Numéro 5 régional

« Chaque été est un défi »

J’avais découvert leurs plumes incisives et poétiques dans Carnet de bergères, paru en 2019. Dès lors, elles ont continué chaque été à mener les brebis paître sur les estives. Elles ont également constitué avec d’autres le premier syndicat de bergers dans les Pyrénées. Dans une maison ariègoise, face aux montagnes enneigées, j’ai rencontré Marion Poinssot et Violaine Steinmann. Fragments d’une interview au coin du feu.

Comment l’idée de devenir bergère a-t-elle fait irruption dans vos vies ?

 

VIOLAINE : Je vivais à Lille lorsque j’ai décidé de quitter la ville car je ne pouvais plus supporter la violence économique et sociale. Je suis arrivée en Ariège et dans un premier temps, j’ai alterné des boulots agricoles avec mon travail de marionnettiste. Puis c’est devenu de plus en plus compliqué de rester intermittente, et à vrai dire, j’en ai eu marre des artistes. J’étais un peu perdue je ne savais pas quoi faire de ma peau. Je suis allée voir mon voisin qui avait des vaches limousines et une cinquantaine de brebis et je lui ai demandé si je pouvais faire un stage chez lui. Il a trouvé que j’avais la fibre avec les brebis et m’a demandé si j’avais déjà pensé à devenir bergère. Alors, j’ai tenté la formation de berger-vacher à Saint-Girons. J’étais la plus vieille de la formation et j’avais la trouille d’être trop grosse, il n’y avait que des mecs assez costauds. Ce qui m’intéressait au départ c’était les chiens. Vivre en totale liberté avec eux, c’était ça mon fantasme. Au début je n’étais pas sûre d’aimer les brebis. Mais c’est un genre de virus, et c’est devenu un amour obsessionnel qui s’affirme aujourd’hui.

MARION : C’était un rêve d’enfance. Quand on partait en rando avec mes parents et qu’on croisait des bergers, cela me fascinait. Par la suite j’ai fait des études d’agronomie et des stages dans des élevages de brebis. J’aimais cet animal et j’avais envie de le côtoyer. J’ai ensuite travaillé dans le milieu associatif au Mexique et en Aveyron, autour des questions d’installation agri-rurale et des projets atypiques collectifs. Ce sont des sujets intéressants mais au bout de quelques années, je me suis sentie dans une situation d’imposture : j’accompagnais des dynamiques avec lesquelles je n’étais pas partie prenante. C’était un travail très réflexif avec beaucoup de réunions et d’ordinateur et j’avais besoin d’être dehors. Alors j’ai changé de lieu de vie, j’ai fait une première saison dans les Alpes puis je suis arrivée en Ariège.

Y a-t-il eu une dissonance entre l’image fantasmée que vous aviez de ce métier et la réalité du travail sur le terrain ?

MARION : Lors de ma première saison en tant qu’aide-bergère, je sortais d’une rupture amoureuse et cela m’a beaucoup aidé car il fallait que je m’occupe les mains et l’esprit. Il fallait surmonter cette épreuve de la vie, et être dans l’apprentissage était un bon moyen. J’ai dû apprendre l’exigence du quotidien, d’un cycle qui recommence tous les jours pendant quatre mois. Tu ne quittes pas ton lieu de travail, tu vis et tu dors avec. Chaque été est un défi et il faut arriver au bout. Au fil des années, on apprend à connaître notre marge de manœuvre et nos ressources dans les moments de galère.

VIOLAINE : L’apprentissage est assez douloureux car on est sans cesse face à des choix, ce qui peut être stressant mais aussi merveilleux car chaque choix a une incidence sur le reste de la journée. Ma découverte du métier, c’est cette rencontre avec les brebis. Et puis, ce que j’ai trouvé et que je n’imaginais pas avant, c’est le luxe de faire une seule chose à la fois. Le téléphone qui ne marche pas trop, être coupé d’internet, permet de se concentrer sur une activité. Cela fait un bien fou à la tête et comme le corps est aussi engagé, toutes les émotions sont exaltées. Aujourd’hui j’ai besoin de cela pour ma santé mentale, de m’isoler de ce bruit permanent de la vie connectée, des nouvelles tristes.

