Numéro 8

COVID 19…84

Des villes et des villages déserts, quelques allées et venues masqués. Balades et randonnées interdites, même la campagne se vide. En pleine brousse, on en vient à s’inquiéter de la brigade motorisée, qui sillonne les lieux-dits propices aux points de vue. À Millau, Rodez ou Toulouse, les enfermé-es des zones urbaines sont cloîtrés chez eux et sortent avec la crainte des flics, des caméras municipales et des drones policiers. Ce gouvernement n’a pas fait dans la dentelle. Autant dans la gestion sanitaire catastrophique que dans la mise en place d’un état d’urgence liberticide. Du Lepen-Salvini avant l’heure, dans un décor de Servante écarlate.

« Les connards qui nous gouvernent » (1) ne sont pas les seuls responsables de cette épidémie et de sa gestion, bien évidemment. Les origines du Covid 19 sont encore floues, même si le capitalisme sauvage, ses élevages industriels, son exploitation intensive agricole et la destruction des milieux naturels ont pu créer les conditions d’apparition de ce virus (2). Cependant, c’est bien ce système mondialisé qui a permis sa dissémination à une vitesse folle, grâce à une circulation des hommes et des marchandises sans cesse croissante. De quoi paralyser la planète en trois mois. C’est aussi ce système économique, basé sur une financiarisation toxique et une internationalisation de la production à un niveau extrême, qui a multiplié les effets de cette épidémie. Ainsi, environ 51 000 entreprises autour du globe ont au moins un fournisseur direct à Wuhan (3) : c’est le résultat d’une spécialisation aberrante dans le cadre d’un capitalisme mondial intégré en flux tendus, où la course aux bas salaires et aux profits passe avant toute considération. Nous voilà dépendants d’une poignée de sites sur la planète pour se procurer de simples masques, d’anodins écouvillons, d’indispensables tests ou de précieux appareils respiratoires. Nos sociétés sont plus vulnérables que jamais, confrontées à un virus certes très contagieux, mais qui tue relativement peu au regard d’autres maladies.

Les hôpitaux à genoux

Face au Covid19, les réactions nationales ont été diverses et l’étendue des dégâts dans la santé publique suite aux politiques d’austérité a pesé sur les choix des gouvernants. En France, des mobilisations importantes ont lieu dans le secteur hospitalier depuis plus d’un an, pour s’opposer à « La casse du siècle » (4) qui s’est mise en place depuis plus de trente ans. Des lois, des ordonnances, des logiques qui ont laminé l’hôpital public. La tarification à l’acte et la culture du résultat, le tout pouvoir au chef d’établissement transformé en directeur-manager, une informatisation et une bureaucratisation rampante. Mais aussi une « modernisation » financée via les marchés financiers à coup d’emprunts toxiques, la dette des hôpitaux français triplant entre 2002 et 2012. Sans oublier les « groupements hospitaliers de territoire » pour supprimer des établissements, comme c’est le cas dans le Sud-Aveyron, et une baisse drastique du nombre de lits d’hospitalisation, 60 000 en moins entre 2003 et 2016.

Alors quand le Covid se pointe, l’État n’a ni les capacités hospitalières ni les moyens de prévenir sa dissémination. Et le peu qu’il aurait pu faire, il ne l’a pas fait. Le confinement, véritable couvre-feu policier, est lancé sur tout le territoire. Les mensonges, le bricolage, les approximations se succèdent. Le centralisme de l’État français est total, aucun échelon local ne vient en contre-pouvoir, les annonces télévisées du gouvernement tiennent en haleine tout le pays. Pendant que les lobbies de l’industrie négocient les futures aides de l’État, le gouvernement s’attaque au code du travail. L’état d’urgence « sanitaire » permet aux entreprises de passer aux 48 h voire aux 60 h semaine, d’imposer des congés payés pendant le confinement ou d’en refuser, dispositions qui resteront effectives jusqu’au 31 janvier. En pleine épidémie, la ministre Pénicaud-Danone encourage les français à aller travailler, alors que l’inspection du travail et les prud’hommes sont à l’arrêt. Les supermarchés font leurs petites affaires pendant que les marchés de plein air sont annulés. Les élections municipales ont lieu mais tout rassemblement est interdit. Les parloirs sont supprimés dans les prisons, les personnes en détention provisoire sont enfermées automatiquement pour deux à six mois de plus, sans jugement. Les flics et les juges s’en donnent à cœur joie : plus d’un million d’amendes de 135 euros, des dizaines de peines de prison ferme pour défaut d’attestation, des violences policières accrues dans les quartiers, douze morts imputables à la police durant le confinement (5). Comme à Béziers, où Mohamed Helmi Gabsi est arrêté pour non respect du couvre-feu, maintenu sur le sol dans la voiture, écrasé sous le poids d’un policier. Arrivé au commissariat, il meurt, à 33 ans.

