Numéro 8

Une 3ème antenne du planning en Aveyron

Depuis cet automne, un groupe de militantes a investi la permanence du planning familial à Saint Affrique, pour la rendre hebdomadaire. Ce mouvement féministe et d’éducation populaire né dans les années 60 milite pour le droit à l’éducation à la sexualité, à la contraception, à l’avortement, à l’égalité femmes-hommes et combat toutes formes de violences et de discriminations. Alors une antenne de plus dans le Sud-Aveyron, c’est forcément une bonne nouvelle. Entretien réalisé fin mai avec l’équipe de bénévoles, par écrans interposés.

Comment l’idée d’ouvrir une antenne du planning à St Affrique a-t-elle émergé ?

Nous nous connaissions déjà toutes, avec divers projets en commun. Nous avons découvert qu’il existait une permanence mensuelle tenue par une seule bénévole. De notre côté, nous étions déjà impliquées dans des projets féministes, festivals ou réunions non-mixtes, et le planning nous est apparu comme une solution pertinente pour s’ouvrir au-delà du milieu militant. On a donc repris cette permanence à l’automne 2019 en arrivant en nombre, on l’a réinvestie et rendue hebdomadaire.

Quelles sont les thématiques et les actions que vous souhaitez porter ?

Ce qui nous anime particulièrement, c’est la pédagogie concernant la sexualité dans une vision positive, les violences, les transidentités, les orientations sexuelles, les addictions et le rapport au monde médical. Concernant nos actions, nous sommes déjà engagées sur la permanence tous les mercredis, le numéro vert, des interventions auprès de scolaires, un partenariat avec le CADA [Centre d’Accueil de Demandeurs d’Asile] de Saint-Affrique, ainsi que des événements  (discussions, projections, présentations) comme la soirée autour de la sortie du livre Notre corps, nous-mêmes, annulée suite au confinement. Nous souhaitons aussi mettre en place des liens avec le monde médical. L’idée, c’est de proposer, dans la mesure du possible, des solutions aux personnes qui nous contactent qui ne soient pas forcément institutionnelles… mais de savoir les diriger vers ces structures quand c’est nécessaire. La priorité, également, c’est de pouvoir permettre à tout le monde d’avoir le choix dans ses méthodes, qu’il s’agisse de contraception ou d’IVG. L’un des aspects les plus importants de notre mission est d’accueillir les personnes en gardant une position de non-jugement. Ce n’est pas toujours le cas dans les milieux institutionnels, lors d’IVG ou même lors de simples consultations gynécologiques. On connaît l’attitude de certains médecins, sur un ton de « ah bah oui, fallait faire attention hein, vous vous attendiez à quoi ? », très moralisateur.

Ce projet a-t-il mis du temps pour se concrétiser ?

Nous avons eu accès directement à des locaux, situés place de la Gare, qui étaient déjà prêtés par la mairie de Saint- Affrique et ce fut un avantage indéniable pour démarrer l’activité. C’est néanmoins un projet qui est toujours en construction. Plusieurs d’entre nous sont en formation dans d’autres plannings pour devenir CCF (Conseillère Conjugale et Familiale) et en tant que bénévoles nous sommes en questionnement permanent sur notre manière de fonctionner et d’évoluer. Il faut également nous faire connaître, afin que des personnes, mais aussi des établissements scolaires par exemple, ou des événements, puissent faire appel à nous. Nous avons récemment eu un moment de creux, dû à une réquisition des locaux pour un tournage et ensuite l’épidémie de covid a mis en pause nos accueils physiques et les événements prévus. Nous étions en plein lancement, et les permanences commençaient juste.

En quoi l’existence du planning à Saint Affrique est-elle nécessaire pour vous, et à quels besoins cela répond-t-il ?

Disons qu’ici, ce n’est pas encore le désert médical mais le sable gagne du terrain. Les plannings les plus proches sont soit à Millau soit à Rodez, donc 1h ou 2h de route ! Et il n’existe pas de structures actuellement pour accueillir gratuitement et anonymement sur les questions de sexualités ou autres, et ça nous paraissait important d’en développer une. Aussi, c’est spécial ici, il n’y a pas la
possibilité d’avoir le choix des méthodes d’avortement à Saint-Affrique et les délais pour l’avortement sont plus courts que dans le reste de l’Aveyron. Dans certains coins, il n’y a plus de médecins et l’hôpital de St-Af’ est menacé de fermeture.

Bref, si nous au moins on peut faire de l’information pour envoyer les personnes aux endroits appropriés, c’est déjà ça. Mais l’idée n’est pas du tout de s’arrêter à Saint-Affrique, mais plutôt d’imaginer une forme d’itinérance pour couvrir une plus large partie du Sud-Aveyron ou des événements festifs, par le biais d’une caravane aménagée. Il y a aussi un vide (qui se retrouve nationalement) en matière d’éducation aux sexualités dans les écoles, sur l’apprentissage du consentement, etc. Ces actions nous tiennent aussi à cœur. Et plus généralement, le mouvement féministe mérite sa place partout.

