Sortie de l’Empaillé n°9
Un régime qui s’essouffle
Quelle frustration de boucler ce journal en ces journées d’ébullition sociale. On rejoint le blocage du matin sur l’A75, mais on fait l’impasse sur la manif de l’aprem. On suit discrètement les dernières infos des affrontements au dépôt de Normandie, à la raffinerie de Fos-sur-Mer ou dans les rues de Toulouse, Montpellier et Paname. On scrute l’avancée des cortèges autour de la méga-bassine de Sainte-Solinne, entourée de milliers de flics. « Ils approchent à 200 mètres… », « purée ils sont 25 000 ! » Et nous on se creuse la tête pour pondre un édito et poser des mots, à chaud, sur cette ambiance électrique et cette période qui s’annonce historique.
On évoque tous ces ACAB qui se multiplient sur les murs, les poubelles ou les banderoles, et on repense à cette pancarte All macronistes are bastards, bien sentie. S’il fallait choisir l’un ou l’autre, le choix serait difficile ! La sociologue Gwenola Ricordeau qu’on a rencontré pour ce numéro pencherait sans doute pour le premier, et ce n’est pas la répression qui s’abat sur les mouvements en cours qui va la contredire. Cette rage qui monte à l’annonce des réquisitions lors desquelles la police nationale va chercher des grévistes chez eux à l’aube pour les contraindre à briser leur propre grève. Une liste des blessures et des mutilations qui s’allonge, des arrestations arbitraires qui se multiplient, jusqu’aux violences sexuelles dénoncées par des étudiantes à Nantes : une brune ritournelle se met en place, assumée éhontément par l’Élysée. Police protégée, État meurtrier.
Lacrymocratie, voyoucratie, on ne manque pas de mots pour décrire cette bande de ministres millionnaires qui esquivent les condamnations pour viol ou conflit d’intérêt, tout en surveillant le cours de leurs actions chez Total. Aujourd’hui cette bande de cyniques est-elle confrontée à un mouvement de révolte qui dépasse l’intensité de ceux connus ces dernières décennies ? C’est fort probable, à voir la détermination autour des dépôts de carburant de Frontignan ou Port La Nouvelle, la répétition de blocages routiers incessants aux quatre coins de la région et du pays ou les manifestations monstres un peu partout, jusque dans les villes moyennes où des records d’affluence sont atteints à chaque nouvelle journée d’action interpro.
Et maintenant le feu. Pour finir, cet emballement qui fait suite au passage en force législatif et aux insultes d’un président qui nous assimile, nous tous et toutes, à une faction d’extrême droite. Qu’ils s’en aillent tous ! scandaient les révoltés argentins de 2001. Car c’est bien ça, l’horizon qu’il faut porter. Déborder la revendication minimaliste d’un retrait de la loi pour s’attaquer aux fondements de ce capitalisme productiviste, climaticide, patriarcal et raciste. Jouir de cette bataille collective et saisir à pleine dents l’opportunité d’un changement de société.
Brûle le système, pas la planète. La jeunesse rejoint le mouvement. De la fac du Mirail à Paul Valéry, où des assemblées massives ont rassemblé des centaines d’étudiant·es, jusqu’à ces dizaines de lycées bloqués, de Rodez à Béziers. Et pour embraser l’avenir, pour mettre de l’effervescence sur les semaines, les mois et les années qui viennent, il nous faut la jeunesse dans la rue. Sa fougue et son inconscience, sa détermination et sa soif de vivre. Il ne manque pas grand chose pour que l’effet traînée de poudre s’active dans les bahuts du pays. 49-3,2,1 BOOM. Et qu’avec les moins jeunes et les plus vieux, on multiplie les idées les plus folles d’occupations et de convergences, qu’on répande les grèves reconductibles et les actions d’un soir, armés de notre désir ardent de changer la vie, radicalement.
« On a pas encore gagné ? » me demande le petit. « Non, pas encore, ça viendra ».