité qui ne pratique pas 600 accouchements par an, automatiquement, perd de l’argent ». Sylvain, aide-soignant et délégué CGT, se bat contre cette politique du chiffre : « On propose un service de qualité et de proximité, qui est entre guillemets déficitaire. C’est ça qui les emmerde, eux veulent une politique d’économie drastique sur le système de santé ». Alors réaffirmons que le système de santé doit être par essence solidaire. Qu’on se le dise, la « rentabilité » d’une maternité n’a pas lieu d’être ! il faut avoir un certain aplomb pour dérouler cet argument aux habitants.es du Bassin qui défendent leur accès aux soins. C’est avec autant de mépris que Xavier Patier, directeur de l’Agence Régionale de l’Hospitalisation (ARH) en 2001, avait osé justifier la fermeture de la maternité en affirmant que « les gens sont prêts à faire 40 km pour aller à leur supermarché préféré ». Mais jusqu’à preuve du contraire un cordon bleu ne risque pas beaucoup plus en voiture qu’une décongélation !
« Une certaine conscience de la lutte des classes… »
Si la défense de leur emploi n’est pas le fer de lance de la lutte, les personnels ne sont pas dupes quant aux coupes qui risquent d’être faites dans les effectifs. La langue de bois de l’ARS claque haut et fort : la fermeture de la maternité de Decazeville n’entraînerait pas de suppression de postes. Mais 70% des dépenses d’un hôpital couvrant les frais de personnel, on voit mal comment l’ARS pourrait se passer de licenciements pour regonfler sa bourse : « Y’aura de la casse, et en premier les contrats précaires ». Adieu veau, vaches, cochons, intérimaires et contractuels. Ce qui n’est pas pour détendre l’ambiance dans les services. Pas facile d’être serein quand l’incertitude plane : « C’est le foutoir au sein de l’hôpital, les conditions de travail sont moins bonnes, les gens ne savent pas où ils vont aller travailler». C’est Monique qui parle, de ses 18 ans d’ancienneté dans la boîte. La crainte, si la maternité ferme, c’est de voir également d’autres services de l’hôpital mettre la clef sous la porte. Émilie, infirmière, appréhende « l’effet boule de neige » : la réanimation, la chirurgie et le bloc opératoire ont ainsi été menacés de fermeture par l’ARS il y a quelques années. Pas facile dans ces conditions d’attirer de nouveaux soignants.
A Rodez, il est midi, les représentants syndicaux n’ont pas obtenu de réponse claire de l’ARS. Pas de pneus cramés pour autant, on s’en garde sous le coude, des fois qu’il faille faire monter la température plus tard. Tout le monde reste déterminé : « depuis 1998 on ne s’arrête pas, on ne s’use pas, on est toujours là. On a une force dans le bassin, c’est d’avoir la population avec nous, et le « Tous Ensemble » [voir encadré] ». Sylvain annonce la couleur : « Si on doit le refaire, on le refera. À Decazeville, la mobilisation c’est culturel, depuis les gros conflits miniers et sidérurgique, il y a une certaine conscience de la lutte des classes ». Les parcours professionnels au sein de l’hôpital ont été rythmés par ces luttes. Pour quelques-un.es c’était une première, mais certainement pas la dernière ! L’ARS ne pourra pas reprocher à la maternité de Decazeville de rentrer dans une quelconque routine !
Epilogue : Ouf !
Le 30 mai, L’ARS a officiellement lâché. Elle a finalement renouvelé l’autorisation d’exercer pour cinq ans. Cinq années de sursis pour les habitant.es du bassin et pour le personnel hospitalier, mais pas sans conditions. Il va, entre autre, falloir ouvrir un poste pérenne de pédiatre, embaucher une deuxième auxiliaire de puériculture pour le service de nuit, et structurer le réseau de collaboration entre la maternité et les médecins libéraux de ville.
Espérons que la guerre d’usure administrative s’arrête enfin et que nos maternités aient les moyens de voir leurs pratiques évoluer, sur le long terme : la baisse du nombre de césariennes, d’épisiotomies et de déclenchements, l’accueil de sages-femmes en plateau technique pour des accouchements physiologiques, autant de chantiers épineux qui ne pourront se déployer que dans un contexte serein. On pourrait même imaginer une maison de naissance, comme à Castres ! Car si nous défendons le maintien des services de maternité de proximité, nous aspirons encore davantage au développement de petites structures, qui permettront aux femmes d’accoucher dans les conditions qu’elles ont elles-mêmes décidées, et où la notion de rentabilité passera aux oubliettes.
* les prénoms ont été changés.
Suite à la fermeture de la maternité de Figeac, le Centre de Périnatalité du Grand Figeac a vu le jour. Le suivi qu’il propose est limité (préparation à la naissance, suivi mensuel, surveillance de fin de grossesse, consultation d’anesthésie), et surtout, il est assuré par des spécialistes (gynécologues et anesthésiste) se déplaçant de Villefranche-de-Rouergue. C’est donc vers cette ville que sont orientées les femmes pour accoucher, à 45mn de route, quand Decazeville se trouve à 30mn !
Cherchez l’erreur….