Au niveau des interventions en milieu scolaire, certains plannings vous ont-ils inspirées ?

Nous nous sentons proches d’une approche que l’on appelle PRODAS, et qui est effectivement appliquée dans d’autres plannings. Le « Programme de développement affectif et social » se fonde sur un travail auprès des enfants et des adolescent.e.s, dès l’âge de 4 ans et tout au long de leur scolarité. L’objectif de ce programme est de développer les compétences psychosociales des enfants, des adolescentes et des adolescents, en favorisant le bien-être, l’autonomie et le vivre ensemble et en prévenant les comportements violents. Il s’agit d’une méthodologie basée sur l’expression des ressentis, conçue pour aider les enfants et les jeunes à se comprendre et se respecter eux-mêmes pour ensuite comprendre et respecter les autres. Le programme vise ainsi à favoriser leur autonomisation et leur responsabilisation.

Le Planning ne se contente pas de parler de gynécologie, de sexualité : le féminisme est l’un de ses fondements, en quoi s’exprime-t-il dans vos actions ?

Pour cela, on peut rappeler tout simplement les missions qu’on s’est fixées au Planning de Saint-Affrique :contribuer à renforcer la capacité des personnes à faire leurs propres choix en toute connaissance, qu’il s’agisse du domaine de la vie affective, relationnelle, santé sexuelle ou autre ; diffuser une vision féministe égalitaire pour la société ; dénoncer les violences et oppressions liées à l’orientation sexuelle (LGBTQI+) [pour Lesbiennes, Gay, Bi, Trans, Queer, Intersexe, + les autres] ; dénoncer les violences et oppressions liées au genre (femmes, transidentités, etc.) ; promouvoir une éducation à la sexualité positive, non sexiste et inclusive ; agir pour l’accès aux droits en matière de vie affective, relationnelle ou sexuelle ; favoriser une réflexion sur les contraintes sociales opérant dans la vie relationnelle et sur la santé des personnes.

Matérialiste, radical, intersectionnel, pro-sexe, abolitionniste, institutionnel… Les courants féministes sont multiples et s’entremêlent : de quels courants êtes-vous le plus proches, comment vous situez-vous, (ou pas) ?

Le Planning familial de Saint-Affrique défend une société égalitaire entre les personnes, qui sorte du système patriarcal, sans aucune forme d’oppression, violence ou discrimination. Politiquement, plutôt que de se coller des étiquettes, nous préférons affirmer notre proximité avec certaines thématiques, telles que les transidentités, le soutien aux travailleur.euses du sexe et le fait qu’on veuille véhiculer quelque chose de positif autour de la sexualité. On veut pouvoir accueillir toute personne peu importe son identité, sa religion, son genre, âge, milieu, etc. On cherche ainsi à adapter nos identités politiques personnelles et ce que l’on va véhiculer aux personnes que nous recevons. Par exemple, la contraception est une question hautement politique, et dans nos sphères militantes on aurait tendance à être contre la pilule, mais pourtant on va être amené à en parler à des personnes pour qui ce serait le moyen le plus adapté. On réinvente un peu notre vision, en gardant à l’esprit d’où l’on vient politiquement, mais en mettant de l’eau dans notre vin pour rester accessibles. En retour, toutes ces rencontres avec différents publics nous modifient aussi.

Quels sont les axes de travail pour véhiculer une « sexualité positive » ?

Quand on parle de sexualité positive, il s’agit plus d’une vision inclusive que d’un axe de travail. L’idée, même si l’on fait de la prévention IST/MST, c’est de ne pas limiter la sexualité aux vilaines maladies mais d’ouvrir la discussion sur des pratiques sexuelles, pouvoir parler de masturbation, voire même de techniques spécifiques. Bref, déconstruire la pudibonderie moralisatrice et hygiéniste du cours d’éducation sexuelle à l’ancienne. Pour cela, on compte sur notre discours mais aussi sur les événements que nous organiserons à l’avenir.


Pendant le confinement, il semble que les femmes ont rencontré beaucoup de difficultés pour accéder à l’IVG, que les violences conjugales ont augmenté. Quelle est la situation localement ?

