Numéro 5 régional

La SAM : un combat pour la justice sociale

Dans le bassin des Hauts-Fourneaux, la lutte des salariés de la SAM pour sauver des emplois pourrait bien devenir un symbole face aux délocalisations et au rythme effréné de la machine capitaliste. Un rouleau compresseur qui ne cesse de broyer des hommes, des femmes et des familles, se dédouanant ensuite de toute responsabilité. Comme dans toute lutte, des hauts placés tentent de décrédibiliser les frondeurs, les réduire au silence… et éviter de faire tâche d’huile.

Assignés en justice par les mandataires le 1er mars dernier, Ghislaine Gistau, David Gistau, et Sébastien Lallier sont de ces ouvriers des hauts-fourneaux dont la prestance et la voix ont semble-t-il été légèrement sous estimées par Renault. Avec eux, les ex-salarié.es occupent le site depuis plus de 120 jours à Viviez, près de Decazeville. Ils viennent y chercher du réconfort auprès de leurs collègues autour d’un café, d’une belote, d’un repas. En veillant sur cette usine de la SAM jour et nuit, dont certain.es sur leurs anciens horaires de boulot, ils ont à cœur de préserver leur outil de travail pour mettre un coup de pression sur l’État. Ils empêchent ainsi les liquidateurs judiciaires de vendre les actifs aux enchères, ce qui mettrait un frein à tout projet de reprise.

Au cours de l’audience au tribunal de Rodez, ces derniers sont préoccupés par les factures de gaz et d’électricité d’une usine qui tourne encore, par la consommation des fours en fonctionnement et du « danger que cela représente », davantage que par les raisons de l’occupation de ce site à Viviez qui dure depuis quatre mois. L’avocat des représentants du personnel, Renaud Frechin assurait lui, après vérification auprès des constructeurs des fours en fusion, qu’ils ne représentaient en réalité « aucun danger grave et éminent », « à moins d’un acte intentionnel ». Cela n’empêchait pas les mandataires de réclamer au président de l’audience l’arrêt et le vidage des fours et la mise en place d’un « corridor sécuritaire » durant l’opération. Après une médiation avec la préfecture, qui était pourtant déjà engagée depuis plusieurs jours avant ce procès surprise, ils seront finalement vidés de leur aluminium par une société externe.

Le lendemain de l’audience, lors d’une mobilisation devant le site où près de 2500 personnes se sont déplacées pour les soutenir, Ghislaine Gistau martelait devant la foule : « Ce que l’on fait est juste et ce qu’ils nous font subir est injuste. Cest injuste car on fait leur boulot et on se retrouve traînés devant les tribunaux.»

Quant à la proposition de Renault d’une indemnité de 25 000 euros par salarié et ce, sans tenir compte de l’ancienneté de chacun, les représentant.es du personnel leur ont soumis l’idée d’y ajouter une prime supra légale équivalente au prix des dernières commandes passées par Renault… qui n’ont jamais été livrées. Depuis le début de l’occupation, ces pièces dorment encore bien au chaud dans l’usine alors que leur montant s’élève à plus de quatre millions d’euros. Il semblerait que, jusqu’ici, le constructeur automobile se souciait peu qu’elles restent dans des cartons aux mains des SAMistes. Mais le cours de l’aluminium a quadruplé ces dernières semaines avec la crise en Ukraine… Renault a refusé leur proposition : les salarié.es ont donc décidé d’assigner Renault, Jing Jing et les mandataires judiciaires devant les Prud’hommes.

De son côté, la Région a décidé d’accorder une enveloppe de 1,2 millions d’euros, dont 200 000 euros émanant de l’État, en vue de « chiffrer une étude de faisabilité et pour recruter du personnel » autour du projet embryonnaire de reprise de MH Industries, une société lotoise, qui concernerait 150 salarié.es – une étude dont les conclusions seront connues d’ici cet été et dont la concrétisation devrait attendre début 2023.

