Numéro 9 Régional

De la pollution au diesel à la pollution électrique : la transition industrielle en marche

Sous l’acronyme « ZFE », la promesse louable – réduire un peu le seuil de pollution aux particules fines dans l’atmosphère des villes- s’est transformée en mesure autoritaire, pro-industrielle et potentiellement anti-écologique. À Toulouse, les transports en commun sont les parents pauvres de l’opération, tandis que la société de la bagnole – électrique – a de beaux jours devant elle. Pour ceux et celles qui pourront se la payer.

Remplacer plus de 40% du parc automobile français en deux ans. Voilà la conséquence de la mise en place des « Zones à faible émission » (ZFE). C’est plus qu’un cadeau à l’industrie automobile, c’est un capitalisme à marche forcée. Depuis le 1er janvier, le centre de Toulouse est interdit aux vielles voitures diesel (avant 2006) et essence (avant 1996). En 2024, ce sera au tour des diesel fabriquées avant 2012 et des essences avant 2005. Place aux véhicules électriques et à hydrogène, sous l’œil de nombreuses caméras qui quadrilleront le secteur pour repérer les plaques d’immatriculation des prolos qui oseront encore y pénétrer. Mais alors comment certaines associations et ONG ont-elles pu « saluer » la démarche des ZFE à leur annonce officielle en 2019 ? (1) C’est que l’État promettait des aides et les élus locaux assuraient que les alternatives à la bagnole seraient au rendez-vous…

Une zone d’exclusion

Dans la région toulousaine, les habitant-es comme les associations ont vite déchanté. Certaines d’entre elles lancent un « appel pour un plan d’urgence pour une ZFE plus juste et plus efficace » (2) en février 2021. Car sur la métropole, près de 180 000 voitures ne pourront plus circuler dans Toulouse (38% du total), et sur la grande agglomération ce sont près de 500 000 véhicules qui ne rentreront plus dans les clous (43%). Les aides de l’État, il fallait s’y attendre, ne permettent pas d’acheter une voiture récente sans devoir débourser 10, 20 ou 30 000 euros. « Pour réussir cette ZFE sans laisser des centaines de milliers de personnes au bord de la route », elles appelaient alors à « un plan d’urgence pour offrir de nouvelles solutions de déplacements ».

Nous avons rencontré l’Association des Usager·es des Transports de l’Agglomération Toulousaine et de ses Environs (Autate). Dans leur dernier rapport sur « l’évolution du développement du réseau de transports en surface tisséo associé à la zfe », l’Autate est catégorique : « L’alternative à l’usage de la voiture est inexistante ou très insuffisante pour une grande partie des habitants de l’agglomération ». Entre 2014 et 2019, le nombre de kilomètres parcouru par l’ensemble des modes de transports en commun est en stagnation et le projet de ZFE ne change pas la donne. Au contraire, la majorité des lignes existantes subit des dégradations de la fréquence de passage des bus en 2023, et depuis trois ans seulement six lignes ont été créées, sans service le dimanche, avec une desserte terminée avant 20 heures et un nombre de passages faibles. Selon Nicole, militante de l’association, « c’est une évolution beaucoup trop lente, avec une publicité erronée : Tisséo [la régie des transports en commun de l’agglo de Toulouse] annonce de nouvelles Linéo (3) mais chaque fois qu’ils en créent une, c’est en réalité une ligne déjà existante transformée en Linéo, et ils dégradent le bassin de transport autour d’elle ! Au final, l’idée de Tisséo c’est toujours de faire à coût constant ».

