Numéro 9 Régional

Toulouse : Eco-Bat a plombé un quartier

Une multinationale au top du greenwashing, sa filiale toulousaine qui recrache des tonnes de plomb pendant des années, une préfecture qui étouffe le scandale avec un « plan sanitaire », des milliers d’habitant·es qui ont des molécules toxiques dans le sang et qui se demandent si leur jardin n’est pas empoisonné. Comme toujours, les profits de quelques uns passent avant la santé de tous les autres.

Eco-Bat Technologies est un grand groupe mondial. Le leader « du recyclage et de la production responsables de ressources essentielles à la vie moderne ». Leur ambition est affichée sur leur page web : « Le plomb pour la vie » ! Ils sont for-mi-dables, et dieu sait qu’on pouvait leur faire confiance le nez bouché. Tout est mis en œuvre, nous assurent-ils, pour « que les batteries au plomb que nous recyclons en plomb raffiné ne nuisent pas à l’environnement, aux employés ou aux communautés dans lesquelles nous travaillons.» Ils insistent encore, « fiers d’être à l’avant-garde des efforts visant à rendre notre industrie toujours plus soucieuse de l’environnement », et brandissent à qui veut leur listing de certificats aux normes ISO ou OHSAS.

Pourtant, cette propagande de la multinationale américaine a fini par tomber sur un os, après la fermeture de son usine STCM au nord de Toulouse. Au moment de la dépollution du site, après avoir rechigné à le faire depuis 2016, le groupe finit par transmettre à la préfecture des chiffres plutôt fâcheux concernant la pollution des sols. Voilà que du jour au lendemain, les quartiers alentours présenteraient des niveaux inquiétants de plomb, aux effets nocifs pour les enfants, les femmes enceintes et toute la population.(1) « Des sols massivement pollués en grande quantité », selon Serge Baggi, le président du comité de quartier Minimes-Barrière de Paris que nous avons rencontré.

Une pollution toxique… respectueuse des normes

En pleine zone urbanisée, jusqu’à 700 mètres autour de l’usine, on relève des concentrations dépassant les 300 milligrammes de plomb par kilo de terre (mg/kg), et jusqu’à 1870 mg/kg le long du canal latéral (2). La préfecture lance alors un « plan de surveillance sanitaire » avec l’ARS, élargissant le secteur à une zone pouvant présenter des concentrations supérieures à 100 mg. C’est la douche froide pour la population : la zone polluée compterait 12 000 habitant·es, six établissements scolaires et plus de 1500 élèves, ainsi que trois crèches et un institut médico-éducatif.

Ce qui est étonnant, c’est qu’une thèse de doctorat en 2009 sur les retombées atmosphériques de la STCM (3) aurait déjà pu alerter les autorités sanitaires. Une carte y présentait en effet des analyses de sols environnants dépassant les 100 mg. Contactée, la chercheuse Gaelle Uzu nous a confirmé que ce document avait été réalisé par un cabinet indépendant et que la STCM lui avait donné l’autorisation pour le publier. Autre point notable, elle affirmait la possibilité que les riverains qui ont des potagers puissent ingérer du plomb via la consommation de leurs légumes : à partir des salades, elle montrait que la contamination foliaire devrait être prise en compte autour des structures émettrices, et préconisait même que « la base de la nervure centrale des feuilles de salade, où se concentrent les principales nécroses riches en plomb, pourrait être éliminée avant consommation ». Inutile de se demander si les autorités ou Ecobat ont pris en compte ces recommandations.

