Numéro 4 Régional

« Ces fumiers de Renault, ils vont le payer »

L’offensive du capitalisme néo-libéral se poursuit, jusque dans le bassin de Decazeville. Les contre-réformes s’enchaînent, les bastions de résistance syndicale se font attaquer un à un. Au banquet des détenteurs de capitaux, la liquidation de la SAM de Viviez et ses 330 salarié.es n’est qu’une petite tache sur la nappe du dîner. Pas de quoi soulever le moindre intérêt de leur part. Sauf si les hommes et les femmes de la SAM se mettent à tirer sur la nappe.

« Le vieux moule à l’entrée, coupé en deux à la scie thermique, c’est un avertissement », affirme David, délégué CGT de la SAM. Devant ce cube de métal en deux morceaux qui servait à fabriquer des carters et qui trône à l’entrée de l’usine, il soutient que plusieurs moules neufs à l’intérieur appartiennent à Renault : « À 500 000 euros pièce, ça fait des millions d’euros de matos ». La colère résonne dans ses paroles, ce 29 novembre : « Ils nous parlent de relocalisation, de réindustrialisation et ils font exactement l’inverse à quelques mois de la présidentielle ! Tu comprends pourquoi hier une centaine de salarié.es de l’usine brûlaient leur carte d’électeur ».

Business plan

Tout le monde s’accorde pour dire que les actionnaires de Renault, dont fait partie l’État français, ont décidé de délocaliser la production aveyronnaise de la SAM quelque part en Roumanie, en Turquie, en Espagne ou au Maghreb. Au fil des années, la fonderie aveyronnaise s’est d’abord vue contrainte de travailler exclusivement pour Renault, avant que ce dernier ne la lâche petit à petit, privilégiant « la maîtrise de ses coûts de production ».

Le dernier propriétaire en date est l’un de ces groupes véreux venus pour mater les ouvriers et ouvrières françaises réfractaires : en 2017, le géant chinois Jin Juang aux 20 000 salarié.es rachetait la SAM. Il tente de casser les troupes syndicales, tout en essorant la boîte pour en tirer de la plus-value sans investir dans l’outil de production. Le management est agressif. Le patron Yun Xu menace d’un plan de licenciement si les salarié.es n’acceptent pas ses conditions : faire travailler tout le monde aux 5×8 pour que l’usine fonctionne 7j/7j et externaliser l’activité d’usinage. Les salarié.es bloquent l’usine durant trois jours, Yun Xu ose fait part de sa tristesse dans la presse. À peine deux ans après son arrivée, la multinationale chinoise se met en redressement judiciaire et abandonne l’usine.

Guerre de classe

Depuis, les salarié.es ont multiplié les manifestations, les journées de grève et de blocage de l’usine, dont 23 jours consécutifs en mai 2021. Jusqu’à nouvel ordre, on achète encore des bagnoles en France, et une usine qui fabrique des pièces de voitures n’a donc pas à disparaître. D’autant que la SAM, selon les délégués CGT, a « la moitié de sa production tournée vers l’hybride et l’électrique ». Il s’agit donc bien de délocaliser. Bas salaires, droit du travail à la baisse, taxations légères : autant de raisons pour aller voir ailleurs. Un autre motif vient sans doute influencer les dirigeants de Renault. Dans la métallurgie, et encore plus dans la plupart des fonderies, de grosses boîtes sont acquises à la CGT et la résistance est forte. À la SAM, un.e salarié.e sur deux est cgtiste. David soutient que « Moustacchi [directeur des achats chez Renault] le sait très bien qu’ici c’est un bastion, une terre de lutte, comme toutes les fonderies d’ailleurs. Mais dans l’Indre, celle qu’ils ont reprise, c’est pas la même chose… » (1)

Fermer des fonderies comme la SAM, c’est donc mettre une balayette à l’adversaire de classe. D’autant que le syndicat patronal de la métallurgie, l’UIMM, tente depuis 2016 de faire adopter une nouvelle convention collective qui doit être signée… fin décembre. Quelle joyeuse concomitance ! Au menu de ce texte : remise en cause des diplômes et baisse des salaires, quota d’heures supplémentaires qui passe de 220 à 450 heures, détricotage des 35 heures avec une annualisation du temps de travail et des semaines pouvant aller jusqu’à 48 heures, suppression des primes d’ancienneté, de panier, de nuit, d’équipe… D’Airbus à Thalès et de Renault à Arcelor, on s’impatiente pour sabrer le champagne de la nouvelle année.

