Perpignan – Purge sur la ville
Louis Aliot a mis la main sur le chef-lieu des Pyrénées-Orientales en 2020. Depuis, l’ancien numéro deux du FN alterne habilement entre politique lepéniste et gestion paternaliste. Mais cela ne doit tromper personne : il n’a pas lâché son idéologie autoritaire, raciste et anti-féministe. Nous avons enquêté et récolté quelques paroles d’opposant·es, sans cacher notre ambition : mettre une pièce dans la machine qui poussera l’affreux vers la sortie.
Dans les années 90, Toulon, Vitrolles, Orange et Marignane tombent aux mains du FN. La menace brune de ce parti cofondé en 1972 par des néo-fascsistes, un Waffen SS et Jean-Marie Le Pen font l’objet d’une attention des médias comme d’une mobilisation du camp antifasciste. Vingt-cinq ans plus tard, Perpignan tombe aux mains de l’extrême-droite, 89 députés du parti sont envoyés à l’assemblée et Le Pen fait 40% aux présidentielles. Renommé « Rassemblement national », le FN s’est « dédiabolisé », comme aiment le dire les médias dominants, illusion dont ils sont en partie responsables. Aux commandes de l’organisation, il y a en effet ce qui se fait de pire dans l’extrême droite française : des anciens chefs du GUD, un groupe de jeunesse néo-fasciste et violent (1). Ces derniers gèrent les finances et la communication du FN/RN depuis les années 2000. C’est à cette époque que Louis Aliot entre à la direction du parti et accompagne leur montée en puissance ainsi que celle de sa compagne de l’époque, Marine Le Pen. Dans les années 2010, il part à la conquête de Perpignan, où la gauche est divisée et où la « droite extrême » de l’ancien maire Jean-Marc Pujol suscite un rejet de toutes parts.
Le soutien de la bourgeoisie
Aliot a eu un certain sens tactique pour prendre cette ville de 120 000 habitant·es. Suite à l’échec de 2014, il modifie sa stratégie aux municipales de 2020. S’il prend un mauvais départ en compagnie de Zemmour, il choisit ensuite de gommer toute référence à son parti et ses idées. Oubliez Le Pen, la flamme bleu-blanc rouge, l’islam et l’immigration. Place à Aliot le notable de droite, rassembleur, bon gestionnaire. Et voilà notre homme adoubé par les couches aisées de Perpignan. Selon le géographe David Giban, c’est une évidence : « La bourgeoisie locale s’est clairement engagée derrière Aliot, pour des raisons identitaires classiques à la bourgeoisie, mais surtout du fait qu’Aliot défende une logique très libérale, promettant qu’il n’y aurait pas d’augmentation des impôts et en défendant les intérêts du capital ».
Dans une étude récente (2), il montrait qu’au deuxième tour de 2020, « les quartiers pavillonnaires des classes moyennes et de la bourgeoisie se sont nettement mobilisés pour Aliot. (…) La mobilisation des quartiers résidentiels de la bourgeoisie (à l’Est de Perpignan) prend valeur de plébiscite. Avec 59,6% des voix, les trois bureaux de vote [où ils sont présents] se sont sur-mobilisés dans l’entre-deux tours » Le bureau de vote de Mas Llaro, composé de grandes villas sécurisées sur la route de la mer, a ainsi voté à 60% pour Aliot au 2ème tour et à 50% au 1er. « On retrouve les mêmes résultats dans les quartiers pavillonnaires des classes moyennes situés en périphéries Sud, Sud-Est et Nord de la ville ». Certes, la militante du NPA Josie Boucher rappelle qu’il a eu aussi une partie des voix dans les quartiers populaires, mais « les voix des Blancs », ajoutant qu’il a pris Perpignan « dans un contexte dont Marine Le Pen rêve, c’est à dire sur la base d’une immense précarité, d’un désespoir social et d’une décrépitude du personnel politique de droite, avec ces barons locaux qui sont corrompus jusqu’à la moelle ».
