Numéro 9 Régional

À Decazeville, le Département fait la guerre aux pauvres

En Occitanie, l’INSEE comptabilise près d’un million d’habitant·es vivant sous le seuil de pauvreté, et près de 500 000 le franchissant à peine. Plus que jamais il serait nécessaire de s’attaquer à cette classe bourgeoise qui se gave dans la région et à ce patronat abreuvé de subventions sans n’avoir aucun compte à rendre. Mais le département de l’Aveyron et son président autocrate ont décidé de taper sur quelques centaines d’allocataires du RSA du bassin de Decazeville, feignant de vouloir les remettre au boulot. Puisqu’ils n’en trouveront pas, il restera la mise sous pression de personnes fragiles et survivant avec 598 euros par mois.

C’est une énième attaque de la droite contre les chômeurs et les aides sociales. Macron reprend le refrain qui revient maladivement à droite contre l’assistanat des allocataires, lesquels manqueraient de volonté pour retrouver du travail face à de valeureux entrepreneurs en manque de main d’œuvre. Et tant pis si cela n’est corroboré par aucune étude et si les chiffres de l’emploi trafiqués à l’envie cachent mal un chômage de masse qui concerne pas loin d’une personne sur cinq.

Alors Arnaud Viala, le président du département déjà connu pour sa gestion autoritaire et les grèves à répétitions de ses agents, s’est porté volontaire pour mener l’expérimentation « France Travail » du gouvernement. La délibération qu‘il a fait voter en décembre 2022 prévoit que les allocataires du RSA devront réaliser «  un accompagnement intensif de 15 à 20 heures par semaine » sous peine de se voir supprimer tout ou partie de leur aide sociale. Un RSA sous condition, pour que « chaque personne soit rapidement confrontée à l’emploi », puisque « des secteurs sont en tension de recrutement et offrent donc des opportunités à ces publics en difficulté ». Faisant cela, Viala et son adjoint à l’insertion M. Sadoul s’agitent pour amuser la galerie réactionnaire, mais rien ne tient la route et les allocataires du RSA du secteur de Decazeville ne savent toujours pas à quelle sauce ils vont être mangés avec cette expérimentation supposée démarrer ces prochains mois.

Une mesure démagogique et dangereuse

Sur le terrain, les assistant·es sociales du bassin de Decazeville, territoire sinistré et sélectionné pour commencer cette « expérimentation », oscillent entre perplexité et écœurement. Selon Cédric Maurs, leur représentant CGT, « on nous demande de plus en plus de contrôle, mais on est là pour accompagner les usagers par rapport à leurs demandes et leurs capacités, pas pour vérifier leur emploi du temps de la semaine, ce n’est pas propice à une relation de confiance. Pour certains, cette confiance a mis parfois plusieurs années pour s’instaurer, et ce sera balayé avec ce dispositif ». C’est la goutte de trop pour ceux et celles qui chaque jour, de Conques à Firmi et de Viviez à Capdenac, s’occupent de l’accompagnement des personnes au RSA, mais aussi des expulsions locatives, de la protection de l’enfance, de problématiques liées à une séparation ou une maladie. Sans oublier les permanences à tenir à Marcillac, Aubin, Capdenac ou Decazeville ! Selon Cédric Maurs, forcer les quelques centaines de personnes les plus précaires de ce territoire à accepter un travail n’est pas tenable. Il explique qu’au quotidien, « on ne réfléchit pas en fonction des objectifs qui sont annoncés plus haut, car on est embourbés dans d’autres problématiques. Et ce n’est pas forcer ces personnes à faire dix heures aux Restos du cœur ou au Secours populaire qui va changer leur situation. En plus, il faudrait déjà qu’ils arrivent à se déplacer ! C’est un public qui cumule les difficultés, et souvent, avant éventuellement d’arriver à l’étape de l’insertion professionnelle, il faut régler des problèmes de mobilité, de garde d’enfant, de réorganisation familiale, etc. On a aussi beaucoup de gens avec des problématiques de dépendance ou des problèmes psy, pour qui c’est déjà difficile d’arriver à l’heure à un rendez-vous ou de venir tout simplement. Ça va finir comme lors du passage du RMI au RSA, avec une grande intention démagogique au départ – regardez ces pauvres qui profitent – alors que la plupart ne peuvent pas aller bosser ».

