La méditerranée, frontière meurtrière
Six mois se sont écoulés depuis mon retour de Lesbos, en Grèce. Le gouvernement xénophobe renforce toujours plus ses mesures d’isolement des réfugiés, sa propagande raciste a pour effet de multiplier les attaques d’habitants envers les étrangers et les groupes de soutien sur les îles ont peine à maintenir leurs activités. La descente aux enfer était en cours avant la pandémie mais le virus a accéléré l’enfermement et la déshumanisation des sans-papiers, toujours confinés dans des conditions sordides.
Ce matin de décembre 2019, le ciel est clair, pas un nuage. Il est six heures et le soleil n’a toujours pas franchi la cime des collines. Nous sommes au bord de l’eau et regardons plein Est. L’aube orangée est magnifique, apaisée. Tandis que la circulation s’intensifie lentement, deux pêcheurs battent des poulpes contre un muret pour les attendrir. Munie d’une imposante mitraillette à l’avant, une vedette des garde-côtes grecs passe à toute allure devant nous. Les flics pavanent sur leurs jouets dernier cri, offerts par l’Europe. Nous sommes sur la route de l’aéroport qui longe le littoral au sud de Mytilène, la ville principale de Lesbos, l’une des cinq îles grecques situées à moins de vingt kilomètres des côtes turques.
La nuit, je participe aux night shifts organisés par un groupe militant informel. Ce sont des rondes effectuées le long de la côte entre minuit et huit heures, pour scruter la mer à l’aide de jumelles et porter assistance à celles et ceux qui accostent après une traversée sans visa de la mer Égée, à bord d’embarcations de fortune. Deux voitures font de lents allers-retours sur un parcours d’une vingtaine de kilomètres scrutant le sombre néant de la mer parsemé de points lumineux, cherchant ce qui sort de l’ordinaire. L’ordinaire, c’est le passage des cargos, des ferries, des bateaux de pêche et les rondes des forces de sécurité : garde-côtes turcs et grecs, militaires et flics sous commandement de Frontex (1) et de l’OTAN. On peut repérer l’arrivée d’un bateau de clandestins par les lumières des téléphones que les gens ont souvent en main lors de la traversée. Nous sommes équipés de couvertures, de chaussettes, d’eau, de peluches, de cordes, de deux flotteurs et de matériel de premiers secours.
J’ai débarqué à Lesbos pour rendre visite à un ami. J’avais entendu parler de la situation là-bas mais beaucoup de choses restaient abstraites. Carrefour aux portes de l’Orient, l’histoire de l’île est marquée par de nombreux passages de populations. Elle s’est trouvée largement médiatisée en 2015, alors que 2000 personnes arrivaient chaque jour illégalement. Dans l’urgence, un accord juridiquement flou fut signé en mars 2016 entre l’Union Européenne (UE) et la Turquie. Il prévoyait une aide de six milliards d’euros au pays d’Erdogan pour contrôler les départs et réadmettre les expulsés. « Tout migrant entrant illégalement sur les îles grecques depuis la Turquie, sera reconduit en Turquie », c’est la première phrase de l’accord, c’était le « deal ». À ce moment là, on introduisait la politique des hotspots pour gérer les arrivées de personnes sans papiers aux portes principales de l’Europe. Il s’agit de centres de rétention installés pour effectuer un tri rapide entre ceux qu’on expulse directement et ceux qui peuvent prétendre à la demande d’asile. Quatre ans après, le « centre de premier accueil » de Moria à Lesbos concentre 20 000 personnes et devient un exemple de l’inhumanité s’exerçant aux frontières.
À trois heures du matin, nous tombons sur des personnes qui ont allumé un feu sur la routede l’aéroport. Une femme, cinq enfants et six hommes venus de Syrie et un Irakien. Ils sont calmes, souriants, heureux de nous voir. La traversée s’est visiblement bien passée. Une bagnole de flics était déjà sur place. Nous voyant arriver, ils en ont profité pour partir, nous laissant gérer la situation avant de revenir plus tard. Surprenant. On a passé des couvertures de survie sous les pulls des enfants, faisant dépasser un bout par le col pour protéger la nuque et la tête, rabattant le reste autour du ventre pour garder la chaleur du corps. On les a ensuite doublées de couvertures grises siglées UNHCR(2), distribuées en masse sur les zones de conflits dans le monde, puis re-couverture de survie pour étanchéifier le tout. Des peluches pour les enfants, de l’eau, doubles chaussettes pour ce bébé nu pieds. Mes quelques mots d’arabe me reviennent et libèrent un flot de paroles que j’ai peine à comprendre. Un lien se crée avec les enfants, ils se disputent pour les peluches, me donnent leurs prénoms et m’apprennent le nom des animaux. J’ai la gorge nouée, le bide serré. Au bout d’une demi-heure, le bus de la police est là.
