Numéro 4 Régional

Notre bête noire

Jean-Michel Baylet : la récidive

Non, nous n’allons pas évoquer à nouveau les affaires de viol ou d’agression du PDG du groupe La Dépêche, mais plutôt revenir sur le sombre passé du quotidien. Et pour cause, dans une interview du 26 novembre au site d’info Ecom news, le boss se gargarise à nouveau de l’histoire du journal aux mains de sa famille depuis des décennies, « toujours fidèle aux valeurs de la république ». Sur vingt minutes d’entretien, une poignée de secondes est consacré à la période 39-45. Baylet rappelle la déportation des dirigeants de l’époque, son père et celle de Albert Sarraut, ainsi que l’assassinat du frère de ce dernier. Puis il concède : « Certes ils avaient choisi de continuer à paraître, après un grand débat d’ailleurs, mais ils considéraient qu’il ne fallait laisser ni les ouvriers ni les lecteurs. Ce choix c’était le leur, il faut le respecter. » C’est pourtant un énorme mensonge par omission.

Les dirigeants de La Dépêche ont été déportés en juin 1944, au titre de « déportés d’honneur » donc en tant que notables, en même temps que le maire de Toulouse André Haon (nommé par Vichy) ou le banquier Courtois de Viçose. Ils ne sont pas arrêtés ou déportés en tant que résistants (1). À la tête de La Dépêche de 1939 à 1943, ces dirigeants ont maîtrisé « une ligne éditoriale cohérente de collaboration avec les objectifs de l’Allemagne nazie », écrivait Claude Llabres, élu PCF et adjoint à la mairie de Toulouse. Articles antisémites, appel aux représailles contre les résistant.es, glorification de Pétain, tout y passe. Les archives sont immondes. Quant au menu de cette petite interview en mode publi-reportage, Baylet oublie un petit détail : l’intégration de René Bousquet, l’ancien chef de la police de Vichy et responsable de la rafle du Vel’ d’hiv, dans le conseil d’administration du groupe de 1960 à 1972. Une broutille.

1 : Ce qui n’empêche pas que des milliers de « déportés d’honneur » n’en sont pas revenus. Source : La Dépêche du Midi et René Bousquet, Un demi-siècle de silences, Claude Llabres, Fayard, 2001. Nous recauserons de cette histoire du quotidien dès que nous aurons trois pages de libre.

E.P

Le niveau zéro du journalisme

Chaque année, le nombre de journalistes dans les quotidiens détenus par la famille Baylet diminue, comme le nombre d’agences locales. Et ne croyez pas que le boom du numérique soit une aubaine pour la profession : via sa filiale Dépêche news, le groupe embauche des salarié.es sans le statut de journalistes, sous payés, pour produire du « contenu » en ligne. Quant aux 460 « vrais » journalistes restant dans le groupe, cantonnés pour la plupart aux articles de complaisance et aux faits divers, aucun n’a le loisir d’aller enquêter sur les pouvoirs économiques, médiatiques et politiques de la région : l’investigation est proscrite des quotidiens de M. Baylet.

Malgré tout, l’ensemble de ce monopole de presse affichait en octobre une audience cumulée de 2,2 millions de lecteurs et lectrices au quotidien. Ce chiffre de l’APCM est réalisé sur la base de sondages, et permet de « valoriser le support presse auprès des agences publicitaires »*. La diffusion réelle est sans doute à moins de 20% de ce chiffre un tantinet exagéré. Par contre cette estimation semble oublier les 45 000 lecteurs et lectrices de Cnews Matin (auparavant Direct Matin). Pour le coup, l’info nous avait échappé : si le quotidien appartient à Boloré, c’est Baylet qui y faisait travailler ses salarié.es de la Dépêche News pour remplir les pages toulousaines. Peu importe, c’est de l’histoire ancienne car ce torchon gratuit a disparu le 30 novembre.

Reste que bâtir un monopole de presse qui terrasse le pluralisme et effectuer des licenciements de masse dans ses journaux, ça paye : la holding familiale de la famille Baylet qui détient le groupe La Dépêche annonce un chiffre d’affaires de 2,3 millions en 2020, et s’est récemment positionnée pour racheter le groupe La Provence. Tiens donc, alors si La Dépêche se retrouve à Marseille, on pourra peut-être fusionner avec le mensuel indépendant CQFD, pour s’attaquer à l’empire de presse !

* Fiche n°1 de L’Alliance pour les Chiffres de la Presse et des Médias, anciennement OJD.

E.P

Dessin : Jean Vomi