Enfumage réussi
Pour réussir cette fusion des droites, Aliot a dû recruter tous azimuts. À commencer par le soutien de trois colistiers macronistes, dont Alain Cavalière, l’ancien président du tribunal de commerce. Deux élus de droite de la majorité précédente ont sauté à pieds joints dans sa liste, André Bonnet et Charles Pons, ajoutés à d’anciens responsables ou proches de l’UMP, Anaïs Sabatini, François Lietta, Marie Bach et Marion Bravo. Côté « gauche », on a Rémi Génis, un patron local issu du Parti Radical et Jacques Palaçin, un ancien haut dirigeant franc-maçon affilié au PS (3). Mais sa liste d’élu·es est un assemblage hétéroclite de bras cassés. Il est contraint de gouverner avec un petit cercle, en s’appuyant sur des cadres administratifs débauchés… au PS. À son arrivée, il débauche Stéphane Babey comme directeur de cabinet, alors qu’il était au service d’Hermeline Malherbe, la présidente socialiste du Département. Il le remplace ensuite par Frédéric Bort, habitué des cabinets PS à la région ou à Narbonne, avant de passer macroniste en 2017 puis au RN en 2021.
Aucun doute, Aliot a bien travaillé sa « dédiabolisation ». Et il ne s’arrête pas une fois élu. Les agents municipaux ont eu droit aux tickets resto, réclamés depuis belle lurette ; pour les commerçants, une nouvelle politique d’animation du centre-ville et l’ouverture du marché du dimanche tant attendu, place de Belgique. Dans un premier temps les associations ont conservé leurs subventions, la mairie ne s’est pas immiscée dans la programmation du festival de photojournalisme Visa pour l’image (4), la médiathèque n’a pas subi de censure. Aliot a même réussi quelques coups médiatiques avec l’accueil d’une poignée de réfugiés ukrainiens, la mise sur pied d’une antenne de soutien aux femmes victimes de violence (qui n’a toujours pas ouvert ses portes), ou mieux : il est parvenu, sous les projecteurs, à offrir une médaille d’honneur de la ville au couple Klarsfeld, symbole de la lutte contre l’impunité des anciens nazis. Pour David Giban, « Ça a été une surprise, Aliot a une gestion très fine et très politique ». Ainsi, lorsqu’il réalise des sorties racistes ou anti-syndicales, ce n’est pas à Perpignan : « Pour moi il y a deux Aliot, il y a l’élu local, qui ne fera pas ce genre de déclarations, et il y a l’Aliot national, qui va le faire sur BFM.»
Une mairie d’extrême droite
Derrière cet écran de fumée, il ne faut pas creuser bien loin pour remettre Aliot à sa place. La plupart de son équipe qui n’était pas au RN l’est désormais, peu ou prou. Anaïs Sabatini est devenue député RN, l’adjoint à la culture André Bonnet est friand sur Twitter des posts de médias d’extrême droite comme Valeurs actuelles ou F de souche, et l’adjoint en charge de l’aménagement Charles Pons portait l’étiquette RN aux dernières sénatoriales. Évidemment, il y a celles et ceux qui étaient déjà de fidèles lepénistes : Frédéric Gourier (adjoint aux quartiers sud), au FN/RN depuis 12 ans et communicant d’Aliot depuis quelques années, et Xavier Baudry (adjoint au quartier ouest) un ancien policier passé par le mouvement d’extrême droite Renouveau étudiant et le GUD (5), et actuellement membre des intégristes de la Fraternité Saint-Pie X. Ajoutons les cadres locaux du RN Sophie Blanc (élue depuis député RN) et l’adjointe à l’éducation Marie-Thérèse Costa-Fesenbeck, ainsi qu’un émissaire de « Debout La France » (parti souverainiste proche du RN), l’adjoint aux sports Sébastien Ménard.
Évidemment, nombre d’habitué·es des réseaux d’extrême droite ont figuré parmi les embauches à la mairie depuis trois ans. Une mission sur la sécurité offerte à Xavier Raufer (ancien d’Occident et d’Ordre Nouveau), une autre sur les jeunes des quartiers au général De Richoufftz (signataire de la tribune factieuse (6) parue en avril 2021 dans Valeurs Actuelles), un contrat de dix mois comme directeur de la communication à Arnaud Folch (ancien de Valeurs actuelles et Minute), sans oublier une étude d’opinion confiée à Christophe Gervasi, sondeur en chef du RN. Une belle liste qu’on clôt avec son ancien assistant parlementaire, Mohamed Bellebou, embauché au service proximité. Ce dernier a été condamné en 2010 à quatre mois de prison ferme pour avoir séquestré et menacé un élu PS avec un engin explosif factice.
