Numéro 2

Loi travail, l’étincelle qui prend

 

Depuis que la gauche est au pouvoir, ce n’est pas les lois de droite qui manquent. Mise à part à Notre-Dame-des-Landes, les luttes sociales de ces dernières années n’ont pas enrayé la politique d’inspiration patronale et réactionnaire du pouvoir dit « socialiste ». Pourtant, mis bout à bout, des luttes ouvrières des Good year à celles des Peugeot, des mouvements du Testet et de Roybon à celui de Bure, des mobilisations qui agitent Calais à celles qui s’attaquent à la police et ses crimes dans les banlieues, de l’anti-cop21 à la réaction contre l’état d’urgence, force est de constater que le niveau de conflictualité n’a pas faibli. Une tension. Un ras-le-bol.

Ce gouvernement de bourgeois-banquiers a tenté un grand coup de balai en début d’année. Héritière de la loi Macron 2, la loi El Khomri lessive le code du travail pour le bonheur de ces grosses tâches du Medef. Chaque entreprise pourra négocier toutes sortes d’accords qui piétineront l’actuel Code du Travail. Il sera ainsi possible d’augmenter la durée du travail hebdomadaire jusqu’à 46 heures, sonnant la fin des 35 heures. Mais aussi de passer à 12 heures de travail par jour pour une période donnée. Une société pourra décider de baisser les salaires ou encore de diviser par cinq la majoration des heures supplémentaires. Un plan social sera possible sans que l’entreprise n’ait de difficultés économiques : il lui suffira de baratiner autour d’une « réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ». Les licenciements : facilités. Les congés : potentiellement modifiés à la dernière minute. Quant aux horaires, ils pourront être modifiables trois jours à l’avance pour les salariés à temps partiels. Pour continuer dans cette fabuleuse lancée, les congés sabbatiques ne sont plus garantis dans la loi, la visite médicale est transformée en « visite d’information » et il n’y a plus de minimum concernant les indemnités de licenciements. Et puisque l’inspection du travail ne contrôle que ce qui se joue dans le cadre « collectif » du code du travail, ce qui sera décidé dans le cadre des accords d’entreprise échappe à son contrôle. Pratique.

C’est l’explosion de colère. Les pétitionnaires en ligne, les lycéens, les étudiants, les grosses journées de manif, les occupations de place, le passage de relais des grévistes des raffineries, des transports, des éboueurs, des postiers, des cheminots, les blocages, les assemblées de lutte, les affrontements. Mais aussi une répression policière d’ampleur, des blessés graves, des incarcérations, des interdictions de manifester. Un mouvement, une lutte à l’intensité variable, mais qui s’accroche, depuis quatre mois. À exiger le retrait de cette énième loi de régression autant qu’à repartir à l’assaut du capitalisme. Ses polices, ses guerres, son racisme et son sexisme, son système industriel destructeur. « La loi travail, et son monde ». Une belle énergie, un feu salvateur que le pouvoir aura bien du mal à éteindre les prochains mois… À nous, à vous, d’en organiser le ravitaillement.

Emile Progeault

 

Et Tout Le Monde…

La police prend cher. Jamais de mémoire de sbire et de pandore on n’avait vu pareille « haine anti flic ». Sans dec. Du vallon aux Invalides aller-retour, immersion rapide dans un instant… historique ?

Cher ? La preuve : dans une démocratie qui n’avait plus été autant confisquée depuis l’Occupation et les « Évènements » à Alger, impossible pour le Ministre de condamner les auteurs d’une affiche de la CGT info-com1 : « la police doit protéger les citoyens, et non les frapper ». Impossible pour les syndicats de fachos et de bacqueux d’interdire une fresque à Grenoble : Marianne frappée à la matraque par des flics, sur les boucliers desquels est inscrit « 49.3 ». Impossible pour le moindre CRS de porter plainte, pour outrage ou diffamation, contre ces dizaines de milliers de voix, qui se sont élevées ensemble, dans la rue insolentes. Impossible d’interdire une manif, sauvage ou non, sans la cadenasser de mille ruses. De Street Press à Street Politics, de Buzz Feed à Taranis News, de Lundi Matin à Youtube… Impossible pour le pouvoir d’endiguer cette véritable crue des flux d’images, nourrie par ces vidéastes, amateurs ou non, et qui pullulent désormais au moindre cortège, au moindre coup de tonfa. Dès lors, l’espace public est débordé par cette nouvelle réalité : la police se chie dessus. Pas étonnant qu’elle se plaigne, et tire à vue.