Y a-t-il des particularités, des discriminations ou des difficultés inhérentes au fait d’être une femme dans ce métier ?

VIOLAINE : Les préjugés peuvent amener deux types de discrimination : l’une « positive » et l’autre négative. D’un côté, j’entends des éleveurs dire « je ne veux que des bergères parce qu’elles sont sérieuses ». Et puis on est censées être bonnes en soins vétérinaires. Les préjugés négatifs sont liés à un manque supposé de force physique : « comment tu vas faire pour les soigner au parc, est-ce que tu vas réussir à les retourner ? » Sinon, on a une amie à qui on a fait comprendre qu’elle ne serait pas reprise parce qu’elle était enceinte. Ou bien c’est arrivé à une amie d’être harcelée par un type et de porter plainte. Moi, ce que j’ai vécu c’est plutôt des regards lourds, lorsqu’on se retrouve au parc de tri et que tu dois attraper une bête, il y a des mecs qui s’installent du bon côté de la barrière pour mater tes nichons quand tu es penchée.

MARION : Je me défends un peu de cette approche par le genre parce que je n’aime pas être mise dans une case, même si ce sont des questions que je me pose. J’ai plutôt eu l’impression d’avoir des employeurs qui ne faisait pas de distinguo. Il y a quand même à notre époque beaucoup de femmes bergères qui ont réussi, même si on reste minoritaires. Là où je m’interroge c’est quand je commence à faire autorité, quand je conteste ce que dit mon employeur. Il y a quelques fois où j’ai dû négocier des choses sur des histoires de brebis, de boulot, de technique et je me suis demandée si cela passait moins bien parce que j’étais une femme. Aussi, j’ai travaillé trois ans sur une estive avec un ami. On est arrivés avec le même statut, la même ancienneté, la même expérience. Puis, un nouveau berger est arrivé pour le remplacer. Les éleveurs lui ont dit d’appeler mon ami pour les explications concernant les détails techniques liés à l’estive et aux brebis, et de m’appeler pour les questions d’intendance et de bouffe. Ça m’a foutu les boules, après trois ans de travail !

VIOLAINE : C’était ma quatrième saison sur la même montagne et c’était la première de mon collègue. J’avais bataillé au fil des années pour avoir un bon salaire, ça avait été compliqué… Il a juste dit « moi je veux être payé comme Violaine ». Un des éleveurs a protesté en lui demandant quel niveau d’expérience justifierait ce salaire. Il a juste répondu : « je suis un bon berger » et c’est passé, il a eu le même salaire à sa deuxième saison que moi au bout de quatre ans. C’est la « mâle assurance ».

L’estive est un moment particulier dans le processus de l’élevage, et reste conditionné par les logiques de l’économie pastorale moderne. Vous n’avez pas de prise sur ce qui se passe avec les brebis avant et après. Comment vivez-vous cela ?

MARION : Cela dépend des pratiques des éleveurs. Ici en Ariège, la plupart sortent leurs brebis toute l’année. Ils les gardent ou ils les parquent en extensif sur ce qu’on appelle des parcours. On reste sur des exploitations familiales, même s’il y a quelques exceptions. On pourrait trouver une cohérence en faisant tout de A à Z mais on a choisi de ne pas être de l’autre côté, de ne pas être éleveuses.

VIOLAINE : Avec la PAC, les éleveurs sont dans une économie artificielle, le modèle économique n’est pas basé sur le fait qu’un agneau vaut tant et doit être vendu tant. Avant on encourageait les éleveurs à produire, il y avait une intention politique de fabriquer de la nourriture. Maintenant c’est la surface agricole qui décide du montant des primes, avec derrière cette idée de service rendu à la société pour l’entretien des terres. Les éleveurs peinent parfois à trouver du sens, ça modifie le rapport à l’animal.

En Ariège, il y a de nombreux ours, comment cela impacte-t-il votre travail ?