Bienvenue donc dans une mairie Front National. Syndicaliste de SUD-CT à la mairie, Bénédicte Vincent est dépitée. Elle dénonce le « délitement du service public », avec notamment la décision de la mairie de confier la gestion des crèches de la ville au privé. « On a fait une grève en début d’année car on était contre cette délégation de service public à une structure privée. Cela concerne pour l’instant la plus grosse crèche de la ville, celle du Moulin à vent, mais on nous a dit clairement que les autres suivraient dans le prochain mandat. » Elle dénonce plus largement la charge de travail : « C’est de plus en plus difficile de faire notre travail au sein de cette mairie, mais c’est dans l’air du temps. Dans les collectivités territoriales il n’y a plus de crédit, donc il faut bien faire des coupes sombres, on a des personnels et notamment des cadres qui partent à la retraite et ne sont pas remplacés. » Ainsi, le nombre d’agents total de la mairie est passé de 2473 en 2014 à 2251 en 2021. « Par contre il y a énormément de recrutements dans la com’ et la police municipale, ça ce sont des choix politiques… ».
Guerre aux pauvres
Si dans de nombreux domaines la stratégie d’Aliot est plutôt dans une poursuite des dispositifs déjà engagés, ce n’est pas le cas pour la sécurité et la propreté qui sont au cœur de sa politique et de sa com’. D’emblée, il déclare à l’assemblée nationale en juillet 2020 qu’une « vraie guerre doit être menée contre ces voyous » afin d’éviter « l’ensauvagement de nos rues ». Puisque la ville était déjà inondée de caméras à son arrivée (260), c’est la police municipale (PM) qui a constitué le fer de lance de sa campagne sécuritaire. Son prédécesseur Jean-Marc Pujol avait fait grimper ses effectifs, de 104 agents en 2013 à 154 en 2019. Avec Aliot, le chiffre de 200 policiers municipaux a été atteint, un record en France en le rapportant au nombre d’habitant·es (seule Cannes fait pire), pour un budget de 11 millions d’euros. Une brigade de nuit a été mise en place, cinq commissariats aux enseignes géantes ont été ouverts, un « Groupe opérationnel de soutien tactique » a été créé, équipé de flashballs et arborant une insigne de tête de mort d’un guerrier viking, qu’on retrouve dans les réseaux d’extrême droite (cf notre papier p26-27).
Pour diriger le tout, Aliot a embauché un caïd de la police nationale parisienne, Philippe Rouch, qui enchaîne les saisies de drogues, largement médiatisées. Mais au menu de cette « milice municipale » selon le média Blast, il y également un contrôle policier renforcé dans toute la ville, et un véritable harcèlement de la population mis en place dans les quartiers populaires, via des contrôles au faciès et des interpellations violentes, notamment au Vernet et à Saint-Jacques. L’enquête de Blast en 2023 est édifiante (7). Plusieurs vidéos choquantes montrent des policiers qui lâchent des chiens ou des coups de pieds sur des jeunes, qui profèrent des menaces de mort, qui usent de gaz lacrymo sans restriction. Françoise Attiba, militante à la LDH, affirme qu’Aliot a « la haine des pauvres ». Selon les témoignages qu’elle a reçus, « les SDF sont savatés la nuit par la police municipale, ils repèrent là où ils vont dormir et souvent ils leur mettent de la bombe lacrymo en plein visage alors qu’ils dorment et quelques coups de pieds pour qu’ils s’en aillent. Les gens ont peur, ils ne veulent pas porter plainte. Les gitans c’est pareil. La maltraitance de la PM peut donc continuer car ils s’attaquent aux plus vulnérables. » Les commerces des quartiers populaires n’échappent pas au harcèlement de la PM qui multiplie les descentes. Depuis septembre 2022, le préfet lui a délégué son pouvoir de contrôle et de fermeture administrative concernant les restaurants ou épiceries. Résultat : 161 contrôles en 2022, et en quelques mois, sept fermetures avaient déjà eu lieu (8).