C’était plutôt facile cette fois-ci, nous confie lors du débriefing la copine présente sur l’île depuis des années. Les gens allaient bien, il ne faisait pas trop froid, pas besoin d’entrer dans l’eau, il s’agissait seulement d’offrir un instant chaleureux. Quand c’est 60 personnes qui arrivent sur un zodiac prévu pour 20 en plein hiver, c’est une autre histoire. Quelques jours plus tôt, un groupe a accosté avec trois personnes inconscientes dont une a été ranimée par un massage cardiaque.
Les îles, de parfaites prisons
La majorité des réfugiés arrivant à Lesbos entament un long séjour sur l’île, alors qu’ils pensaient n’y rester que quelques jours. Les personnes les plus fortunées passent les premières nuits à l’hôtel ou vont au restaurant, comme ce groupe rencontré plus tôt et que je recroise au kebab le lendemain. Mais les semaines passant, les réserves s’amenuisent, ils revendent leurs effets personnels et la situation se dégrade invariablement. L’enregistrement de la demande d’asile peut s’étaler sur plusieurs années. Tant que le dossier n’est pas complet, on ne bénéficie d’aucun droit. Chaque différence dans le récit des personnes lors d’entretiens espacés de plusieurs mois, accentuée par les traductions aléatoires, sera utilisée pour mettre en doute la véracité de leur histoire. Ici, on ne parle plus d’obtenir l’asile mais le statut de demandeur. En Grèce, il permet d’obtenir une aide de 90 euros par mois et il faut attendre six mois encore avant le premier versement, un théorique droit de travailler, droit à la protection sociale, au rassemblement familial et, surtout, droit de circulation sur le territoire national. C’est le sésame pour quitter l’île.
Pour trouver le camp de Moria, il n’y a qu’à suivre la file de gens qui marchent sur le bord de la route à la sortie de la ville. Elle s’étend sans interruption sur la dizaine de kilomètres qui le séparent de Mytilène. Les personnes bloquées font des allers-retours entre le camp et la ville pour effectuer leurs démarches administratives, avoir accès à des distributions de nourriture, participer aux activités offertes par des organisations, faire leurs courses, pêcher et récupérer des matériaux de construction pour leurs abris. Palettes, bambous, bâches, bidons, etc.
Le camp de Moria est le symbole de l’enfer vécu sur l’île. Un dédale de tentes et d’abris de fortune se déploie juste à côté des préfabriqués sécurisés, débordés, de la section détention. Initialement construit pour une capacité de 3 200 places, elles et ils sont six fois plus à y survivre aujourd’hui.
À l’entrée du camp, on est devant une prison : hauts grillages, barbelés, cars de police, entrée hyper-contrôlée. Mais lorsque l’on contourne l’enceinte, les grillages sont éventrés, laissant entrer et sortir continuellement un flot de personnes. Le camp a ainsi débordé sur plusieurs hectares dans l’oliveraie voisine.
Les abris précaires sont, au mieux, montés sur un plancher de palettes qui protège un peu des coulées de boue et des eaux usées. Il n’y a quasi pas d’accès à l’électricité. L’eau c’est quatre heures par jour, un robinet pour 1300 personnes, à des horaires variables. Un cabinet d’aisance pour deux cent cinquante. On attend cinq heures pour une douche ou pour une bouteille d’eau. Il y a beaucoup de malades et on signale le retour de pathologies comme le scorbut. Les femmes ne peuvent plus allaiter du fait de la sous-nutrition et plusieurs nourrissons meurent chaque année. Les trois repas offerts par les autorités ? On appelle ça la food line, il faut arriver quatre heures avant la distribution pour faire la queue. Il n’y en a jamais assez pour tout le monde. C’est une nourriture parfois tellement infecte que tout le monde jette son repas au sol en signe de protestation. Les conditions de concentration et d’extrême dénuement mènent à des explosions de violences entre communautés, entre personnes.