De L’Élysée au siège du département, ça cogite sec pour trouver un cadre à cette mesure et la rendre un tant soit peu réalisable. De la promesse initiale de Macron d’une « mise au travail » des allocataires du RSA, on est passé à un accompagnement « renforcé » ou « rénové » selon la novlangue de Thibault Guilluy, le « haut commissaire » chargé de faire « monter en puissance » cette expérimentation. Pourtant, selon nos informations, à la mi-mars c’était toujours le flou artistique pour l’Aveyron : il y aurait peut-être un budget de 800 000 euros, possiblement trois embauches d’agents d’insertion, et aucune date fixée pour le début du dispositif… Ce qui est sûr c’est que ça sent la réorganisation à plein nez dans les services. Non seulement de nouveaux agents seraient recrutés pour le volet « insertion » mais une partie des assistantes sociales en poste seraient également transférées sur cette mission unique. Sans que tout cela ne soit très clair. Selon Cédric Maurs, « il faudrait savoir si ces référents insertion vont faire l’accompagnement global ou s’ils ne vont traiter que le côté professionnel. Nous on a une vision globale, on ne morcelle par les gens, c’est notre approche, on est formés pour cela ».

En immersion… dans la précarité

Quid du contenu de ces 70 ou 90 heures par mois « d’activités », que les allocataires du RSA vont être contraint d’accepter? Le Département parviendra-t-il à proposer suffisamment de stages forcés et d’heures de bénévolat obligatoire ? Là encore c’est le grand flou. La délibération du Conseil Départemental mentionne de « l’immersion et de la formation en entreprise », une « démarche sociale accompagnée », des « ateliers collectifs », une « activité citoyenne », « une intégration dans un atelier d’insertion », un « accompagnement à la création d’entreprise ». Bref, un peu tout et n’importe quoi, mais Viala a tenu à insister sur le volet entreprise : « Le réseau des employeurs locaux sera mobilisé […] afin de proposer des périodes d’immersion, des préparations opérationnelles à l’emploi [sic] et plus largement des opérations de recrutement ». Selon le haut commissaire en chef, « pour une personne en grande difficulté, on va commencer par des ateliers logement et santé. Après, il y aura des immersions en entreprise et on mettra le paquet sur les formations » (2). Et hop, au boulot ! Si pour une partie des personnes au RSA cela relève du fantasme de haut fonctionnaire parisien, il semble que les dirigeants aveyronnais souhaitent mettre la pression pour mobiliser le patronat local, et les quelques boulots précaires, sans qualification, sous payés, à temps partiel et aux horaires hachés-découpés-décalés qui peineraient à trouver des salarié·es volontaires. Ils imaginent sûrement des allocataires du RSA en stage en « immersion » ou en « préparation opérationnelle » devenir livreur à l’ADMR, nettoyeur chez Onet ou manutentionnaire en rayon chez Lidl ?

Au final, peu importe la réalité de cette future « expérimentation », il en résultera automatiquement une pression accrue sur les plus précaires, les contraignant à cet accompagnement et à une inscription à Pole Emploi, qui sera désormais automatique. Et cela fait suite à d’autres mesures récentes comme la mise en place récente du Service Public de l’Insertion et de l’Emploi (SPIE) sur l’Aveyron, pour tracer les allocataires et les assistant·es sociales via un dossier informatique unique, ou l’obligation qu’ont depuis peu les salarié·es d’inclure un objectif professionnel dans les « contrats d’engagements réciproques » signés avec les allocataires. Selon Cédric Maurs, « jusqu’ici ces contrats pouvaient ne contenir que des orientations sociales, avec des objectifs en matière de santé, sur des problématiques de logement, etc. Aujourd’hui beaucoup de contrats sont refusés en commission départementale, et ils nous reviennent avec des injonctions de mesures professionnelles ».