La vie en brun
La mairie RN investit beaucoup dans la communication – avec plus de 830 000 euros dépensés dès la première année, et Aliot a la main ferme sur la politique culturelle, évidemment teintée de nationalisme, pour preuve les multiples drapeaux français qui ornent la ville. Pour David Giband, on a vu apparaître « une dimension non pas culturelle, mais des marqueurs RN qui s’immiscent de façon discrète, avec une redynamisation commerciale du centre au travers d’activités festives diverses et variées. Ça a commencé avec un feu d’artifice bleu blanc rouge sur le Castillet, la même chose à Noël, les « Rayonnantes » pendant la saison estivale, etc. On voit se développer des marqueurs identitaires jusque là peu présents, avec une histoire locale revue à la sauce RN, dans laquelle l’histoire catalane est certes présente ou mais en tout cas minorée, et on voit quand même une histoire nationale beaucoup plus mise en avant alors que la ville n’a été française qu’à la fin du 17ème siècle ! »
Mais c’est surtout avec les nostalgiques de l’Algérie française et de la colonisation qu’Aliot fait des heureux : une subvention rondelette de 100 000 euros a été allouée au « Cercle algérianiste » à l’occasion de son congrès consacré à « l’œuvre coloniale » et à « l’apport de la France en Algérie ». La mairie a notamment organisé une exposition sur les victimes du FLN et a renommé une esplanade de Perpignan au nom de Pierre Sergent, ancien chef de l’OAS (9) en métropole, responsable de dizaines d’assassinats. Mais cette réécriture de l’histoire franco-algérienne à Perpignan ne date pas d’hier : c’est le maire précédent qui avait inauguré la stèle pour l’OAS au cimetière nord, et qui avait installé la mise en berne des drapeaux français le jour de la commémoration des accords d’Évian. Pourtant Josie Boucher, qui participe au collectif « Pour une histoire franco-algérienne non falsifiée », estime que cela va plus loin : « Notamment pour le 60ème anniversaire de l’indépendance de l’Algérie, lorsque la ville s’est transformée en capitale des Français d’Algérie, avec invitation d’anciens de l’OAS, attribution du titre de citoyen d’honneur à des membres des familles de militaires putschistes, etc. Pujol n’aurait pas été jusque là, lui l’a fait sans complexe ».
Rayonner avec Aliot ou mourir
À l’inverse, les défenseurs de l’identité catalane sont mis au ban. Le réseau d’écoles Bressola était sur le point d’ouvrir un lycée catalan dans l’ancien couvent Sainte-Claire. Sans raison, la mairie a préempté en dernière minute. S’en est suivie une manifestation réunissant plus de 2000 personnes. Peu après, c’est la subvention à l’association qui est revue à la baisse. Josie Boucher est catégorique : « Aliot a un positionnement anti-catalaniste très violent, ça n’arrête pas depuis qu’il a pris la mairie, c’est la logique nationaliste du RN. ». Quant à celles et ceux qui se sont permis de nommer leur association « Perpignan la catalane », qui constituait le slogan de la Ville avant qu’Aliot ne la renomme « Perpignan la rayonnante » (aux couleurs bleu blanc rouge), le maire les a mis en procès puisque cette « marque » lui appartient. Ce qui est un réflexe habituel pour lui : il a également porté plainte contre Blast pour son enquête sur la police municipale ou contre Josie Boucher pour avoir qualifié la mairie de « fasciste » (10) .
De façon générale « ils veulent avoir la main sur les associations, et ceux qui résistent, on leur coupe les vivres ou on leur diminue les subventions », fulmine Jean-Bernard Mathon, militant à l’Asphar (11). En effet, David Giban soutient qu’il a réduit « les subventions de certaines associations qui œuvrent dans les quartiers populaires, qui avaient déjà pignon sur rue, engagées dans la promotion des quartiers, et qui avaient un discours non pas politique, mais un discours en faveur de l’émancipation de ses habitants ».