Sur un air de Mort aux vaches, s’envolant d’un saxo, en ré mineur sous masque à gaz, en pleine manif, en plein Paris, en plein mois de juin… Longtemps, les trois points tatoués sur la main, les énigmatiques « 1312 », « ACAB »1, jonchaient vaguement les murs des cités, des facs, ou ornaient carrément les corps. À présent, le message se manifeste, se redéploie pour s’époumonner en toutes lettres, en toutes formes. À en devenir ce hit mondial et désormais célèbre : « Et tout / le monde / déteste la police ! ». Au point de bel et bien finir par exister, comme un bon esprit. Comme une règle mathématique, du plus grand commun diviseur, au plus petit commun multiple. Une sorte de révélateur photo, sorte d’épreuve sinon de preuve : le slogan, ou plutôt postulat, chez nos voisins, se traduit d’un journal à l’autre. Die ganze Welt hasst die Polizei, Eveybody hates the police, الجميع يكره الشرطة
En occitan ? Ben essayez, par chez vous. Le premier qui nous envoie la bonne orthographe gagne un abonnement.. pour sa future incarcération.

La police prend cher. Certes, elle reste couverte. Quels que soient les blessures et les décès, les comas et les fractures, les interdits et les tortures, qu’elle inflige. Certes la répression est forte. L’avocat historique d’opposants d’extrême gauche, B. Ripert, se fait menacer d’internement psy, tandis que J.M. Rouillan (ex Action Directe) risque la qualification d’apologie de terrorisme pour un adjectif. Julien Coupat se retrouve menacé par Valls de l’Assemblée au Sénat, visé par de navrantes « notes » de la DGSI, pendant que le Parquet n’en finit plus de se pourvoir, quant à la qualification de terrrrorisme, dans l’affaire dite « de Tarnac ». Au même moment, Hugo Melchior, Gaspard Glanz, de Sud et Taranis News, comme une flopée d’opposants politiques, sont interdits de manif. À Lille, le local de la CNT est dévasté par les flics, et pour un cégétiste lillois, trois semaines en préventive… « De Lille à Seillemar vu qu’c’est la merde toupar »2.

« La France, son pinard, ses révolutions »

N’empêche. L’État, qui fait démonstration de son Maintien de l’Ordre dans la plus grande des férocités (de sa « violence industrielle », dirait Rigouste3), se fait cartonner comme jamais : un rapport de la LDH, un autre de l’ONU, un de Reporterre, le rapport annuel d’Amnesty, un autre de l’asso ACAT… Contre la torture, les mutilations, contre la police en roue libre. Une pétition signée par plus de 100.000 personnes pour condamner la police, les 49 mentions du travail de sourçage de David Perrotin… au moins 48 contre-enquêtes de l’IGPN4… les sites de recension des violences policières ne se comptent plus5. La France avance, à grands pas. « La France » qui donnait des leçons de contre-insurrection à la Tunisie moribonde, balaye à présent devant sa porte, et maintient l’ordre, qui, lui, s’éboule tranquillement. Puisqu’ Eurosatory, MiliPol, Le Bourget6, sont les derniers endroits où Valls et Cazeneuve ont fait leurs courses, on n’en finit pas de rigoler, à regarder cette fin de règne absolu se précipiter.