À la préfecture, on reste droit dans ses bottes. La STCM a toujours fait l’objet d’une « surveillance rigoureuse », les données ont toujours confirmé « le respect de la norme de plomb et une diminution progressive de sa concentration dans l’atmosphère jusqu’à sa quasi-disparition à la suite de l’arrêt de la fonderie en 2011 ». Quant au « suivi du plomb dans la chaîne alimentaire », il n’a jamais « révélé de risque sanitaire ». Mais alors ces sols aujourd’hui massivement pollués à des centaines de mètres à la ronde, est-ce une opération du Saint-Esprit ? Sans doute. Ou, si l’on voulait encore accorder une once de confiance aux autorités sanitaires, n’est-ce pas finalement ce respect des normes qui a été problématique ? Selon les spécialistes, le plomb est nocif pour la santé dès le premier microgramme dans le corps : il n’y a aucun seuil à partir duquel on peut le tolérer, toute exposition est considérée comme ayant un effet nocif sur la santé. Le chercheur au CNRS Frédéric Oge, spécialiste en pollution de sols, insistait lors d’une commission sénatoriale en 2020 : « Concernant le plomb et le mercure, il n’y a pas de seuil à rechercher. Ces substances ne doivent pas être présentes dans le sol » (4). Pourtant, depuis 1952, la STCM a recraché jour après jour des kilos et des kilos de plomb dans les quartiers environnants. Gaelle Uzu estimait qu’en 2009 les activités du site émettaient entre 300 et 600 kilos de plomb par an dans l’atmosphère, et que les émissions des cheminées retombaient majoritairement dans la zone autour de l’usine. Et pour le plus grand malheur des riverains, l’arrêté préfectoral fixé par l’administration autorisait alors l’entreprise à émettre jusqu’à 800kg de poussières et 500 kg de plomb par an…

Un dépistage d’une lenteur stupéfiante

Du côté de l’ARS, on se contente « d’inciter » les habitant·es à se faire tester, ciblant d’abord les enfants et les femmes enceintes. Plus de cinq mois après la « mise sous surveillance » du secteur, seuls 236 dépistages (107 enfants et 129 adultes) ont été effectués sur les 12 000 résident·es. Pour l’instant, une plombémie (taux de plomb dans le sang) inquiétante chez une femme enceinte et un cas de saturnisme chez un enfant ont été relevés. L’ARS se félicite pourtant que « les résultats obtenus chez 67 mineurs se situent même au-dessous du premier seuil de vigilance fixé par le Haut Conseil de la Santé publique à 25 microgrammes de plomb par litre de sang ». Quand bien même ce taux devrait être à zéro ! Il faut ajouter que lors d’une réunion publique à la mi-décembre, deux femmes sont venues témoigner être atteintes de saturnisme depuis dix ans, sans jamais avoir réussi à alerter les autorités. Serge Baggi pense que ce n’est que le début : « ça va être difficile, on va faire remonter les alertes, mais on craint qu’ils nous disent que la STCM a toujours respecté les réglementations ». Par ailleurs, si le comité de quartier réclame qu’il y ait davantage de plombémies réalisées, « cela ne donnera pas une image complète de la pollution réelle et de l’atteinte réelle aux personnes, puisque le plomb s’évacue progressivement du sang, il y a donc besoin d’aller voir dans les cheveux, les os, et ce n’est pas prévu par le dispositif de l’ARS aujourd’hui ». Pas plus que des analyses de sols chez les particuliers, qui sembleraient pourtant aller de soi dans une telle situation. Lorsque Élisabeth, une habitante enceinte qui présente une plombémie de 67 microgrammes de plomb par litre de sang, réclame aux agents de l’ARS venus faire leur enquête d’analyser le sol de son jardin, on lui rétorque que « cela coûterait trop cher de tout tester », et que « des investigations complémentaires ne sont réalisées que quand cela concerne un enfant » (5). Nous voilà servis en matière de sécurité sanitaire.

