Numéro 4 Régional

Une ZAD contre le béton, le préfet et son monde

Depuis le mois de juin, Montpellier a sa Zone A Défendre : des militant·es écologistes et autonomes ont investi le tracé du LIEN, un projet de rocade porté depuis plus de trente ans par le Département de l’Hérault. Le troisième et dernier tronçon de cette route visant à relier l’A750 à l’A9 menace l’une des dernières poches de biodiversité jouxtant la ville et met à jour un processus intense de métropolisation.

Septembre 2020. Des dizaines de militant·es se retrouvent sur une parcelle agricole située à Saint-Clément-de-Rivière, au Nord de Montpellier, en soutien au collectif Oxygène qui lutte depuis des années contre l’implantation d’une immense zone commerciale portée par Décathlon. Après un confinement qui a brisé net toutes les dynamiques militantes, c’est l’un des premiers rendez-vous de lutte qui vient marquer la reprise – toute en règles sanitaires – des actions collectives. En plein pique-nique, je rejoins un petit groupe de militant·es locaux du réseau ANV-Cop21, de Greenpeace ou d’Extinction Rébellion, qui discutent d’une autre lutte contre la bétonisation : celle qui s’oppose au LIEN (Liaison Intercommunale d’Évitement Nord).

En effet, le Département a profité du confinement pour déboiser une vaste partie du tracé de cette rocade qui doit venir exploser plusieurs collines et des garrigues, réservoirs de biodiversité du Nord de la ville. L’accélération du processus inquiète les militant·es, notamment le collectif SOS Oulala, qui réunit riverain·es et activistes opposé·es au projet.

Alors que sont évoqués les derniers mouvements du chantier dans un certain sentiment d’urgence, l’idée finit par fuser : « Et si on lançait une ZAD ? » Ça sort comme ça, tout seul, et ça allume quelques étincelles dans les regards, mais aussi des moues dubitatives. Tout le monde a conscience qu’il faudrait partir de rien face à un projet d’ampleur (huit kilomètres de route pour près de 100 millions d’euros) et pourtant assez mal connu par la population. Heureusement, on peut s’appuyer sur l’intense travail mené par le SOS Oulala, qui s’est lancé dans la bataille de la communication et qui s’est attelé à battre en brèche le greenwashing du Département.

Du béton écologique ?

La majorité socialiste et ses équipes de communication n’y vont pas avec le dos de la cuillère. Cette 2×2 voies, accompagnée de tous ses ouvrages infrastructurels (bassins de rétention, échangeurs multi-niveaux, dessertes), est présentée comme une « route durable ». Ce vocable repose sur la mise en place pure et simple des dispositions écologiques prévues par la loi : un cahier des charges limitant les risques et nuisances, couplé à une politique de « compensation » de la destruction d’espaces naturels en finançant la préservation d’autres zones protégées. Car dans la zone qui sépare Saint-Gély-du-Fesc à Grabels, le LIEN va concrètement tout dévaster : une centaine d’espèces protégées verront leur habitat perturbé ou disparaître, des zones de captation d’eau potable seront menacées, les pollutions de l’air, du son, des sols, et les risques naturels accrus. Sans parler du cadre de vie de centaines de personnes, profondément bouleversé et dévalué. Car le projet n’est ni plus ni moins qu’une jonction entre les autoroutes A9 et A750, amenée à drainer des dizaines de milliers de véhicules chaque jour.

Au cours de l’année 2020, l’opposition fait intervenir cabinets d’étude et scientifiques, qui mettent finalement le doigt sur des carences dans l’étude d’impact du projet. Une dizaine d’espèces protégées n’auraient pas été prises en compte. Mais bien décidé à avancer, le Département déploie une intense campagne de propagande avec la campagne « On aime les arbres ! ». L’institution se targue d’en avoir fait planter 28000. Mais combien seront déracinés pour le LIEN ?

Les militant·es du SOS Oulala démontrent que l’un des arguments phare du projet, la décongestion des axes routiers montpelliérains, ne tient pas en raison du phénomène de trafic induit. Des études prouvent en effet que la création de nouveaux axes routiers entraîne systématiquement une augmentation des usagers et du développement urbain. Cette contradiction dans le discours du Département révèle ce qui se cache concrètement derrière le LIEN : la création d’un véritable périphérique (couplé au DEM et au COM, deux autres projets routiers similaires) concrétisant la métropolisation de la ville sur un modèle du tout-voiture. Une logique qui entérine la bétonisation des zones contenues par ces axes.

À bas le LIEN et vive la ZAD !

Le 6 octobre 2020, une quinzaine de militant·es investissent un mazet situé sur le tracé du LIEN, en zone expropriée et appartenant au Département. L’annonce en est faite une semaine plus tard, alors que les lieux ont commencé d’être aménagés : « On est là pour occuper le terrain et établir un autre rapport de forces avec les autorités. » nous témoigne-t-on sur zone. C’est l’effervescence : la presse quotidienne débarque, et les militant·es présentent la Maison de l’Écologie et des Résistances (MÉR), qui se propose d’être le fer de lance de la résistance écologiste à Montpellier. Vent de panique au Département.