Le ping pong généralisé qui se joue entre le pouvoir qui ne veut pas ployer, et le peuple qui veut sa destitution, prend désormais l’allure d’un régime d’arbitraire qui s’assume, en face d’une populace qui s’enflamme. L’État d’urgence est là pour longtemps, des lois (Macron, El Khomri,…) se passent du Parlement, des journalistes de gauche sont interdits de manifs. 115 000 munitions sublétales sont commandées annuellement…

La police prend cher, ce qui n’est pas trop tôt. Et si elle ne s’est pas chié dessus, remarquons cette hirondelle, en route vers son printemps, qui, elle, ne l’a pas loupée. Rêvons un peu : tant que le prolétariat, uni en une dernière masse critique, n’aura pas mis la police à genoux, on lui jettera fatalement cailloux, joujoux, genoux, feuilles de choux, articles, slips, paroles, slogans, banderoles renforcées, pétards, fonte, ampoules emplies de peinture glycéro, œufs, bœufs, cortèges de tête, en pleine gueule. Quelques pierres, à l’édifice social qui vient. Depuis le début du mouvement, la police nationale n’aura finalement réussi qu’un truc : avancer la fête, nationale itou, au 14… juin. Bravo la police.

S.B.

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1. All Cops Are Bastards (plus crypté : 1=A, 3=C, 1=A, 2=B).
2. Rap anticarcéral, compil MDP vol. 2, mix-down production.
3. Lire : M. Rigouste, La domination policière, une violence industrielle, La Fabrique, 2012.
4. Respectivement : Comité contre la Torture aux Nations Unies, 13 mai 2016, Genève. Reporterre.net, « Le rapport qui dit les faits », et demande que dix points soient observés, allant de l’interdiction des armes sublétales jusqu’à la liberté pour les journalistes à manifester. HYPERLINK « http://www.amnesty.fr/rapport2016″www.amnesty.fr/rapport2016. Association des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture, acatfrance.fr. #justicepourlapolice : « Reconnaissez et condamnez les violences policières », lancée le 28 mars à l’intention des autorités par un lycéen marseillais, Quentin Pessemesse. Buzzfeed.com : « À Rennes, le Préfet n’a vu  »aucune violence policière », les voici », et « Loi Travail : quatre mois de violences policières présumées, résumées en un tableau » (MàJ. 28.06)
5. Après Urgence Notre Police Assassine, desarmons.org, le collectif OEIL, le collectif CaDecol, antirep.temporaires.net…
6. Salons français de ventes d’armes. La France est passée seconde mondiale cette année.

 

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Défiler dans l’ordre

Au nom de la sécurité, les services d’ordre des syndicats encadrent les manifestations. Et deviennent de fait régisseurs de leur orchestration. Pour autant, leurs comportements et méthodes ont évolué au cours de l’histoire. Les changements de postures traduisent alors autant de rapports au pouvoir, à l’État. À l’ordre.

Le mouvement contre la loi du travail réunit dans la rue syndicalistes, salariés, lycéens, étudiants, intermittents et autres précaires. Une bien belle foule qui dit « non » sans pour autant employer les mêmes méthodes. Au milieu, l’incontournable CGT. Fer de lance du syndicalisme à la française, et symbole phare dans l’appréhension de l’histoire des conquêtes sociales. Une CGT qui a – une fois encore – révélé ses multiples facettes tout au long du mouvement, notamment à travers la figure de son service d’ordre. Séquestrations de patron et arrachages de chemise ne sont que des doux souvenirs quand il s’agit de réprimer tous les comportements qui échappent au scénario établi d’une manifestation. Et puis voilà qu’apparaissent les vidéos de la manifestations du 14 juin à Paris, où des membres de la CGT jettent pavés et cailloux sur les CRS. C’est à cet endroit où les positions de la CGT nous déboussolent: admiratifs devant leur force de frappe – liée au blocage notamment, déçus par leur mollesse quand il s’agit de jouer le jeu du dialogue social quitte à cautionner cette démocratie qu’État d’urgence et 49.3 vident de sa substance.

Au cours du XXe siècle, le service d’ordre de la CGT nous a montré le meilleur comme le pire. Un peu comme ces derniers mois.