Quant à la STCM et à sa maison mère Ecobat, c’est silence radio. Ils freinent déjà des quatre fers pour dépolluer le site en lui-même, ils ne vont quand même pas se soucier du quartier et de ses habitant·es. Sur les 24 000 m² de son ancienne usine, la STCM ne dépolluera en effet que la moitié du plomb, soit la partie supérieure contenant deux grammes par kilo de terre, dans le premier mètre de profondeur de sol. Serge Baggi ne décolère pas : « Ca m’espante que l’entreprise puisse laisser 100 tonnes de plomb sur le site et repartir, ils sont autorisés à faire cela ! Pourquoi ne pas ramener le sol à 0, même jusqu’à quatre mètres de profondeur ? Mais non ils enlèvent 100 tonnes sur 200, et c’est conforme à la réglementation. C’est sûr que la dépollution complète coûterait les yeux de la tête, mais ce n’est pas moi qui ait mis le plomb là ! » Quant à la zone du quartier où on relève des concentrations de plomb supérieurs à 300 mg, « ils pourraient se préoccuper de la mise en place d’un plan de gestion des sols sérieux, en disant voilà : je vous restitue le sol de votre jardin pour que vous puissiez cultiver vos légumes et les manger sans risques, pour que vos enfants y jouent sans danger pour leur santé ! »

Le principe de pollution

Ce qui préoccupe davantage le groupe Eco-Bat, c’est son image. Tout semble bien orchestré de ce côté-là, puisque parmi tous les articles de presse consacrés au scandale sanitaire autour de la STCM, la multinationale réalise l’exploit de ne pas être citée une seule fois ! C’est pourtant l’un des quatre groupes mondiaux du secteur, qui ont récemment fraudé les règles de la concurrence de l’Union Européenne. Les géants du plomb s’étaient entendus pour racheter à bas prix les batteries usagées en Europe de l’ouest, et l’UE avait infligé une amende de 32 millions d’euros à Eco-Bat. Son alter ego français mis en cause n’est autre que Recyclex (ex-Métaleurop), propriété du Suisse Glencore. Eco-bat pourra lui demander conseil, lui qui est longtemps parvenu à étouffer la pollution au plomb engendrée par son ancienne fonderie dans le Pas de Calais. Les 600 hectares environnants constituent l’une des plus grandes zones polluées de France, et vingt ans après la fermeture de l’usine, le plomb explose les seuils autorisés dans les écoles, jardins et entreprises de la commune d’Évin-Malmaison, provoquant des cas de saturnisme (6).

Quant au maire de Toulouse, il semble plus occupé par la santé des promoteurs immobiliers que par celle de ses habitant·es. Il a fait voter à la mi-février au conseil de Toulouse Métropole une modification du PLU permettant au promoteur Kaufman&Broad de construire un complexe immobilier de 800 logements…. au beau milieu de la zone de surveillance sanitaire définie par l’ARS ! En plein délire, le maire prévoit même de construire un groupe scolaire sur ces parcelles. La délibération votée ce 16 février dédouane Toulouse Métropole de toute évaluation environnementale sur le site en amont, puisque une étude a déjà été réalisée, financée par le promoteur lui-même. Tout est aux normes, braves gens, les affaires peuvent continuer !

Texte : Emile Progeault / Illustration : Pierro

1 : Le plomb peut mener à une intoxication, appelée le saturnisme, pouvant occasionner des retards de développement et des atteintes du système nerveux notamment chez l’enfant ou le fœtus chez la femme enceinte.

2 : « Soixante-dix ans de lutte contre la pollution au plomb dans le nord de Toulouse », Médiacités, 6/03/23.

3 : Spéciation, transfert vers les végétaux et approche toxicologique des émissions atmosphériques d’une usine de recyclage de plomb, à l’Institut National Polytechnique de Toulouse, 2009.

4 : Comptes rendus de la pollution des sols, 23/06/20, www.senat.fr.

5 : « Enceinte et contaminée au plomb, le combat d’une Toulousaine face à une bombe à retardement sanitaire », 14/12/22, Médiacités.

6 : Cf l’enquête du documentaire Les enfants du plomb, France 5, 2021, Martin Boudot.