Ainsi le « Fil à métisser » s’est vu coupé une partie de ses financements municipaux. Cette association de psychologues, élargie à la médiation santé, réalise pourtant un travail essentiel sur les quartiers gitans de Perpignan, avec des permanences, un accompagnement vers les soins, la mise en réseau et des groupes de parole. Le genre de structures qu’il faudrait évidemment multiplier dans les quartiers populaires : des salariées qui mouillent le maillot, qui créent des liens avec la population et cherchent à mettre les professionnel·les autour de la table. Louis Aliot ne semble pas de cet avis, n’hésitant pas à répandre des propos mensongers en plein conseil municipal de juin dernier, via son adjointe à la santé qui s’exclame sans vergogne : « Où est passé l’argent ? ». Le hic, c’est que la préfecture et les services de l’État ont eux aussi réduit leurs financements. Entre les lignes, on reproche à l’association d’être trop centrée sur la population gitane… La présidente du Fil à Métisser, Cathy Oustrière, se désole : « On coûte trop cher, c’est ce que dit en gros la mairie, et qu’elle a trouvé moins cher. (…) On est fragilisées et fatiguées psychiquement, on se bat depuis des semaines, on essaie de défendre notre association car c’est très important pour les habitant·es de ces deux quartiers et on y ira jusqu’au bout ». Les femmes gitanes se sont aussi mobilisées, avec une pétition qui a dépassé les 600 signatures. Elles ont créé un collectif et ont écrit une lettre dans laquelle elle interpellent le maire et le préfet : « Nous souhaiterions savoir pourquoi vous baissez leurs subventions alors qu’on en a besoin pour nous et pour nos enfants. Nous avons besoin des psychologues, des infirmières, des médiatrices santé et des orthophonistes pour nous aider à nous soigner et pour nous accompagner parce qu’ avec elles on est rassurées et que personne d’autre ne s’occupe réellement de nous. En diminuant les subventions du Fil à Métisser qui est en majorité géré par des femmes vous nous privez d’un des seuls endroits où nous savons que nous pouvons nous rendre librement et sans difficultés. » Elles demandent un rendez-vous depuis le mois d’août, sans succès. Et si les financeurs ne changent pas de position, l’association pourrait fermer ses portes les mois prochains…
Parmi les autres associations dans le collimateur d’Aliot, il y a le Foyer laïque du Vernet, où d’après Jean-Bernard Mathon, « ils ont diminué les subventions, préférant aider une autre association ». Il y a aussi l’atelier d’urbanisme, qui était chargé de faire de la concertation avec les habitant·es des quartiers et qui perd ses missions une à une, tout comme son local à Saint-Jacques. Ou encore ATD Quart Monde, qui attend toujours une piste de relogement pour son local, situé dans un immeuble en voie de démolition (12). Cette liste est malheureusement incomplète et va s’allonger prochainement, d’après nos informations.
Laisser pourrir, démolir et profiter
Enfin, il y a la situation dramatique du quartier gitan de Saint-Jacques, où les maires précédents ont laissé les habitats se dégrader pour mieux les démolir, pas à pas… (cf-ci-contre) Il faut dire que le quartier manifeste une certaine résistance. En 2018, cela avait abouti à la suspension de la destruction de l’ilôt Puig envisagée par la mairie. À l’arrivée d’Aliot en 2020, après quelques vagues promesses de campagne pour acheter les voix des gitans, ce dernier retourne sa veste et enchaîne les destructions. David Giban affirme qu’il est dans la continuité de l’ancien maire Pujol « avec cette volonté de reconquête et de normalisation progressive de ce quartier ». Mais la tactique diffère : « C’est un peu la même qu’il a conduite au sein du FN, avec une stratégie d’étouffement du quartier, qu’il enserre lentement, à bas bruit, sans grandes déclarations fracassantes, et tout à coup, ici et là, il va l’air de rien accélérer en fermant certains logements et en déclarant une mise en péril sur tel ou tel bâtiment. » Jean-Bernard Mathon revient ainsi sur les dernières années : « Il a d’abord démoli l’immeuble Bétriu, des HLM qui avaient 25-30 ans et qui étaient en bon état, avec 25 familles qui habitaient là, c’était un non-sens. Aliot a utilisé comme argument que c’était un lieu de deal et il a dit qu’il n’y aurait pas de reconstruction, alors que c’est une exigence du plan de sauvegarde (13). Mais pour lui, ça fait une belle vue sur l’ancienne église des Carmes… Je lui ai rétorqué qu’on pouvait raser tout Saint-Jacques, comme ça on aurait une belle vue sur la cathédrale ! » Ensuite, il y a eu la destruction de l’îlot Puig en 2021, Aliot réussissant là où son prédécesseur avait échoué : « Il a fait tout un chantage auprès des habitants, en disant qu’il y avait un risque d’effondrement. Mais depuis 2018, il n’y a eu aucune intervention de conservation sur le bâti, alors ça finit effectivement par se dégrader… et on a jamais eu les rapports d’expertise. » Le maire RN ne s’arrête pas là : « En janvier dernier, des démolitions injustifiées ont eu lieu rue Lucia, en contrebas de la place Cassanyes. Cinq immeubles ont été détruits, dont un protégé par le plan de sauvegarde, mais ça ne les dérange pas. Coût de l’opération : 725 000 euros, pour rien ! »
Dans le plan de rénovation urbaine pour le quartier, 45 démolitions sont encore prévues. Des pourparlers avec les propriétaires sont en cours, avant de lancer les expropriations. Tout cela se passe uniquement sur l’axe de la rue Lucia, afin de tenter une percée dans Saint-Jacques, depuis l’université qui s’est installée à l’entrée du quartier il y a quelques années. Car Jean Bernard- Mathon souligne que « dans le reste du quartier, la mairie laisse les choses se dégrader. À la clef c’est un remplacement de population qui risque de se produire.»