En 1907, les conflits sur le travail sont légion. Revendications, grèves et sabotages font l’actualité. Une manifestation pour le repos hebdomadaire se prépare mais Clémenceau l’interdit, invoquant l’absence de rencontre avec les organisateurs. Le rassemblement a tout de même lieu. De violents affrontements éclatent entre les manifestants et la police. Clémenceau condamne et pour marquer le coup, ferme la bourse du travail. À partir de là, émerge l’idée que le président de la république est en droit de négocier l’autorisation de manifester. Il se met à exiger la maîtrise du cortège. Sous cette pression, l’idée se fait jour de créer des services d’ordre pour que se joue dans le cortège une partition pré-écrite. Sans surprise ni débordement. (1)

C’est en 1909 que l’on situe la naissance des services d’ordre. Le 13 octobre, Francisco Ferrer (libertaire espagnol ayant notamment fondé l’école libre) est exécuté. À Paris, une manifestation spontanée a lieu et se transforme rapidement en émeute. Le rassemblement investit alors l’ambassade d’Espagne. La cavalerie est déployée sous l’ordre du préfet Lépine. Certains manifestants sont armés. Un policier est tué. Pour la petite histoire, c’est le préfet Lépine qui était visé.

Cinq jours plus tard, nouvelle mobilisation en mémoire de Ferrer. Les organisateurs parviennent à convaincre le préfet Lépine d’autoriser la manifestation, et ce pour ne pas déclencher une deuxième révolte. Ils se lancent dans des négociations, au sujet du parcours ou de l’encadrement. Hier comme aujourd’hui, l’enjeu est d’obtenir le droit de défiler et de prouver la possibilité d’un cortège pacifique. Des hommes sont désignés parmi les manifestants pour protéger l’ambassade d’Espagne, pour encadrer et veiller à l’interdiction de scander des slogans contre le gouvernement français et/ou espagnol. Seules les chansons sont autorisées. Les interlocuteurs « officiels » du gouvernement – notamment les syndicats – veulent prouver qu’il savent tenir leurs troupes. Cent mille personnes sortiront finalement dans la rue. La révolte reflue et le nombre de citoyens dans la rue augmente. Les anarchistes l’auront mauvaise d’être contraint de crier « A bas la calotte sous le regard de la flicaille »(2).

Discipliner la rue, c’est ouvrir un espace où élus, dirigeants et journalistes vont s’empresser de venir parader en bonne place dans les cortèges. Peu à peu les manifestations s’ordonnent. Des rôles, un système et donc une hiérarchie s’y développent. Un encadrement se formalise.

Vers la fin des années vingt, le parti communiste et les jeunesses socialistes – emboîtant le pas à l’extrême droite(3) – développent des groupes structurés et militarisés pour encadrer les manifestations. Ils se distinguent alors par une chemise de couleur, le port du bâton ou de la canne et reçoivent une formation. Désormais, l’ordre dans les cortèges est l’affaire d’une élite spécialisée.

En 1929, le parti communiste français souhaite des S.O moins coupés des masses et moins institutionnalisés. Dès lors, chaque syndicaliste peut en devenir membre et les signes distinctifs se font de plus en plus discrets. Quand arrive le Front Populaire, les membres des services d’ordre se distinguent uniquement par un badge, et le bâton est laissé à la maison. En parallèle, les manifestants ont de moins en moins recours à la violence.

Par la suite, les SO subiront deux évolutions majeures. Pendant la guerre d’Algérie, ils deviennent clandestins. Ils assurent une protection précieuse face aux risques et à la répression qui vont de pair avec l’interdiction absolue des manifestations à Paris.

Puis en 1968, changement d’époque, de cap et d’ambiance. Face à la joyeuse effervescence de l’extrême gauche qui emporte les manifestations dans un grand souffle, les services d’ordre reprennent goût aux pratiques militarisées et tentent à nouveau d’écrire le déroulé des manifestations (4). Le service d’ordre compte parfois plus de mille membres pour couvrir une manifestation.