Une poignée de jours plus tard, au petit matin, des dizaines d’hommes du PSIG, armés et cagoulés, fracassent sans sommation la porte de la bâtisse. Une dizaine de personnes sont prises au dépourvu, trois sont placées en garde à vue. Les bulldozers du Département sont déjà là pour prendre le relais de l’expulsion et réduire à néant ce qui fut la première ZAD du LIEN. Parmi les militant·es, la colère est forte. Personne ne s’attendait à une réaction aussi immédiate et radicale du Département, d’autant plus que l’occupation était siglée par des groupes écologistes connus pour leur non-violence et assez éloignés des milieux autonomes. Le Département a donc pris très au sérieux la menace. Les réactions politiques fusent et transforment le LIEN en un véritable sujet de société local.

Une parcelle, des caravanes et un drapeau

Les militant·es organisent la riposte sous forme d’une guerre de communication contre le Département. SOS Oulala invite la population à se rendre sur le tracé lors de journées de découverte des garrigues et multiplie les actions symboliques visant les instances politiques, comme lorsque le collectif emmène des arbres abattus sur le chantier jusque sur le perron de l’hôtel du Département. Ce dernier, quant à lui, se paie le luxe de distribuer une brochure de quatre pages à l’ensemble de la population héraultaise, document qui déforme les arguments de l’opposition pour l’accuser ensuite de produire des fakenews. L’enchaînement de l’expulsion et de cette campagne mensongère à grands frais tend à radicaliser les troupes. Certain·es des occupant·es de la MÉR songent à retourner sur zone et s’y organiser. Le prêt d’une parcelle par un riverain du tracé le permettra : durant l’hiver, des caravanes et habitats légers investissent discrètement la zone, une yourte est montée, une poignée de nouvelles personnes, pas toujours montpelliéraines, s’installent. « Chez Oit’ » est né, et porte haut le drapeau de la ZAD du LIEN.

Ce drapeau noir, on commence à le voir se balader lors des manifestations contre la Loi Sécurité Globale à Montpellier. Les opposant·es au LIEN mènent un travail de fond pour se mettre en relation avec le reste du milieu militant, mais aussi pour créer des liens avec d’autres ZAD. Ces efforts portent leurs fruits au printemps 2021 : plusieurs journées d’actions et de convergences des luttes sont organisées « Chez Oit’ » et drainent des centaines de personnes, parfois venues de toute la France. On commence à entendre parler régulièrement de la ZAD à Montpellier. De nouveaux visages apparaissent, des assemblées générales qui brassent occupant·es et militant·es tentent de coordonner la lutte. De son côté, le SOS Oulala étoffe ses recherches : au-delà de la métropolisation, une vision d’ensemble des projets infrastructurels à l’échelle macroéconomique se dessine. Le LIEN, véritable liaison autoroutière, apparaît comme un axe essentiel de l’optimisation et de l’intensification du trafic de fret au niveau national et international.

La lutte profite grandement de ce moment de prise de recul et de mise en relation, tandis que l’avancée des travaux a marqué le pas. Début juin, des militant·es venu·es d’autres ZAD débarquent pour un week-end de confluence. Consécutivement, une annonce est faite dans les médias : un nouveau collectif indépendant occupe la zone du Pradas à Grabels, et marque le retour d’une résistance physique au projet. « On occupera jusqu’à l’abandon du projet, déterminé.es à protéger notre terre, nos communs, notre futur. Nous luttons contre le LIEN et son monde. Contre le béton qui stérilise notre avenir à tous et à toutes pour le profit de quelques un.es. ». Autre annonce médiatique presque concomitante : le nouveau préfet, le sarkozyste Hugues Moutouh, prévient qu’il compte nettoyer la ville des squats et de l’ultragauche…

La ZAD dans la tempête

L’été est pour beaucoup un temps de découverte des garrigues environnantes mais aussi de la ville de Montpellier, et de l’assimilation progressive des enjeux de la lutte. Sur place, l’organisation se fait entre autogestion et AG de lutte, mais la ZAD a parfois du mal à se structurer efficacement et à établir des ponts avec l’extérieur. Les liens avec les collectifs historiques de la lutte peuvent également se montrer tendus. C’est aussi le temps des frictions avec le voisinage. Contrairement à ce qui a été véhiculé par la presse locale, la ZAD est plutôt bien acceptée par les riverain·es du Pradas, majoritairement contre le LIEN. Mais les premières teufs et le flux continu de nouvelles personnes pendant l’été aboutissent à quelques tensions, qui finiront par prendre un tour dramatique. Au cours du mois d’août, la ZAD subit l’agression régulière d’un groupe d’inconnus. On tire au mortier sur la zone, une tentative d’incendie est évitée. La violence culmine avec une altercation lors de laquelle des occupant·es sont blessé·es par des tirs de gomme-cogne.