Les infrastructures locales ne permettent pas la prise en charge des maladies chroniques et complexes que les médecins des ONG constatent, notamment chez les enfants, qui représentent 40 % de la population du camp. Même dans la « zone sécurisée » de Moria, où les enfants non accompagnés sont pris en charge, entassés à vingt cinq par conteneur, les violences sont régulières. Reza Ebrahimi, 15 ans, tué le 25 août 2019 par un autre garçon du même âge, était « pris en charge ». Il y a plus d’un millier de mineurs isolés sur l’île, proies faciles de l’exploitation sexuelle.
Pour entretenir cet enfer, les budgets ne manquent pas (la rallonge de 700 millions d’euros attribuée d’urgence par l’UE en mars est un exemple) et organisations et bénévoles encore moins pour construire des infrastructures améliorant les conditions sur place. En janvier 2016 les autorités locales dénombraient 80 ONG et des milliers de bénévoles présents. Mais toute aide structurelle est verrouillée, les installations ne seraient pas aux normes… Cet hiver, un groupe d’afghans a monté une école autogérée : ils ont dû batailler de longs mois avant que leur initiative ne soit tolérée, grâce à la pression médiatique. Mille élèves de tous âges peuvent ainsi suivre des cours de langue, peindre ou jouer de la musique, gratuitement, mais sous des bâches tendues sur des palettes. Reconnaître officiellement une école à Moria, c’est admettre le fait que les réfugiés sont là pour un temps long et cela obligerait à revoir toute la copie. Il existe des « standards » définis par l’ONU pour de tels camps. Au lieu de ça, en cinq ans, les autorités grecques et l’Europe ont sciemment laissé se dégrader jusqu’à l’extrême un centre qui, par sa dimension coercitive et l’entretien de conditions inhumaines, devient un outil de dissuasion, mortel.
C’est dans ce contexte qu’il est proposé aux personnes en demande d’asile de bénéficier à tout moment du « retour volontaire ». L’Europe paye le billet d’avion et attribue même des bourses pour « l’aide à la réintégration dans le pays d’origine ». Ainsi l’accord du 12 mars entre les autorités européennes et grecques propose une allocation de 2 000 euros à 5 000 migrants bloqués sur les îles pour les encourager à rejoindre l’endroit qu’ils ont fui en risquant leur vie. Épuisés par les conditions de survie à Moria, dans l’impossibilité de se déplacer, de prendre des décisions et pour éviter un transfert vers les prisons turques, nombreuses sont les personnes qui cèdent et demandent le « retour volontaire », représentant la majorité des expulsions pratiquées.
Au mois de décembre, le joli port de Mytilène résonnait au son des chansons de Noël diffusées dans les hauts-parleurs municipaux. Sur ce fond sonore, des personnes tentaient chaque jour de se glisser dans les véhicules embarquant dans les ferries pour rejoindre le continent. Étrange période quand, tradition insulaire oblige, des petits bateaux de pêche décorés de guirlandes occupent chaque rond-point. Un message de bonne année est accroché en lettres luminescentes sur les grilles du bout de quai où attendent les personnes arrêtées par les garde-côtes et Frontex. J’ai quitté Lesbos rempli de rage et j’ai voulu cramer tous ces cyniques symboles de fête fraternelle ou, au moins, enfiler un gilet de sauvetage au Père Noël sur la place principale. Mais je suis resté impuissant. Impuissant quand, flânant sur les quais devant les gros navires militaires des pays de l’UE, on les voit partir en mer et revenir en tractant des petites embarcations aux noms turcs, qu’ils entassent entre deux voiliers de plaisance. Plus tard, j’assistai au chargement de ces bateaux sur un camion, convoyés dans une décharge au Nord de l’île où ils sont brûlés, à deux pas d’une cité balnéaire très touristique. Dans le terrain vague d’à côté, on tombe sur une montagne de gilets de sauvetage. Une montagne. Elle coupe la voix, saisit le ventre. On l’appelle the lifejacket graveyard, « la tombe des gilets de sauvetage ». Lieu de pèlerinage pour certains, elle est ce symbole d’une banalisation de la violence aux frontières. Ici ce sont les gilets, ailleurs les corps. Engourdi par la difficulté de trouver une prise politique sur la situation, j’ai souvent demandé aux potes militant sur l’île si, à force d’éponger la merde créée par les politiques européennes, elles et ils n’avaient pas l’impression de leur rendre service. Pour eux, la question ne se posait pas en ces termes : la situation empirait de jour en jour et il fallait apporter une réponse d’urgence.