Actuellement, en tant qu’architectes de la contestation, et avec son service d’ordre pour bâtisseurs, la CGT construit les manifestations. Elle se place dans le cortège de manière stratégique pour les médias, pour l’aspect visuel, déployant ses talents en marketing. Au devant, à environ trente mètres sont positionnées les forces de l’ordre. Il se crée donc un sas de sécurité disponible pour les représentants politiques, les éventuelles stars du dimanche et surtout les médias. Le S.O ferme la marche de cette joyeuse bande et la sépare de tout ce qui pourrait casser l’ambiance. On ne se mélange pas. Des équipes volantes se positionnent à l’approche de carrefours, de banques, ou de commerces pouvant potentiellement attiser la colère. Cerise sur le gâteau, un fonctionnaire de police est affecté en tête de cortège pour « favoriser la concertation ». Entre figures d’autorités, on fait copain-copain. La facilitateur/trice, véritable chef d’orchestre du défilé du syndicat, communique par smartphone avec tout ce joli monde, coordonnant le respect de l’ordre. Les échanges concerneraient l’itinéraire, mais il y a fort à parier qu’ils ne peuvent faire l’impasse sur comment et pourquoi réprimer certaines initiatives.

Les S.O des syndicats ne sont pas soumis au code de déontologie ni au contrôle de moralité (6). Ils n’ont besoin d’aucune autorisation particulière pour exercer sur la voie publique, et ne sont pas vraiment encadrés concernant le port d’armes ou d’objets pouvant blesser. Le dépôt de déclaration d’une manifestation signée par la préfecture engage les syndicats à « prendre toutes les dispositions » pour assurer un bon déroulement. À en croire ce à quoi on a assisté dernièrement à Paris et ailleurs, les SO ont certainement dû l’interpréter comme un appel au retour de certains équipements. Bâton en tête.

Le service d’ordre impose un cadre, assure une fonction dans la manifestation sans pourtant réellement y participer. Il garde ses distances, habité par un esprit de corps via lequel il dresse son code d’honneur. Solidarité interne et hermétique. Cette fonction, basée sur le volontariat, est souvent assurée par des hommes, les femmes n’avait pas le droit d’endosser ce rôle jusqu’au années quatre-vingt. Ambiance : camaraderie virile.

Progressivement, s’est diluée « la menace », ou autrement dit la force de frappe, d’une manifestation donnée. La révolte a laissé sa place aux revendications bon enfant. Le défilé se veut ludique. État second sous overdose de morceaux de Zebda, que l’on subit en faisant mine de rester « motivés, motivés » pour mieux se gaver de sandwichs à la saucisse et « de mojitos de la lutte » à deux euros. Le scénario est monotone. Monochrome. Une ritournelle qui n’évolue pas depuis trop longtemps.

Les S.O s’attachent à contenir l’imprévisible, car les « débordements » jouent dans les négociations. Certes, comme s’il tenait ses troupes avec laisse et muselière, le syndicat menace de les lâcher si le gouvernement ne cède pas. Une menace ou plutôt une incantation, une posture médiatique, alors qu’en coulisse il s’oppose à la force libératrice du défilé. La réussite d’une manifestation se mesure à l’aune du nombre de participants. Point. Ce qui au passage explique l’écart risible des chiffres de la police et des syndicats. Ces regards portés sur la quantité rend illégitime l’audace et le caractère combatif d’un mouvement au prétexte qu’ils pourraient faire fuir « femmes et enfants ». Les affrontements discréditeraient le mouvement social, alors en bon perroquet du pire, comme l’État, il les condamne. Circulez, y’a rien à voir.

L’objectif est de déboucher sur une normalisation totale des manifestations. Il n’est pas étonnant que cette orchestration fasse éclore en réponse le phénomène des « manifs sauvages »(5) ou d’actes « à visée insurrectionnelle » portés par celles et ceuxqu’on voudrait fondre dans le moule du « casseur ». Au mot casseur, L’Empaillé préférera : jeunesse politisée en colère et impliquée. Des actes donc. Des ratures dans le scénario. Lassées de se contenter des défilés ordonnés face à l’entêtement humiliant que dégaine l’État français.