Le bassin derrière la SAM

Le 19 novembre, le tribunal de commerce de Toulouse repousse l’offre de reprise de Patrick Bellity, sauf si Renault s’engage à ses côtés : ce dernier refuse et la cessation d’activité est déclarée le 26 du mois. L’usine est alors occupée 24h/24h, la nationale jouxtant l’usine est bloquée en permanence et les mobilisations s’enchaînent. 4000 personnes s’amassent devant l’usine le jeudi qui suit, puis à nouveau 8000 soutiens se rassemblent le 1er décembre : des tracteurs de la FDSEA et de la Conf’, des bus par dizaines, des délégations d’usines et de secteurs de toute la région et au-delà. Malgré un temps exécrable, une affluence record. Mais jusqu’ici, pas de quoi gripper la machine judiciaire.

Quelques jours plus tôt, Carole Delga était venue sur le site vendre sa soupe. Pour la représentante du moribond parti socialiste, qui a montré son vrai visage avec le mandat de François Hollande à travers « la loi travail », venir en soutien à des salarié.es en lutte semble une gageure. Mais Delga est une communicante et promet sans sourciller à deux ouvrières à l’entrée : « on va se battre ! ». Va-t-elle ruer dans les brancards de Renault et du gouvernement ? Exiger la reprise en direct par le constructeur automobile ? La nationalisation de l’usine, même provisoire ? Va-t-elle proposer du cash pour soutenir un projet de reprise par les salarié.es eux-mêmes ? (2) Après tout, quand il s’agit de soutenir quelques multinationales pour leur développement, elle sait trouver 300 millions, si on se penche du côté de Port-la-Nouvelle (lire p.4). Non, Delga entérine la liquidation, et cause vaguement d’une nouvelle installation industrielle sur le site, grâce à de vagues contacts. « On va travailler ensemble pour un projet d’avenir » leur promet-elle à coup de « mobilité décarbonée », et jure de revenir vers les syndicats… au premier semestre 2022.

Force et courage

Les liquidateurs, ou « mandataires judiciaires », sont accueillis dans un silence de plomb le 6 décembre. Dans leurs bottes, une misère : 320 000 euros pour 333 salarié.es, le minimum légal, sans que ni l’État ni Renault n’y trouvent à rajouter. En prime, pour chaque salarié.e, des offres de reclassement infâmes : des CDD à Saint-Étienne, en Isère, en Seine-et-Marne, dans l’Ariège ou dans la Loire, et pour des profils qui ne correspondent pas. Le lendemain, toutes et tous enverront ces propositions dans le brasero du piquet de grève. Avant de voter en AG la poursuite de l’occupation jusqu’à Noël, jour et nuit, pour empêcher le déménagement des machines.

Le 9 décembre, nouveau rassemblement. Plus de 2000 personnes du bassin et d’ailleurs viennent soutenir la lutte de la SAM. Le ministère public avait jusqu’à la veille au soir pour faire appel de la décision du tribunal de commerce. Il est resté muet. David, au micro, soutient que « le tribunal a pris une décision de classe, c’est leur justice de classe, être faible pour les forts, et fort envers les faibles ». Il fustige le gouvernement qui « soutient la stratégie de liquider les fonderies françaises pour faire du fric à l’étranger » et interroge : « combien de temps encore va-t-on laisser les multinationales façonner notre territoire ? ». Avant de prévenir : « Cette boîte, elle nous appartient, elle s’est développée avec les richesses créées et avec l’argent public. On ne peut pas, un jour, se regarder dans les yeux, franchir ce putain de portail, et se dire qu’on ne se reverra plus. Ça n’arrivera pas ! »

1 : Renault a soutenu la reprise de Alvance Aluminium Wheels (280 salarié.es) par le Groupe Saint-Jean Industries.

2 : Dans le jura, 120 salarié.es tentent de reprendre leur fonderie, la MBF, sous forme d’une SCOP.

Emile Progeault