Le rapport décrit aussi un déséquilibre très important de l’offre de transport entre la banlieue et le centre de Toulouse (que ce soit sur le nombre de lignes, la fréquence des bus, les parcs relais ou les stationnements vélos), un service de bus très inégalitaire qui se renforce en soirée ou le week-end : ainsi 30% des villes de l’agglomération n’ont aucun service le samedi et/ou le dimanche. À l’approche de la mise en place de la ZFE, selon Nicole, « les habitants de la périphérie sont les grands oubliés, alors que Toulouse représente moins de la moitié des habitants du territoire couvert par Tisséo. Les évolutions récentes concernant la première couronne de banlieue sont limitées à une ligne passant en service Linéo , le L7, en direction de St Orens. Les deux autres Linéos annoncés (L12 et L14) seront en centre ville sur les axes des lignes A et B du métro. Les prolongements des lignes de Linéo qui allaient dans le sens d’un ré-équilibrage de l’offre de service sur l’agglomération ont été malheureusement reportés après 2030 au profit des nouvelles infrastructures de métro. »

Et alors qu’en se basant sur l’analyse des déplacements quotidiens des centaines de milliers d’habitant·es de la métropole, l’association montre que de nombreuses lignes de bus sont manquantes en périphérie, qu’il y a clairement des tronçons qui font défaut et des axes de banlieue à banlieue à créer, du côté de Tisséo « tout est vu uniquement avec les axes banlieue-Toulouse » et avec « une volonté à tout prix à faire des rabattements en bus vers la nouvelle ligne de métro, qui va coûter très cher ».

Droit dans le mur

Selon l’Autate, « l’arrivée de la ZFE n’a pas infléchi la feuille de route de Tisséo qui engloutit la plus grande partie du budget dans le développement de la future ligne de métro et sa jonction vers l’aéroport. (…) D’ailleurs, cette 3ème ligne prétendument “écologique” ne l’est pas vraiment : le percement des tunnels, l’extraction, le béton, etc, vont générer 880 000 tonnes de CO2. Il faudra 35 ans pour “amortir” cette dette carbone ! En outre, les nombreux chantiers un peu partout sur Toulouse vont plomber la mobilité dans les années à venir».

À Toulouse comme ailleurs, rien n’a donc été fait pour entrevoir un grand virage écologique des déplacements urbains. Mais qui s’en étonnerait ? Nos métropoles ne sont pas aux mains de partisans de la gratuité et du décuplement des transports en communs, du refus de l’industrie automobile mortifère et de la lutte contre l’embourgeoisement des centres villes, bien au contraire… Alors on aura « logiquement » droit à une accélération de la gentrification et à un pic de pollution avec cette commande historique et massive de millions de voitures neuves, qui au final pollueront tout autant(4). D’un autre côté, les dizaines de milliers de personnes qui ne s’endetteront pas pour le dernier modèle SUV électrique se taperont des galères de transport au quotidien.

Au final ces ZFE ne sont plus qu’une forme d’écologie punitive, réduite à exclure de la ville les véhicules à moins de 10 000 euros. Au lieu par exemple, de faire en sorte qu’il soit plus pratique et plus économique -voire gratuit- de se déplacer en transport en commun plutôt qu’en bagnole. Et plus largement, comme l’écrivait André Gorz en 1973 dans L’idéologie sociale de la bagnole, en gardant en tête qu’il ne faut « jamais poser le problème du transport isolément, toujours le lier au problème de la ville, de la division sociale du travail et de la compartimentation que celle-ci a introduite entre les diverses dimensions de l’existence ». En attendant les ZFE mettent en lumière la vraie nature de « l’automobilisme », qui plus que jamais doit être reconnu comme « un luxe anti-social ».

Texte : Emile Progeault / Illustration : Jean Vomi

1 : « Zone à faible émissions : un dispositif à saluer et à renforcer », juin 2019, signé par la Fondation Hulot, FNE, Greenpeace, Réseau Action Climat, l’UNICEF et le WWF.

2 : Par FNE Midi Pyrénées, l’Autate, Rallumons l’étoile, l’UCQ et Deux pieds deux roues.

3 : Lignes de bus optimisées avec une fréquence de passage tous les 6 à 12 minutes.

4 : Selon l’ADEME, la construction d’un véhicule électrique est deux fois plus polluante, et l’usure des routes, des pneus et des plaquettes de frein représente 41% des émissions des particules fines selon Airparif.