Il s’agirait d’un projet local et « diversifié » pour les salarié.es qui regrettaient, il y a quelques années, les stratégies de l’époque de Patrick Bellity de se tourner vers un monoclient : Renault. Cette fois, des pistes pourraient être envisagées sur le ferroviaire, l’aéronautique, avec d’autres activités que la fonderie sous pression (chaudronnerie, peinture, etc.). « Ce projet, on l’aurait souhaité depuis des années », commente Ghislaine Gistau qui tient particulièrement à ce que cette entreprise – devenue pour certains comme une deuxième maison, « conserve son âme ». Car pour avoir passé plus de trois semaines à leurs côtés, si ces salarié.es se battent, c’est surtout pour ce qu’ils y vivent et ce qu’ils y ont vécu, ce qu’ils y ont construit.

Ces salarié.es de la SAM, leur avocat Renaud Frechin les qualifie ainsi : « 300 courageux hommes et femmes qui refusent la fatalité d’être les objets d’une mondialisation soi-disant heureuse. 300 personnes à qui l’on a menti pendant un an et demi, 300 personnes envers lesquels des engagements étaient pris il y a six ans, il y a deux ans, il y a quelques mois et qui n’ont jamais été tenus ». Il poursuit en martelant devant la foule : « Ils ont manqué à leur parole et n’ont pas versé les investissements promis. Ils ont donc une responsabilité importante dans cet énorme gâchis humain, industriel et économique »

Les actionnaires volent le savoir-faire des salariés, même si cet argument est considéré, par certains, comme populiste. C’est pourtant bien 46 milliards d’euros de chiffre d’affaire que Renault a réalisés en 2021, dégageant près d’un milliard de bénéfices. Ce même groupe a pu, avec le concours de l’État, emprunter de 5 à 7 milliards d’euros sans contreparties. Malgré le fait que 500 000 véhicules n’ont pu être produits, faute de semi-conducteurs, « ils ont tout de même tiré des bénéfices, s’insurge Renaud Frechin. Et c’est ainsi que les salariés sont remerciés », avec une production délocalisée en Espagne ou en Roumanie.

David Gistau souligne dans un discours poignant : « Notre lutte est d’intérêt général et stratégique. Dans un contexte géopolitique, et permettez moi à cet instant d’avoir une pensée pour le peuple ukrainien et pour le peuple russe, car ce n’est jamais le capital qui souffre, toujours les peuples. Il se trouve que le groupe CIE [concurrent de la SAM qui travaille avec Renault] ils ont des fonderies, en Roumanie, en République Tchèque, en Russie, en Lituanie, en Slovénie. Renault est en train de rapatrier des salariés, des cadres dirigeants. Des transporteurs ne veulent plus traverser un certain nombre de pays. Il y a donc de la cohérence à garder un savoir-faire dans le sud de la France ».

Face au fatalisme de certains, qui s’interrogeraient sur les raisons de la poursuite de cette occupation d’usine, je vois pourtant chez ces salarié.es des battants, avec une détermination sans faille dans la poursuite d’un mouvement, pour préserver leur avenir. Le fait de minimiser ce qui leur arrive est une double violence, comme si l’on mettait de l’acide sur une plaie qui ne s’est pas encore refermée.

Pour ces salariés, c’est « avant tout une aventure humaine faite de solidarité, d’amitié, qui amène à ce qu’on apprenne à mieux se connaître et à créer des liens indéfectibles, ça ils pourront pas nous le prendre », a précisé David en clôturant le rassemblement. Des sourires, des visages, des liens créés depuis trente ans ou cinq ans peu importe, de l’espoir et surtout un respect de l’Autre, une belle leçon de vie donnée « à ceux qui ne veulent pas voir ».

 

Aurore Cros / Illustration : Alys

Après trois semaines passées en immersion en janvier aux côtés des 333 salarié.es licencié.es, la journaliste souhaite réaliser un film et un livre sur leur histoire. Pour la soutenir : https://www.proarti.fr/collect/project/jirai-dormir-chez-les-samistes/0, Contact : aurore_cros@outlook.fr

Dernière minute : Jeudi 24 mars, une nouvelle audience a eu lieu à Rodez pour trancher sur l’illégalité de l’occupation de l’usine, avancé par les liquidateurs judiciaires. Ils sont des centaines à être venu en soutien. Le délibéré avait lieu le 29 mars…