Les fissures du confinement

Ce confinement tombait à pic pour le pouvoir, avec une mise sous cloche des luttes en cours. Et pourtant, dans les usines, aux fenêtres ou dans la rue, on a vu toutes sortes de luttes et d’initiatives. Des débrayages ou des droits de retrait ont eu lieu sur de nombreux sites en France ou en Europe, chez Amazon, Carrefour, Fiat, ou, plus près de chez nous, à la Bosch de Rodez. Des groupes de GJ ont tenté des micro-manifs furtives, des dizaines de milliers de gens ont affiché une banderole, une pancarte, ou installé une sono pour montrer leur rage. D’autres se sont mobilisés pour rouvrir les marchés, pour porter plainte contre l’État, pour monter des groupes d’entraide (6) et des brigades de solidarité, avec des distribution de repas, la confection de masques artisanaux, etc.

À ce jour, la grande mobilisation post-confinement n’a pas eu lieu. Le pouvoir a maintenu l’interdiction de manifester pendant qu’il autorisait les messes et ouvrait grand les hypermarchés. Il poussait des millions de salarié-es à retourner au boulot en rouvrant les écoles. Pourtant, la menace d’amendes et l’interdiction de battre le pavé n’a pas dissuadé des milliers de gens de prendre la rue. Cela a commencé par de petits rassemblements devant les hôpitaux, puis des milliers de manifestant-es à Paris le 30 mai pour la régularisation des sans-papiers et la fin des centres de rétention. Depuis fin mai, une effervescence internationale s’est mise en branle contre les violences policières et le racisme structurel de nos sociétés, avec des dizaines de milliers de personnes qui reprennent la rue, dans toutes les villes françaises, tous les trois jours. Le 16 juin, plus de 220 rassemblements avaient lieu devant les hôpitaux en France, pour soutenir les revendications des soignant-es, et une nouvelle journée était programmée le 30 juin .

Une crise économique est sur les rails pour les prochains mois, avec chômage de masse, fermetures d’usines et remise en cause du code du travail. À n’en pas douter, la bourgeoisie et ses laquais vont tenter d’imposer leurs conditions à la faveur d’un « tous ensemble pour la croissance ». Du côté des révoltes, la situation est imprévisible, comme à chaque fois… Attention, ceci est un message de rassemblement : les luttes sociales sont toujours parmi nous. Pour y participer, utilisez les gestes barrière contre le renoncement : éteignez vos téléviseurs, protégez-vous pour rejoindre les cortèges de rue et évitez les contrôles des forces de l’ordre. Ensemble, bloquons l’économie.

1 : Article de Frédéric Lordon, www.blog.mondediplo.net, 19/03/20
2 : « Contre la pandémie, l’écologie », Sonia Shah, Le Monde diplomatique, mars 2020.
3 : Selon Dun & Bradstreet.
4 : La casse du siècle, à propos des réformes de l’hôpital public, de Juven, Pierru et Vincent, Raisons d’agir, avril 2019. Frédéric Pierru, sociologue au CNRS, sera l’invité des Jeudis en question pour évoquer ce livre : RDV en septembre, dans le vallon de Marcillac, date et lieu à définir.
5 : Selon le recensement de www.rebellyon.info, 5 personnes mortes dans les commissariats, 3 tuées par balles, 2 suite à une poursuite routière, 2 en sautant dans le vide.
6 : Avec notamment le réseau covid-entraide.fr

