Numéro 5 régional

Fermeture de deux collèges à Toulouse : Vous avez dit mixité sociale ?

Le quartier toulousain du Mirail « fait tâche » depuis de nombreuses années. La Dépêche du Midi y puise de quoi alimenter toutes les peurs de la bourgeoisie du centre-ville. Georges Méric, président du Conseil départemental, a décidé de passer à l’action pour effacer ce qui assombrit le tableau : les pauvres. En commençant par les plus dangereux : leurs enfants ! Comment ? En fermant purement et simplement deux collèges, ceux de la Reynerie et de Bellefontaine1. Établissements de proximité, lieux de vie au cœur d’un quartier populaire de 30 000 personnes. Disperser tous ces ados aux quatre coins de la métropole en espérant les faire disparaître, voilà donc le projet de Méric dit de mixité sociale. Euphémisme pour une discrimination de classe et un racisme, à peine voilés.

« La ségrégation sociale est une bombe à retardement pour la société française »2. C’est ce qui servira à justifier ce projet de fermeture de collèges après les attentats de 2015 et 2016. Le ministère de l’Éducation nationale, le Conseil départemental de Haute-Garonne et le rectorat de Toulouse ciblent leur ennemi intérieur : afin d’améliorer la mixité sociale, les deux collèges du Mirail fermeront et leurs élèves seront répartis dans des établissements favorisés et très éloignés. Pour justifier cette aberration sociale, le rectorat, porte-flingue du Conseil départemental, n’y va pas par quatre chemins : le collège Badiou serait situé « dans un univers dégradé, aux actes délictueux banalisés, à forte concentration ethnique et religieuse proche de la ghettoïsation avec un fort repli communautaire »3. Le spectre du musulman avec le couteau entre les dents…

Ce sont les enfants de pauvres qui doivent faire l’effort

Les médias nationaux et régionaux, le syndicat majoritaire de l’éducation et la principale fédération de parents d’élèves (FCPE) succomberont aux sirènes des experts et à leur parodie de réunions de dialogue citoyen. Pendant quatre ans, le personnel du collège Badiou et l’Assemblée Parents-Enseignants-Habitants du quartier Reynerie s’opposeront à la fermeture du collège en multipliant les rencontres avec les institutionnels, les participations critiques aux réunions d’information, en activant une pétition en ligne, en organisant des manifestations et des porte-à-porte. En vain.

Les opposant.es à ce projet posent la question : « Pourquoi est-ce aux enfants de milieux défavorisés de prendre les transports en commun matin et soir ? » et demandent pourquoi la mixité sociale n’impose pas aux familles des quartiers favorisés d’envoyer leurs enfants dans des collèges lointains. Le Conseil départemental et le rectorat répondent que cela se traduirait par des inscriptions massives dans les collèges privés.4 Ce que les familles du quartier Reynerie peuvent difficilement se permettre.

Chaque jour, les collègien.nes de la Reynerie sont transporté.es en bus vers leur nouveau collège d’accueil, plus « chic », tout en portant symboliquement l’étiquette enfants du Mirail. Étiquette bien lourde à porter quand on a 11 ans et qu’on rentre en 6e, loin de son quartier, de son école, de ses camarades et de sa famille. Leurs horaires sont devenus incompatibles avec nombre d’activités périscolaires, impactant les associations et clubs sportifs, achevant ainsi le travail de sabordage du quartier. Enfin, les distances interdisent aux familles une réelle implication dans le suivi de leurs enfants. Si le rectorat et le Conseil départemental multiplient les propositions miracles de tutorats, une mère d’élève s’emporte à ce propos en assemblée : « On ne veut pas de parents tuteurs ! »5

Dénigrer les histoires individuelles et collectives, imaginer que les enfants des pauvres vont naturellement profiter du contact des enfants de riches pour leurs apprentissages, c’est la version scolaire de la pseudo théorie du ruissellement qui estime qu’une politique favorisant les revenus des plus riches profite à toutes et tous. La mixité sociale entérine le fait qu’il y a des classes sociales et qu’elles doivent se mélanger. Si l’on est convaincu que la lutte des classes existe et qu’elle oppose deux classes sociales, on est aussi convaincu que la mixité sociale ne peut être un remède politique et scolaire aux inégalités, même de manière transitoire. Il faut l’égalité sociale !

Connivence de classe et néocolonialisme : un bilan orwellien

Dans un dossier de presse du 6 octobre 2021, l’Académie de Toulouse et le Conseil départemental convoquent la presse pour se gargariser du bilan. Curieusement, il ne concerne que 100 élèves sur les 124 théoriquement affecté.es dans les collèges d’accueil. Que sont devenus les 20% manquants ? On n’en sait fichtre rien ! Par ailleurs, ce document annonce des « résultats encourageants » au brevet. Ils sont en fait inférieurs à ceux obtenus par les élèves du collège R. Badiou avant sa fermeture. Pourtant ce bilan truqué6 est relayé par une presse aux ordres. « Les résultats sont là » pour Libé (03/11/2021), un dispositif « jugé satisfaisant » par Le Monde (08/10/2021). Pire, ces fermetures de collèges sont présentées comme une alternative à l’éducation prioritaire : « Le CNESCO – Conseil national d’évaluation du système scolaire – pourrait faire de cette expérience un référentiel national », selon La Dépêche, qui ne s’embarrasse pas de nuances : « Ces élèves méritaient mieux que le ghetto » (10/12/2021).

