Numéro 7 régional

Une rentrée cauchemardesque

AutonoMIE est collectif composé de mineurs isolés et de soutiens qui luttent ensemble contre les violences institutionnelles subies par les MNA (Mineurs Non Accompagnés, ou Mineurs Isolés Étrangers) et pour défendre leurs droits. Depuis 2016, il s’oppose aux procédés d’évaluation racistes menés par le DDAEOMIE (dispositif départemental d’accueil, d’évaluation et d’orientation des mineurs isolés étrangers). Usant de méthodes dégradantes (tests osseux, examen des dents) et sur le principe d’une suspicion généralisée, le conseil départemental considère ces jeunes comme majeurs et les prive de leurs droits. En réponse à ces évaluations, les recours opérés auprès du juge des enfants débouchent pour une écrasante majorité à la reconnaissance de leur minorité.

À quelques jours de la rentrée scolaire, une centaine de jeunes du collectif AutonoMIE se sont retrouvés sans logement suite à l’expulsion du bâtiment qu’ils occupaient. Pendant près d’un mois, la mairie de Toulouse et le conseil départemental ont laissé pourrir la situation jusqu’à une seconde expulsion du campement de repli installé dans le ventre de la ville. Retour sur un mois de galère et de violences institutionnelles.

Ils étaient plus d’une centaine à vivre dans l’ancien EHPAD des Tourelles, mis à disposition par la mairie de Toulouse en 2019. La rumeur d’une expulsion courait depuis le début de l’été, mais la mairie a attendu le 26 août pour mettre sa menace à exécution. À six heures, trente camions de police sont mobilisés pour déloger le collectif.

Ce faisant, la mairie ignore la décision du tribunal, qui a conditionné l’expulsion à des mesures d’accompagnement et d’hébergement. À la place, elle propose une « zone de tri » des jeunes selon leur situation administrative. Proposition cynique, sinon humiliante pour ces jeunes dont l’âge a été remis en cause par le conseil départemental et qui sont actuellement en recours auprès du juge des enfants. Sans autre solution, le collectif pose des tentes dès le lendemain devant le palais de justice.

Souleyman Sylla, du collectif AutonoMIE, raconte : « Cela fait huit mois que je suis passé au DDAEOMIE [cf. ci-contre] et qu’ils ont dit que j’étais majeur. Ils ont dit que je parlais trop bien le français pour un mineur, et que je n’en avais pas la carrure. Quand ils ont proposé de nous séparer selon notre situation administrative nous avons refusé, nous voulons rester en collectif. Aujourd’hui cela fait plusieurs semaines que nous vivons dans la rue et c’est trop dur. On ne peut pas dormir à cause du bruit des voitures, et on est nombreux à être en dépression. Ce que l’on veut, c’est être reconnus pour ce que nous sommes, des mineurs. »

Début septembre, Médecins du Monde alerte sur l’état de santé des jeunes, encore dégradé par leurs conditions de vie dans la rue : problèmes somatiques liés à la précarité, difficultés d’accès à des sanitaires, manque de repas chauds, auxquels s’ajoutent les psycho-traumas et dépressions liés à leur voyage vers l’Europe.

L’occupation avortée du collège Bellefontaine

Après une semaine dans la rue, un bâtiment est ouvert dans le quartier de Bellefontaine. Celui-ci est touché par un plan local d’urbanisme selon lequel la mairie de Toulouse entreprend la destruction d’un immeuble en 2023. De son côté, le conseil départemental a acté la fermeture du collège de quartier depuis la rentrée 2022, dans le cadre de son plan de « mixité scolaire ».

Les jeunes investissent le collège vers midi, accueillis plutôt chaleureusement par des habitant.es qui leur apportent de la nourriture et des packs d’eau. Mais la tension monte dans l’après-midi alors lorsqu’un groupe de personnes cherche à déloger le collectif, avec le soutien tacite de la police. Coups de pression, insultes, menaces… Le collectif finit par quitter les lieux en début de soirée.

Que dire de cette journée qui laisse un goût amer chez les jeunes comme chez les habitant.es ? Pour certains, l’occupation aurait été perçue comme une menace pour le point de deal local. Pour d’autres, les techniques employées pour déloger le collectif ressemblent à des mobilisations anti-squat devenues fréquentes à Toulouse (1). Ou est-ce un manque de communication entre le collectif et les habitant.es du quartier, comme le rappelle I.G, travailleuse sociale à Bellefontaine : « Même si le collège a fermé, il abrite toujours le siège du JAL (2). L’association s’est battue contre sa destruction et assure le lien entre générations. Le collège est considéré comme un bien commun ici. Alors certaines personnes ont vu l’occupation comme une intrusion, comme un cambriolage. Je pense que les gens ne sont pas opposés à la venue de ces jeunes mais c’était une action à construire ensemble, il aurait fallu se rencontrer ».

Une expulsion médiatique

Après trois semaines dans la rue, la situation s’enlise et la fatigue s’accumule. Les institutions se renvoient la patate chaude, sachant qu’aucune n’est légalement en charge de ces jeunes qui sont en procédure de recours. Le 16 septembre, la mairie annonce qu’elle prépare le démantèlement du campement. Le 20 septembre au matin, des représentants de l’OFII (3), de la préfecture, du conseil département ainsi qu’une brochette de RG s’invitent sur le campement. Sans gros dispositif policier, des barnums sont installés à quelques pas des tentes, où les 141 jeunes s’enregistrent avant d’être redirigés vers des centres d’hébergement et des chambres d’hôtel, le temps de leur recours. Un soulagement provisoire, mais une solution loin d’être satisfaisante : ces hébergements ne sont pas adaptés aux mineurs, les hôtels sont souvent loin du centre-ville, et l’accès aux cours de français n’est pas garanti. Les jeunes sont à l’abri, mais privés d’une force collective précieuse.

Cette opération politico-médiatique avait pour but d’évacuer les allées Jules Guesde, mais aussi d’apaiser les dissensions institutionnelles autour de la prise en charge des jeunes. Mais elle n’apporte aucune réponse à moyen terme. Des jeunes absents du campement le jour de l’expulsion ont été relogés en squat, auxquels s’ajoutent quotidiennement les jeunes sortant du DDAEOMIE. L’enjeu est donc plus que jamais, pour les jeunes et leurs soutiens, d’assurer le lien dans un collectif dispersé, d’accueillir les nouveaux arrivants et de reconstruire un espace de lutte et de solidarité.

texte et photos : C.A.

1 : En 2021, une mobilisation réactionnaire a mené à l’expulsion d’une maison squattée, après la publication d’un article dans La Dépêche, repris par l’influenceur fasciste Bassem. Depuis, des ouvertures de squat aux Izards et à Rangueil ont été mises en échec par des groupes de voisins.

2 : Jeunesse Action Loisirs est une association créée en 2001 après que l’explosion AZF ait rendu les locaux du collège inutilisables. Elle accompagne les jeunes déscolarisés, propose une aide aux démarches administratives et participe à créer du lien dans le quartier.

3 : Office français de l’immigration et de l’intégration.