Chroniques de confinement

J+8, André


Conversation avec André, 86 ans. Veuf depuis 2019, il vit seul dans un mini pavillon de la cité des Quatre-Saisons, près de Rodez. Il a la chance d’avoir un minuscule jardin. Sa femme Aline est enterrée à 20 km à Naves, petit patelin du Ségala.
« – Allo Papi, ça va ?
– Ah beh on fait aller… Y’a pas le choix hein. C’est une merde ce truc, faut faire gaffe.
– Tu arrives à t’occuper quand même ?
– Bah je jardine un peu… Je regarde la télé… Mais je peux même plus aller à la pêche. Y’a des pêcheurs chez toi ? Moi, je peux même plus pêcher. Et maintenant faut pas dépasser un kilomètre, la boulangerie elle doit être plus loin que ça mais bon… Le vendredi je vais aux courses… Bon… Et voilà… Voilà voilà… Bon… Je t’avoue que hier j’ai enfreint la loi pour le première fois de ma vie. J’ai été au cimetière à Naves, j’en avais MARRE ! MERDE !
– T’as quoi ?
– Ben j’ai mangé un peu plus tôt que d’habitude, j’ai attendu midi que les gendarmes aillent à la soupe, j’ai pris une attestation où j’ai écrit que je devais aller nourrir des poules, c’est pas vrai mais bon. J’ai pris la voiture et je suis allé au cimetière. Voir la mamie tu comprends ? Faut lui mettre des roses, puis j’ai besoin d’y aller. Et je suis rentré avant 14h, avant que les gendarmes aient fini le dessert, tu comprends ? J’ai vu personne, j’ai juste fait mon aller-retour pour aller voir la mamie.
– Ah ouais ? C’est bien Papi, t’as bien raison. Retournes-y dès que tu en as envie. Par contre faut que tu trouves une meilleure excuse que ton histoire de poules, c’est pas très crédible. Et la prochaine fois, ne prends pas ton téléphone, ils commencent à récolter les données GSM de tout le monde. En Italie, ils ont même mis des amendes à ceux qui ne respectaient pas les distances, ils s’en sont aperçus avec les données GSM justement.
– Dé qué ?
– Les données GSM, tu sais avec ton téléphone on peut savoir où tu es.
– Ah bon ? Ah d’accord, d’accord… Bon, de toutes façons, je m’en fous, je continuerai à aller au cimetière. MERDE !

J+14 Alice, jusqu’ici tout va bien

Alice a bientôt 90 ans, à part un genou qui l’embête, elle pète la forme. Depuis le décès de son mari, elle vit en maison de retraite. C’est elle qui a fait ce choix. « Au village, y’a plus un chat. Je m’emmerde ! Ici au moins, j’ai des copines. »
« – Allooooo ?