Alors quoi de mieux pour attirer les promoteurs qu’une politique sécuritaire ? David Giban le confirme : « Oui c’est une façon de rassurer les habitants, mais aussi les futur investisseurs. Renvoyer l’image d’une ville propre et sûre dans laquelle on peut faire des affaires. Et quand on voit là où la police municipale est déployée, c’est essentiellement dans ces vieux quartiers qui sont dans ce front de reconquête. Aliot a bien compris qu’avec la raréfaction du foncier dans la périphérie, il avait une énorme carte à jouer. D’autant que la ville de Perpignan possède beaucoup de foncier et de logements vacants, dont de nombreux logements insalubres qui peuvent facilement être démolis ou réhabilités. »
Toute la région déteste Aliot
Alors, pas d’espoir de changement en vue ? Aliot se fera-t-il réélire avec un score plébiscitaire, à la manière de l’infecte Ménard réélu à Béziers avec 70 % des voix ? La Métropole et le Département tomberont-ils aussi sous la coupe d’Aliot ? La population laissera-t-elle les mains libres à ce type qui déverse régulièrement sa haine envers les migrant·es, et les syndicats qu’il traite de « croque-morts » ? Celui qui s’oppose aux « avortements de confort » ou qui traite de « pute » une journaliste de l’Indépendant ? (14)
Certes, Perpignan est la troisième ou quatrième ville la plus pauvre de métropole, avec plus de 43 % de la population à bas revenus, et où le populisme sécuritaire et xénophobe peut avoir de l’avenir.
Mais la situation est loin d’être apathique. Françoise Attiba rappelle « cette solidarité importante des gens de gauche, avec en fond cette histoire des anarchistes espagnols qui sont restés là, et leurs enfants derrière. Il y a un truc très fort et très solidaire malgré tout, ça il faut le souligner car ça n’existe pas dans toutes les villes ». Et si la gauche est divisée à chaque municipale, tous et toutes s’accordent pour s’unir face à l’extrême droite, en attestent la manifestation contre la venue de Le Pen le 3 juillet 2021, ou les mobilisations unitaires qui ont lieu régulièrement à chaque coup de force d’Aliot ou des groupuscules de fachos des environs. Dans ce cas, « toute la gauche est réunie, du PS aux anarchistes », selon Françoise Attiba. Josie Boucher nous confie qu’avec le collectif Visa 66 (15), se prépare « une mobilisation en mars dans laquelle il y aura tout le monde… » Ce ne sera pas du luxe d’avoir du soutien provenant de toute la région, pour scander Perpinyà antifascista !
1 : Écouter à ce propos « Le Pen, Le Gud, et la dédiabolisation-mascarade » avec Marine Turchi, Au poste, émission du 17 mai 2023.
2 : « La prise de Perpignan par le RN, chronique d’une conquête annoncée », avec Nicolas Lebourg et Dominique Sistach, Pôle Sud n° 54, Éditions CEPEL, 2021.
3 : Exclu du Grand Orient depuis, et accusé récemment d’agression sexuelle par une fonctionnaire territoriale, enquête en cours.
4 : On relève néanmoins cette « polémique » récente autour de trois photos de Le Pen écartées lors d’une cérémonie, www.lemonde.fr, 23/09/2023.
5 : Selon Charlie Hebdo, dans « Municipales : Perpignan va-t-elle embrasser l’extrême-droite malgré le coronavirus ? »
11/03/2020.
