Le n°6 en kiosque – l’Edito – Comme une odeur de brûlé
L’incendie se rapproche méchamment. Nous sommes au bord d’un basculement irréversible du climat. Les experts ont fait leurs derniers calculs savants : il nous reste trois ans pour réduire les émissions de gaz à effet de serre afin de rester en dessous du seuil de l’augmentation de 1,5°C degrés de la température moyenne mondiale. Ce genre d’affirmation est devenu un lieu commun, mélange de catastrophisme bon pour l’audimat et de discours enflammés pour nos dirigeant·es en quête d’image verte. « La planète brûle », sermonnait déjà Jacques Chirac en 2002, en parvenant à ne pas pouffer de rire. Et pour cause : il n’a jamais été question d’éteindre l’incendie. Car le combustible qui met le feu à la planète, c’est le mode de production capitaliste. Ainsi, lors de ce dernier quinquennat sous Macron, ce n’est pas tant la reconduction des pesticides tueurs d’abeilles ou le maintien de l’usage du glyphosate qui a détérioré la situation, mais la poursuite d’un système économique prédateur qui continue d’étendre son emprise sur toute forme de vie naturelle et sociale.
Lorsqu’on voit récemment l’un de ces écologistes de pacotille, Cyril Dion, signer une pétition exigeant que les membres du nouveau gouvernement suivent une « formation de vingt heures aux enjeux écologiques », c’est à se taper le cul au plafond ! Pour avancer dans cette lutte climatique, il faudrait commencer par arrêter de chercher à conscientiser nos gouvernants sur la catastrophe en cours. C’est comme demander à un boxeur d’arrêter de boxer, à une fleur d’arrêter de pousser… Ces gens-là nous mentent, à longueur d’année. Comme lorsque la nouvelle ministre de la « transition écologique », Agnès Pannier-Runacher, nous propose fin mai sur un plateau télé de limiter nos envois de « mails rigolos » à nos amis. Elle nous méprise, littéralement.
Malgré tout, on a fait du chemin. Que l’ancien journaliste du Monde et directeur de Reporterre Hervé Kempf écrive récemment Que crève le capitalisme* témoigne d’une radicalité qui commence à traverser une partie de la population. Signe de cette évolution, on ne compte plus les collectifs qui se montent contre un tas de projets anti-écologiques, dans la région comme ailleurs, que ce soit une autoroute, un parc des expos ou un golf, toutes sortes d’infrastructures qui visent à produire plus, à se déplacer plus vite, à être attractif dans la guerre économique que se livrent les territoires. Pour autant, on est encore loin du compte. Si une partie d’entre nous s’est laissé séduire par l’union de la gauche pour dégager Macron et espérer quelques réformes sociales, il n’en reste pas moins que leur programme n’est pas à la hauteur en matière de changement écologique. Car tant qu’on laissera ces entreprises et ces multinationales choisir quoi produire, quand et comment, même en leur imposant une « règle verte » si contraignante soit-elle, « l’urgence climatique » sera toujours à nos portes.
C’est d’une révolution écologique dont on a besoin, pas de troquer nos pailles en plastique contre du carton bio-sourcé. Un vrai changement social en profondeur qui mette un coup d’arrêt à ce système économique et ces industries qui maltraitent les hommes et les femmes, qui pillent les ressources et massacrent le climat, tout en sauvegardant les dividendes d’une classe sociale minoritaire… et de plus en plus gourmande. Quand le dimanche, leurs représentant·es nous appellent à trier les emballages qu’ils ont eux-même produit en masse, il va falloir arrêter de penser qu’ils nous parlent sérieusement. Et les prendre pour ce qu’ils et elles sont : des pyromanes.
* Paru au Seuil en septembre 2020.