Une logique punitive

« Ce ne sont pas des délinquants, des profiteurs, ce sont des gens fragiles, insiste Cédric Maurs, et ils reçoivent déjà des courriers où on leur dit que s’ils ne vont pas à tel salon de l’emploi, ils se verront supprimer leur aide : c’est stressant et oppressant pour eux. » Il estime qu’avec ce RSA sous conditions, « si on ne laisse pas de marge aux gens, qu’il faut absolument qu’on pointe tout ce qu’ils doivent faire, et que certains se voient retirer leur allocations, c’est un danger pour tous ces gens qui dépendent de ce revenu essentiel ». Par ailleurs, il rappelle que « le contrôle ce n’est pas notre mission, cela va à l’encontre de notre éthique et de notre code de déontologie qui spécifie dans son article 15 que « L’Assistant de Service Social ne doit pas accepter d’intervenir, ni de fournir des renseignements dans un but de contrôle ».

Membre des Économistes atterrés, Anne Eydoux fait la leçon au gouvernement, sur Médiapart (3) : « Pendant les études d’économie, on apprend à ne pas mélanger les instruments de politique publique. Le RSA est une garantie de revenu, un instrument de lutte contre la pauvreté. Il n’y a aucune raison de chercher à le transformer en instrument de retour à l’emploi. (…) Il y a des instruments pour créer des emplois.» Et s’il arrive « qu’avec un dispositif local on parvienne à obtenir de bons résultats de placement des allocataires du RSA (…) cela se fait souvent au détriment des autres publics des politiques d’insertion. Si bien que lorsqu’on généralise ce type de dispositif, on n’obtient aucun impact sur le taux global de retour à l’emploi parce qu’on a activé des personnes pour un volume d’emplois qui n’a pas augmenté. Bien qu’on sache que leur résultat n’est pas généralisable, ces expérimentations sont instrumentalisées depuis une quinzaine d’années pour légitimer des politiques punitives qui n’améliorent pas le retour à l’emploi des allocataires ». On pourrait donc ou améliorer la lutte contre la pauvreté, en mettant en œuvre un plan pour palier au non-recours au RSA (4) de la part de milliers de personnes précaires, ou imaginer de réelles politiques pour créer de l’emploi. Ici le gouvernement ne fait ni l’un ni l’autre. Son but est double : faire en sorte que dans les chiffres, il y ait le moins d’allocataires du RSA et de chômeurs possibles, et contraindre les plus précaires à accepter les boulots de merde dont personne ne veut.

Texte : Emile Progeault / Illustration : Alys

1 : Les chiffres brandis par tous les gouvernements sont une fake news ambulante depuis des années, en ne comptabilisant qu’une catégorie de chômeurs sur 5, en excluant les chiffres des Dom-Tom, en radiant les chômeurs chaque mois à tour de bras, en ignorant 60% des allocataires du RSA non inscrits à Pole Emploi, etc. En 2018, le mensuel Alternatives Économiques avait calculé le « taux de non-emploi », qui s’élevait alors à 27,2%.

2 : Interview sur www.banquedesterritoires.fr, 14/12/22.

3 : « Durcir l’accès au RSA ne permettra pas à ses bénéficiaires de sortir de la pauvreté »

www.mediapart.fr, 16/09/22.

4 : Selon la DREES, cela concernerait un tiers des foyers éligibles au RSA. Par exemple, 16 % des femmes seules avec enfants éligibles à la prestation seraient en situation de non-recours. Les sommes non versées correspondant au non-recours au RSA atteindraient trois milliards par an. Le dispositif de RSA sous conditions est lui doté d’une enveloppe de 20 millions d’euros. Source : www.drees.solidarites-sante.gouv.fr.