Quid des derniers mois? Syndicats et services d’ordre nous ont fait tourner la tête. Je t’aime moi non plus. À Marseille, ils menaçaient de « faire la fête » à celles et ceux qui distribuaient des tracts en faveur de la mouvance autonome. A Toulouse, le 1er mai, ils ont abandonné le cortège de tête dans la nasse de CRS, composé de lycéens et d’ « autonomes », vexés de s’être fait devancer dans le placement. À Paris, le 17 mai, on a vu le service d’ordre de la CGT rappliquer place Denfert-Rochereau déguisé en CRS : en grand nombre, bâton à la main, casque sur la tête, mains gantées, prêts à en découdre avec le moindre « jeune politisé en colère et impliqué ». Autant d’abandons de compagnons et camarades potentiels. Mais voilà que le mouvement traîne dans le temps. Que le gouvernement ne lâche pas. Le dénigrement de la rue resserre les rangs et tisse les solidarités. En fin de compte, on prend la CGT en flagrant délit de heurts avec la police aux côtés de « jeunes politisés en colère et impliqués  » le 14 juin à Paris.

Phillipe Martinez, secrétaire général de la CGT depuis 2015, condamne les actes de ses adhérents et se désolidarise. Seul face à Valls, seul face à ces prétendues brebis galeuses. Posture raisonnable cherche négociation modérée. Certains n’entendent pas la rue et sa rage.

Quelles que soient ses positions, le service d’ordre agit comme un révélateur quant à l’échiquier politique sur lequel il intervient. Le nôtre est visiblement sous tension. Écartelé. Certes, les S.O syndicaux ont méprisé tout une partie du mouvement contre la loi du travail. Notamment la plus offensive. Mais, capable du meilleur comme du pire, on a vu beaucoup de chasubles CGT sur les corps de ceux qui se sont égosillé à dire que « tout le monde déteste la police ». C’est à croire que respirer la même odeur de lacrymo, ça crée des liens. Et puis, encartés ou pas, l’idée du recours au blocage et les blocages eux-mêmes ont fédéré. Dans ces actions, la CGT a eu l’occasion de redorer son blason. Cesser de faire tourner les centrales nucléaires, les raffineries, voilà des actes que le gouvernement ne peut faire mine d’ignorer.

La CGT a donc perturbé, démontré sa force de frappe, et dans le même temps dévoilé son manque de franchise et de « vérité ». Mais pour autant, il semblerait que l’histoire s’excite nerveusement, entre ce qui (se) contient et ce qui explose. Les forces contradictoires de la CGT en sont un exemple. Comme deux cailloux qui seraient heurtés sans cesse, et entre lesquels on attend l’étincelle. Cette étincelle qu’on espère voir transformer des semaines d’excitation en un renouveau et non un retour à la case départ. Voire quelques cases en arrière. Comme disent les vieux, qui vivra saura.

Et si même les manifestant-es de la CGT sortent des rangs, s’échauffent contre les CRS et n’ont que faire des directives venues d’en haut, le service d’ordre vaut-il encore la peine d’exister ? Est-ce qu’un jour la moitié du syndicat tapera sur la figure de l’autre moitié ? Une chose est sûre, celles et ceux qui ont animé les cortèges de tête offensifs, ici et ailleurs, s’acharnent à bousculer les choses en rêvant de services d’ordre qui cesseraient enfin de contenir les ardeurs des uns et des autres. Une digue qu’on cèderait.

 

(1) Histoire de France contemporaine, depuis la révolution à la paix de 1919. Ernest Lavisse.

(2) Le goût de l’émeute, manifestations et violences de rues dans Paris et sa banlieue à la « Belle époque ». Anne Steiner. Ed L’Echappée, 2012.

(3) La CGT: du service d’ordre au service d’accueil. Isabelle Sommier. Ed Genèses, 1993

(4. Lire un super livre sur 1968 : Plus vivant que jamais. Pierre Peuchmaurd. Ed Robert Laffont, 1968

(5) http://www.83-629.fr Service d’ordre de fo et de la cgt à paris des agents de sécurité

(6) Départ spontané pour une manifestation et sans autorisation.

L.