Régulièrement, la ZAD est aussi la cible d’un groupe de gamins, qui caillassent la barricade d’entrée. Lors de l’une de ces altercations, un adolescent qui circule à scooter sur la route est la cible d’un « jet de vélo » en représailles. Il percute de plein fouet la voiture qui arrive en face. Par chance, il n’est que légèrement blessé. Sa mère porte plainte et évoque une tentative d’homicide dans la presse locale. Sur place, c’est la stupeur. Personne ne comprend les raisons d’un tel acte et les militant·es réagissent rapidement pour se désolidariser de l’agression, et clarifier le sens de leur engagement : « Nous sommes conscient.es des efforts à mener pour favoriser les rencontres et les échanges avec la population, et la circulation de l’information concernant nos actions, dans le but d’affiner une lutte sans amalgames, au sein d’un espace fortement politique. » Dans les jours qui suivent, plusieurs descentes de gendarmerie viennent mettre la pression sur les occupant·es.

L’épisode entraîne des bouleversements internes et une forme d’assagissement. Entre temps, une bonne nouvelle tombe : le Conseil d’État vient de rendre un avis remettant en question la Déclaration d’utilité Publique (DUP) du LIEN. La Mission régionale d’Autorité Environnementale a vertement critiqué l’étude d’impact du projet, ce qui pourrait mener à son annulation. Malgré cela, le Département annonce son intention de démarrer, début novembre, les travaux d’un méga-échangeur. Les affaires reprennent… Dans la presse, le préfet Moutouh, qui a réussi en quelques mois à se voir affubler du doux sobriquet de « Bulldozer » en expulsant à tour de bras squats et bidonvilles, enjoint les propriétaires des parcelles occupées par les militant·es à porter plainte et à engager des référés d’expulsion. Mais personne ne suit. Le préfet émet donc un arrêté accélérant les procédures d’expropriation au profit du Département. La ZAD est en danger.

La répression du préfet Moutouh

Courant octobre, un afflux de militant·es rejoint la ZAD, certaines personnes songent alors à investir d’autres lieux. Le 26, plusieurs d’entre elles se rendent sur une parcelle de l’autre côté de la route et se lancent dans la construction d’une cabane. Réaction immédiate de la maréchaussée qui se déploie massivement pour contrôler tout ce beau monde. Deux personnes sont interpellées et placées en garde à vue pour entrave à la circulation et participation à un groupement en vue de commettre des violences… Mais les bleus n’en restent pas là. Le préfet Moutouh les envoie, accompagnés du PSIG, démolir la barricade de la ZAD, située sur un terrain municipal. Les gendarmes respectent scrupuleusement le cadastre et procèdent à la destruction sous les yeux des militant·es. La mairie de Grabels ne communique pas dans l’immédiat, mais on apprend qu’elle n’a aucunement engagé de référé d’expulsion.

Une semaine plus tard, au matin du 4 novembre, une opération de perquisition mobilise la gendarmerie sur la ZAD. Elle est motivée par l’ouverture d’une procédure par le parquet, visant les quelques jets de projectiles s’étant produits la semaine précédente. « Pas d’impunité pour ceux qui agressent les forces de l’ordre et violent la loi », commente le préfet. Mais au cours de la matinée, l’intervention se transforme en véritable expulsion. L’un des propriétaires des terrains occupés aurait donné son aval. Les pelleteuses et camions du Département sont à pied d’œuvre pour raser et évacuer le petit village constitué de dizaines de cabanes et de structures autonomes qui s’était bâti depuis des mois. Des dizaines de gendarmes sécurisent les lieux, les estafettes sont remplies de zadistes et font des allers retours incessants jusqu’à la gendarmerie. Treize personnes sont placées en garde à vue, cinq d’entre elles poursuivies. Pendant ce temps, l’essentiel de la ZAD est détruit et évacué.

Depuis, il a fallu s’organiser. Héberger les dizaines d’activistes mis à la rue par le préfet, sans – évidemment – aucune proposition de relogement. Puis mettre en place la défense des inculpé·es, dont les procès se dérouleront les 9 et 16 décembre à Montpellier. Le premier d’entre eux a vu des relaxes totales prononcées. Certain·es militant·es n’ont pas baissé les bras et sont retourné·es très vite sur zone, où une nouvelle barricade s’est bientôt dressée. La lutte n’est donc pas terminée, même si le Département de l’Hérault accélère ses travaux. Les espoirs restent suspendus à la future décision du conseil d’État sur la validité de la DUP du projet, qui devrait tomber dans quelques mois. Dans l’attente, la ZAD est plongée dans un demi-sommeil que le zélé préfet Bulldozer ne manquera sans doute pas de perturber à nouveau…

 

Jude, de l’équipe de La Mule du Pape,

média indépendant basé à Montpellier (www.lamuledupape.com)

 

+ d’infos sur le LIEN, le site du collectif sos oulala : www.sosoulala.org.