Quand la haine se déploie aux frontières
À mon retour en France, j’apprends que les manifestations de demandeurs d’asile se multiplient. Il y a eu de nouveaux morts dans le camp de Moria lors d’agressions entre communautés, et la population qui augmente toujours après l’arrivée de 1 800 réfugiés pour le seul mois de janvier. Chaque semaine, un nouveau cortège descend dans les rues, faisant face à la répression, réunissant jusqu’à 2 000 femmes, hommes et enfants sans papiers début février, pour réclamer l’ouverture de l’île. En parallèle, la campagne du gouvernement récemment élu de Mitsotakis attise la haine des locaux, qui protestent sous le slogan « Nous voulons récupérer nos îles », avec des affiches hostiles aux migrants présentes dans les commerces. De nouvelles mesures viennent isoler encore davantage les demandeurs d’asile et augmenter le nombre de renvois. Il y a le renforcement du dispositif avec l’OTAN et Frontex, la suppression des possibilités d’appel dans les procédures, l’allongement de la durée de détention administrative et l’interruption de l’accès au système public de soin. La folie sécuritaire va jusqu’à étudier la construction d’un mur flottant en mer Égée… Les groupes de soutien sont aussi ciblés en rendant obligatoire leur enregistrement auprès de l’administration. C’est la suite logique de pressions que j’avais pu observer en décembre quand la police nous contrôlait plusieurs fois par nuit lors des night shifts et nous empêchait parfois d’accéder à un bateau.
Le 24 février, 200 policiers anti-émeute débarquent à Lesbos pour sécuriser la construction d’un camp fermé de 5 000 places, sur des terres expropriées : la colère explose. La population locale se soulève et provoque deux jours de grève totale. Tous les commerces de Mytilène restent fermés et des affrontements violents opposent la police aux insulaires. Les groupes émeutiers sont alors politiquement très hétéroclites : habitants excédés préoccupés du sort des migrants, militants internationaux des droits de l’homme et quelques fascistes locaux. Dans le même temps, Erdogan cherche à faire pression sur l’Europe pour qu’elle l’appuie dans ses conflits en Syrie. Hasard du calendrier, c’est le lendemain des émeutes qu’il annonce l’ouverture de ses frontières avec la Grèce et le transfert massif de populations réfugiées, en majorité syriennes. Alors que des milliers de déplacés se pressent sur les côtes de la mer Égée, le gouvernement grec répond en suspendant toute demande d’asile pour le mois de mars, sans aucune base légale.
Partout en Grèce déferle alors une vague raciste. Certains groupes d’extrême droite d’Europe de l’ouest viennent même prêter main forte à des locaux mobilisés pour « défendre l’Europe ». Incendies de lieux d’accueil des demandeurs d’asile, bateaux repoussés par des habitants à leur arrivée, blocage des bus menant au camp, barrages routiers avec contrôle au faciès des militants et destruction des véhicules d’ONG. Sur l’eau, les push back (3) violents se multiplient. Les garde-côtes grecs sont filmés attaquant les embarcations, menaçant de les faire chavirer, n’hésitant pas à tirer avec des armes pour les repousser. Parfois, ils prennent les moteurs et laissent à la dérive les bateaux en ayant pris le soin de les lâcher en eaux turques. Autour de la frontière continentale on compte plusieurs blessés par balles et au moins un mort début mars. Après la suspension de l’enregistrement des demandes d’asile, les réfugiés arrivant à Lesbos sont bloqués dans des tentes sur les plages. Plusieurs centaines de personnes attendent ainsi des semaines sans douche ni toilettes, sans accès pour les ONG ou l’ONU, et surtout sans enregistrement.