6 : Le 21 avril 2021, les généraux dénonçaient le « délitement » de la France, notamment « à travers un certain antiracisme », « l’islamisme et les hordes de banlieue », etc.
7 : « À Perpignan, la sale besogne de la « milice municipale« de Louis Aliot », www.blast-info.fr, 08/05/2023.
8 : Idem.
9 : Organisation Armée Secrète : groupe armé clandestin d’extrême-droite formé en 1961 en Algérie.
10 : Elle a gagné à nouveau en appel à Montpellier, le 8 octobre dernier.
11 : « Association pour la Sauvegarde du Patrimoine Artistique et Historique Roussillonnais » qui milite pour la sauvegarde du quartier St Jacques.
12 : « Perpignan : le RN étouffe des associations », La Semaine du Roussillon, 16/05/2023.
13 : « Plan de sauvegarde et de mise en valeur », un document d’urbanisme élaboré avec la préfecture, pour préserver l’architecture des quartiers du centre-ville.
14 : Respectivement sur BFM le 25/08/2022, sur France Info le 31/12/2012, et concernant la journaliste insultée, c’était via un sms en 2014.
15 : Une antenne locale de l’association « Vigilance et Initiatives Syndicales Antifascistes » a été créée début 2021.
Les Gitans ont-ils droit de cité ?
Les équipes municipales qui se succèdent tentent de rénover et gentrifier tant bien que mal le centre ville de Perpignan. Après avoir beaucoup misé sur le quartier Saint-Jean, qui concentre la plupart des commerces, ils se retrouvent face à Saint-Jacques, un quartier peuplé essentiellement de Gitans et laissé à l’abandon, avec une pauvreté et un chômage qui bat des records. Le maire précédent a eu l’idée de déménager la fac de droit en plein centre, à la jonction des quartiers Saint-Jean, La Real et Saint-Jacques. Deux géographes marxistes, Raphaël Languillon et Nima Aftim, estiment que cette relocalisation a servi « de levier à la poursuite du front de gentrification qui descend du quartier Saint-Jean et bute actuellement sur les résistances communautaires du quartier gitan (…) Difficilement pénétrable, Saint-Jacques offre pourtant un fort potentiel en termes de gentrification » (1). Soit une population fragile, un bâti dégradé mais avec un « potentiel valorisable », un « ensoleillement maximal » et une proximité avec l’hyper-centre, de quoi attirer l’attention des aménageurs… « Les élites détentrices du capital urbain » considèrent Saint Jacques comme une « terre gentrifiable » et sont prêtes d’après eux à déposséder les Gitans de leur « droit à la ville »…
Ainsi selon David Giban, « on incite la population à partir, on entretien à minima ou on ferme avec une mise en péril quand vraiment c’est trop dangereux, on lutte contre les marchands de sommeil et on rénove parfois un peu pour faire du logement social et calmer la demande sociale. Mais derrière, cela permet d’assurer à moyen ou à long terme la transition à bas coût pour le marché de l’immobilier avec des grands groupes qui sont d’ailleurs très présents depuis quelques années, que ce soit Nexity, Bouygues, etc. Pour l’instant ils sont dans le périurbain, mais ils ne vont pas tarder à arriver dans le centre ».
David Giban insiste toutefois sur le fait qu’il est difficile de parler de gentrification pour le centre-ville de Perpignan : « Il y a des transformations en cours, mais c’est une ville pauvre, dans laquelle les classes supérieures sont peu nombreuses et vivent hors du centre-ville, assimilé à un repère de minorités ethniques et de pauvres. Aliot ne le dit pas mais il est dans la poursuite de la politique de Pujol [l’ancien maire], qui vise à déprolétariser le centre-ville avec un quartier gitan pile au milieu. Mais pour lequel la ville n’arrive pas pour l’instant à percer ». Selon Françoise Attiba, militante à la LDH, « les bourgeois seraient très contents qu’on rase le quartier, ils détestent les Gitans ». On se doute bien que c’est ce que pense Aliot tout bas. Mais ce quartier de 4000 habitant·es n’a certainement pas dit son dernier mot.
1 : « Terre gentrifiable et coalition de croissance : la relocalisation de l’université de
Perpignan au service d’intérêts privés ? », www.metropolitiques.eu, 10/05/2017.
TEXTE : Emile Progeault / Photos : Georges Bartoli