– Allo mémé, ça va ?
– Ha ma petite. Beh ça va. Mais on sort pas trop tu parles, c’est un peu spécial tu comprends. Ils ont tout chamboulé. À midi, y’en a qui mangent en haut, d’autres en bas. Chacun au bout d’une table. C’est spécial. On peut plus sortir, juste dans la cour. On peut pas se parler de trop près, tu comprends. Plus de visite non plus. Ni d’activités ! Je faisais la respiration avant, tu sais ? Pour se détendre. Là y’a plus rien. Fin bon, c’est comme ça. Faut faire preuve de patience.
– Les journées sont pas trop longues ?
– On peut plus jouer aux cartes ! Les cartes, on les tripote tout le temps. Baaah, je tricote. Je fais des chaussons, des nappes. Mais j’ai bientôt plus de laine, et la laine, elle est fermée tu comprends. C’est que c’est long quand même, je sais pas combien de temps ça va durer… Tu penses qu’il y en a pour longtemps ?
– Mouais, ça va encore durer un moment je pense…
– Et je sais pas… L’autre de Marseille, il parle bien de médicaments quand même. Je sais pas s’il est sérieux, tu le crois sérieux celui-là ?
– J’en sais rien mémé, d’ici quelques semaines ce sera plus clair.
– Tu te rends compte, plus personne travaille… Enfin bon, ça me dit rien de bon tout ça. Ça va être plus cher.
– Quoi donc ? La nourriture ?
– Oui, je commande la nourriture à l’épicier, tu comprends j’y vais plus. Je lui dis, mets moi des œufs bio, il en avait pas, alors je lui dis mets moi les œufs de merde, aux produits chimiques là. Enfin, y’a plus de farine, plus d’œufs bio. Il va manquer des trucs. Enfin moi je suis habituée, je m’en fous. Avant y’avait pas tout. J’en ai bouffé des topinambours avec le pauvre pépé je te dis. Mais… Ça va devenir cher, pour sûr !
– Peut-être…
– Et tu sais ils disent de pas s’approcher. Mais madame Rigal, dis-toi elle avait deux fils, un s’est pendu, l’autre est passé dans la botteleuse, alors elle a pas toute sa tête tu comprends. Elle oublie. Ben, aux aides soignantes je leur dis de la laisser tranquille, elle oublie c’est comme ça. Elle sort, c’est comme ça, on va pas l’enfermer chez elle, la pauvre femme quand même. Et monsieur Nouyrigat, il a l’Alzheimer, comment tu veux qu’il se souvienne qu’il faut pas qu’on regarde la télé côte à côte.
– Tu ne t’inquiètes pas trop ?
– Non mais ils ont fait n’importe quoi ! Ils s’en foutent des vieux, ça coûte de l’argent plus que ça en ramène. J’essaie de pas trop y penser, je me dis que les femmes organisent bien les choses ici. M’enfin ! On se rassure comme on peut ! Allez, je vais faire une soupe. À bientôt ! Et bonne santé !

J+21 Prof, mère, confinée

A. est professeur d’anglais dans un lycée de Rodez, elle a deux enfants de 4 et 8 ans.

« – Allo, ça roule ma sœur ?

– Mouais ça va… Je peux pas parler trop longtemps là, Diane est en train de jouer, elle me demande beaucoup, sans pouvoir voir d’autres enfants, faut toujours l’occuper quoi. CAMIIIILLE !! METS LE CASQUE POUR FAIRE DU VELO !! Ouais désolée, qu’est-ce que tu disais ?

– Rien, je voulais juste avoir de tes nouvelles…

– Bah, c’est bizarre quand même. Ça me fait flipper toutes ces interdictions, ça me manque de plus aller en terrasse boire des cafés. Puis, je suis enfermée avec les gosses, je deviens bête j’ai l’impression. Je joue au docteur toute la journée, c’est pas trop l’épanouissement intellectuel là. Les deux se cherchent sans cesse, j’ai pas un moment pour moi.

– Des nouvelles du lycée ?

– Ils me font rire avec le télétravail. Bonjour la concentration avec les enfants à garder. Je galère, il faut faire des évaluations, remplir des bulletins, corriger. Après, j’appelle les élèves un par un, sinon ils ne s’y mettront jamais. J’ai pas une minute je te dis.

– Waouh, ah ouais raide.

– Non mais il me fait rire Blanquer, il nous fait endosser le décrochage scolaire. Tu crois que j’ai le temps de faire l’école à mes enfants avec ce télétravail ? Télétravail où t’as l’impression de faire le minimum pour rassurer les consciences. DIANE ! NE CRIE PAAAS !!

– Et ton gars? Il est par là ?

– Attends, il y a eu le COVID dans la banque où il travaille, trois ou quatre de ses collègues l’ont chopé, il y a en a un en réanimation. Le stress. Du coup, il travaille dans une autre banque, et la semaine prochaine il passe en télétravail à la maison. On va être bien, deux à télétravailler, deux à faire des devoirs. Ça sent l’ambiance tendue à la maison. J’ai qu’une envie c’est de me barrer, mais même ça tu peux pas. CAAAMILLE !!! ATTENTIOOON ! Bon, je te laisse, il fait le dingue sur son vélo, faut que j’aille le surveiller. Ciao ma sœur, je te rappelle.