Les événements de début mars ont contraint de nombreuses organisations à quitter l’île, la sécurité de leurs actions étant compromise. Les night shifts se sont arrêtés et certains lieux d’accueil de jour ont été fermés ou détruits.
Le covid, une aubaine pour l’enfermement des réfugié.es
C’est dans ce contexte que le premier cas de coronavirus est détecté sur l’île, le 9 mars. Les mesures de confinement pour les camps viennent durcir encore la vie des réfugiés : pas plus de 100 personnes autorisées à sortir par jour, une seule par famille, pour faire des courses et aller à la pharmacie. Il y a un renfort du dispositif policier, mais pas plus de médecins. Les fièvres ne sont pas diagnostiquées et les consignes de « gestes barrière » sont dramatiquement absurdes quand les gens restent entassés dans la queue pour obtenir les repas. Les problèmes d’insalubrité extrême ne sont pas nouveaux : l’urgence est présente depuis des années mais, coronavirus ou pas, on préfère mettre un couvercle sur la cocotte et oublier.
Dans la section de détention du camp de Moria, des prisonniers ont entamé une grève de la faim le 5 avril pour réclamer leur libération face aux risques du virus. Quatre d’entre eux se sont même cousu la bouche en signe de protestation, mais les fils ont été retirés de force le lendemain par un médecin. Au bout de trois jours, la police a mis fin à la grève en forçant les gens à manger.
L’annonce faite en mars d’accueil de 1500 mineurs isolés par les partenaires européens semble oubliée depuis l’arrivée de la pandémie. Alors que les terrasses grecques s’emplissent à nouveau début juin, les réfugiés restent enfermés à Moria, où ils continuent de manifester régulièrement et prennent des amendes quand ils attendent à plus de dix devant les bureaux administratifs, rouvrant après trois mois d’arrêt.
Lesbos est l’exemple médiatisé de la violence qu’est prête à exercer l’Europe sur des populations pour choisir qui peut entrer dans l’enceinte du club. Plus de 40 000 demandeurs d’asile sont coincés dans les îles grecques mais c’est tout autour de la Méditerranée et à l’Est de l’UE que l’horreur se décline suivant les spécificités locales. Les migrants en Méditerranée sont trop visibles (c’est la frontière la plus meurtrière au monde), alors la France et ses partenaires européens n’hésitent pas à s’associer à des régimes autoritaires pour leur déléguer le sale boulot. Les barrières se dressent maintenant dans le Sahel, où la mise en place de contrôles biométriques de masses représente un nouveau marché juteux pour des entreprises comme Thalès ou Safran.
Se réfugier derrière l’analyse des causes des migrations mène bien souvent à les hiérarchiser. Or les migrations sont un fait de la condition humaine et il est inacceptable que certains puissent construire leur vie entre les continents librement quand d’autres sont assignés à résidence. Le passeport français, au troisième rang mondial, donne accès à 187 pays dans le monde sans demande préalable de visa, quand le passeport afghan, centième rang mondial, autorise ses ressortissants à entrer dans 30 pays. Il est important d’attaquer l’idée même des visas et de réclamer la liberté de circulation pour toutes et tous, car les frontières n’existent que pour qui ne peut les franchir.
Le 15 janvier 2020, il y avait 21 268 demandeurs d’asile enregistrés à Lesbos, dont 19 184 à Moria et 1 049 mineurs non accompagnés. En avril, un seul bateau a pu accoster, avec 32 personnes à bord. La population grecque de l’île se situe aux alentours de 90 000, dont 40 000 à Mytilène.
No border, no nation, stop déportations !
Texte : Clément / Dessins : SZ
1 : Appelée aujourd’hui « Agence européenne de gardes-frontières et gardes-côtes », c’est une agence mise en place par l’UE en 2004 pour assister les pays membres dans la gestion de la sécurité aux frontières. En 2019 elle disposait d’un budget de 333 millions d’euros.
2 : Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
3 : Technique de refoulement utilisée en mer par les garde-côtes grecs et turcs consistant à renvoyer un bateau ayant atteint les eaux grecques au-delà de la frontière maritime pour éviter leur prise en charge. Pratique totalement illégale mais courante.