On déplace des populations pour « leur bien », sans leur demander leur avis, ou contre leur avis. On sent des relents de thèses néocoloniales empreintes de racisme. Les habitant.es des quartiers populaires sont considéré.es comme différent.es, pas assez français.es, pas comme il faut et potentiellement dangereux et dangereuses. On les stigmatise en les suspectant de développer des économies parallèles, de fomenter des séparatismes, de s’enfermer dans des communautarismes.

Parents et enfants du Mirail subissent un racisme et une discrimination de classe institutionnelles, intrinsèques à ce projet de mixité. Ainsi en réunion, un responsable du rectorat ose un « tout le monde parle français ? ». Les élèves déplacé.es dans des établissements d’accueil reçoivent des réflexions de leurs nouveaux petits camarades comme par exemple « tu t’habilles au marché toi ! »

La fabrication du « ghetto »

Fin 2021, le syndicat Sud Educ 31 et l’Assemblée Parents-Enseignants-Habitants publient des droits de réponse qui réfutent, chiffres à l’appui, ce bilan présenté comme positif.7 Ils dénoncent les méthodes violentes utilisées pour la mise en œuvre du dispositif et le constant mépris du travail réalisé par le personnel du collège Badiou. Ils rappellent l’attachement des parents à une école de proximité (d’où le slogan de la campagne contre la fermeture de Badiou : « Un quartier, un collège » 🙂 dotée des moyens nécessaires à des apprentissages de qualité pour leurs enfants. Contre la mise en concurrence des enfants, des établissements, du personnel, l’école ne doit pas être le lieu de l’égalité des chances, mais bien celle de l’égalité des droits.8

Les glissements sémantiques des discours dominants ne sont pas innocents. Les expressions ghetto scolaire et mixité sociale ne s’appliquent qu’aux quartiers populaires. La plupart des bahuts de France sont des établissements où les élèves sont relativement homogènes socialement9. Mais les établissements de campagne aux résultats scolaires similaires ne sont pas étiquetés ghettos. On voit bien que c’est le lieu d’habitation et les personnes qui y vivent qui déterminent les politiques publiques. Les familles du Mirail sont confrontées sans arrêt au statut d’habitants du ghetto, à la marginalisation, au rejet et au mépris que les décideurs projettent. C’est en refusant le droit à un collège de quartier qu’on ghettoïse.

Les collèges ne sont pas les seuls bâtiments du quartier à devoir disparaître. Un plan de rénovation urbaine menace les immeubles construits par l’architecte Candilis. Début 2022, dans un communiqué commun de l’Assemblée et d’un collectif d’architectes, soutenus par de nombreuses associations et organisations, tous et toutes demandent un moratoire sur les projets de destruction de logements HLM, de qualité exceptionnelle10 et très facilement adaptables aux nouvelles normes. Iels exigent que durant cette période, les locataires encore présent.es soient traité.es avec respect car, outre l’aspect financier, écologique et architectural, détruire représente un gâchis humain considérable : vie sociale, liens de solidarité et d’entraide tissés sur plusieurs dizaines d’années. Comme le dit un habitant de la Reynerie : « Le centre-ville est à portée de métro. Les terrains du Mirail valent de l’or. Pour certains, le problème, c’est les pauvres qui habitent dessus ».

Bruno, Clément, Dominique, Nahima, Pascal, militant.es à Sud Education 31-65 / Illustration : SZ

: Reynerie et Bellefontaine sont deux subdivisions du quartier du Mirail.

2 : Page d’accueil du diaporama de la présidente du CNESCO, Nathalie Mons, lors de réunions de « dialogue citoyen » – 08, 12 et 14/09/2016.

: Offre d’emploi de principal-adjoint du rectorat de Toulouse en 2011.

4 : Réunion publique, octobre 2021.

: Propos tenus par des parents d’élèves en assemblée.

6 : Entre 2011 et 2020, les résultats au brevet au collège de la Reynerie oscillent entre 62,5 et 78,2 % sauf sur l’année 2015 (année exceptionnelle, élèves inscrit.es ne s’étant pas présenté.es aux examens, moyens alloués en nette régression, beaucoup d’arrivées en cours d’année) où il était de 50,7 %. Le bilan du Conseil départemental n’utilise que le chiffre de 2015 pour se gargariser du résultat de 63 % de réussite sur l’année 2021.

7 : « Collèges R. Badiou et Bellefontaine : bilan de l’expérimentation « mixité sociale » » sur le site de l’Assemblée (https://assembleeparentsenseignantshabitants.wordpress.com) et Réponse de Sud Educ 31-65 au bilan du Conseil départemental.

8 : « Toutes et tous en grève le 11 janvier », article de Sud Educ 31 du 7 janvier 2007.

9 : Note d’information de la DEPP N°20.01 de janvier 2020 : seuls 22% des établissements sont considérés comme « plutôt mixtes socialement ».

10 : « Pour un collectif des architectes en défense de l’architecture de Candilis Josic Woods au Mirail », revue « Construire ! » n° 46.