Nous avons assuré la permanence téléphonique et nous avons commencé à prendre un créneau sur le numéro vert national qui permet à des personnes de bénéficier d’une écoute gratuite et anonyme. Nous étions plusieurs à être formées à ce type d’écoute avant le confinement, mais cela a réellement pris plus d’ampleur à cette période. Sur ces standards, il y a eu une nette augmentation des appels concernant l’accès aux centres médicaux et les moyens de contraception, ce qui peut avoir des répercussions en matière d’IVG plus tard. Le centre de planification de Saint-Affrique était fermé pendant le confinement, ce qui a créé des difficultés pour l’IVG et la contraception, notamment  pour les femmes sans papiers ou sans sécurité sociale. On sait que le confinement a dû poser aussi des problèmes spécifiques aux mineures. Enfin, étrangement, au début du confinement les appels concernant les violences intra-familiales ont baissé partout, mais on a noté une ré-augmentation à la fin. C’est sûrement dû au fait qu’il était plus difficile pour les femmes et les enfants d’alerter qui que ce soit. On sait que le 119 [Numéro vert pour les mineur-es victimes de violence] recevait jusqu’à un appel toutes les secondes.
De notre côté, à l’heure actuelle, les locaux du centre social ne nous sont accessibles qu’en inter- individuel pour les rendez-vous Nous allons donc mettre en place des permanences dans une caravane, tous les mercredis, devant le centre social qui héberge le planning habituellement. Une cantine solidaire s’est mise en place pour proposer de la nourriture, nous allons installer la caravane à leur suite pendant l’après-midi. On proposera une table de prévention ainsi que des entretiens.

Ces dernières années, on observe une montée des luttes féministes, certaines parlant d’une quatrième vague. En Aveyron, en plus de votre antenne du planning, un groupe de femmes a monté « l’Échappée Belle » à Marcillac-Vallon, s’ajoutant à d’autres associations existantes (les plannings de Millau et Rodez, l’asso « Affirmée » à Decazeville, etc.) Des festivals féministes ont eu lieu ces dernières années, il y a une émission à Radio Saint-Affrique, etc :  de quoi être optimiste pour la suite du combat féministe dans les parages ?

De l’extérieur ça peut paraître foisonnant en effet, mais la réalité, pour ce qui concerne le Sud-Aveyron, c’est que nous sommes une poignée de copines motivées et que nous sommes multitâches ! Certaines d’entre-nous sont liées à Radio Saint-Affrique, à l’organisation des discussions dites « Jeudi du genre », au festival Râlachatte ou encore au carnaval non-mixte de Saint-Affrique. Et on connaît les copines de Marcillac depuis le festival Ocytocine. Effectivement, nous avons de quoi être optimistes dans le fait que l’Aveyron, territoire rural, voit se développer un véritable réseau d’initiatives féministes. Des personnes nous rejoignent aussi régulièrement au planning. Bien que jusque- là, aucun mec cis [Le cisgenre est un type d’identité de genre où le genre ressenti d’une personne correspond à son sexe biologique, assigné à sa naissance ] ne s’est senti de nous rejoindre ou n’a manifesté de l’intérêt pour le planning. La sexualité concerne pourtant tout le monde et notre groupe ne s’est jamais affiché comme non-mixte.

Pourquoi à votre avis ? D’ailleurs, n’est-ce pas mieux ainsi, afin de laisser cette place aux femmes ?

Il y a plusieurs raisons à cela. Localement, le groupe que nous constituons a été à l’initiative de plusieurs événements non-mixtes, et il y a probablement eu un transfert dans l’imaginaire, de se dire « oh, encore une initiative de meufs en non-mixité », sans que cela soit discuté publiquement pour autant. Et il y a une grande part de clichés dans cette non-mixité malheureusement. On est dans le domaine du soin, de l’écoute, des sujets « tabous »… Alors c’est les femmes qui s’y collent une fois de plus. On est à deux doigts de l’essentialisme. Cela se vérifie également dans les autres plannings, pour celles d’entre nous qui sont en formation CCF (Conseillère Conjugale et Familiale) : que ce soit à Grenoble ou à Marseille, il n’y a qu’un seul homme en formation sur une trentaine de personnes. En soi, se retrouver en groupe non-mixte, on a l’habitude, mais ce qui est problématique, c’est que jusqu’à présent, aucun homme n’a même posé la question de savoir si c’était mixte ou non. Car dans l’imaginaire collectif, ça l’est… sans même que cela ait besoin d’être questionné, car ça touche à l’intime, au domaine du sensible, on imagine la scène de l’adolescente en pleurs à qui il faut tendre un mouchoir et à qui il faut parler doucement. Bref, ça fait peur. Et il y a également cette idée tenace que le Planning ne se concentre que sur l’IVG et la contraception, questions donc uniquement féminines ! (ironie) Y a-t-il un intérêt à ce que cela soit non-mixte ? La question est donc à double tranchant. Oui, il y a une forme de confort à s’organiser de cette manière et à mener un projet de A à Z entre femmes, mais cela signifie aussi qu’encore une fois, ce sont les femmes qui prennent en charge le soin, se questionnent ensemble sur la contraception, etc. On reste dans une répartition genrée. De plus, de ce qu’on en perçoit, les hommes cis hétéros que nous côtoyons échangent peu entre eux sur les questions de sexualités. Ils le font volontiers avec leurs copines, amies, amantes…mais entre eux, peu. Il serait aussi temps que cette tendance change et que tout le monde se sente concerné.e par les questions liées à la sexualité.

Contacts : 07 67 16 81 41 ou https://www.facebook.com/Planning-Familial-Saint-Affrique-La-Permanence-103405341149304/