MARION : On peut dire que les Pyrénées Ariégeoises sont une zone particulièrement difficile pour les estives, par rapport à des vallées plus ouvertes comme dans les Alpes où l’on peut plus facilement anticiper le mouvement des bêtes, voir ce qu’il se passe. Ici, il y a beaucoup de dénivelés, de cailloux, des recoins où les bêtes peuvent se planquer ainsi que de la pression des prédateurs. La prédation dans la montagne est l’un des paramètres qui a un peu déformé l’économie de l’élevage. Elle est reconnue comme un dommage pour l’éleveur, et il n’est indemnisé que si l’expertise est validée et pour cela le berger doit être présent. Il faut prouver que des moyens de protection ont été mis en place, à savoir le regroupement nocturne (parquer les bêtes la nuit), avoir des chiens de protection ainsi qu’une présence humaine.

VIOLAINE : On doit laisser les 500 brebis vivantes pour aller assister à l’expertise des deux bêtes mortes. Ça rajoute une demi-journée de boulot et après il faut rattraper le fait d’avoir laissé le troupeau. C’est beaucoup d’emmerdes pour lesquelles tu n’es pas payé plus. Le nombre de bêtes prédatées dépend des montagnes, l’année dernière j’ai gardé en cœur de « zone ours », et on a fait une dizaine d’expertises dans l’été, c’était peu par rapport aux années d’avant.

Cela change-t-il la relation avec les éleveurs qui vous laissent leurs brebis ?

MARION : C’est vrai qu’on n’est pas contentes si à la fin de la saison il y a 50 brebis qui se sont faites bouffer par l’ours. Pendant quatre mois c’est ton troupeau et tu as toujours les boules de voir des bêtes mourir. Et puis c’est ton travail qui est en jeu, même si les éleveurs sont conscients que ce n’est pas parce que le berger n’est pas loin qu’il n’y aura pas de prédation.

La première chose que font les éleveurs lorsque l’on descend de la montagne, c’est de regarder l’état des bêtes et de les compter. De voir le nombre de manquantes et combien à cause de maladies, d’accidents ou de prédation. C’est là-dessus qu’on juge ton travail.

VIOLAINE : Il y a aussi les brebis disparues et là c’est plus compliqué. Pour qu’il y ait expertise, et donc indemnisation, il faut un corps. Aussi, il y a une histoire de délai car d’autres animaux passent et viennent charogner les carcasses. On nous disait de nous balader toujours avec une bâche, pour pouvoir couvrir les corps des bêtes afin de préparer l’expertise, et ça rajoute encore du boulot.

Ça n’a pas l’air de vous enchanter de parler des problèmes de prédation…

VIOLAINE : La parole des bergers est instrumentalisée par les médias, et c’est très agaçant. On a eu plusieurs fois affaire à des journalistes qui ont des attitudes ambivalentes : d’un côté ils veulent qu’on leur renvoie une carte postale idéale, qu’on prenne des poses au milieu des brebis. Et de l’autre que l’on parle uniquement de prédation, donc tous les autres sujets sont éludés. Alors oui la prédation ça prend de la place dans nos vies mais il n’y a pas que ça. C’est l’arbre qui cache la forêt. On focalise sur l’ours pour ne pas parler du saccage généralisé de nos territoires. Ces discussions ne sont pas un levier et nous, on préfère parler de nos conditions de travail. Et puis, on en a marre d’être des objets parlés et pas des sujets parlants. On entend beaucoup chez les éleveurs et dans les institutions, « les bergers ceci, cela », comme si on n’avait pas de parole propre. Le fait de mettre la prédation au centre de tout c’est une parole d’éleveur.

MARION : De manière individuelle, chacun peut avoir son point de vue sur la prédation. Dans notre livre Carnet de bergères (*) dans le chapitre « la sauvagerie est morte », on s’interroge sur pourquoi le retour des grands prédateurs est vendu comme le retour du sauvage. Mais dans nos paroles collectives, par exemple avec notre syndicat, on met un point d’honneur à essayer d’évacuer ce sujet-là, on n’a pas à se positionner pour ou contre l’ours.

En l’occurrence, pour l’instant nous travaillons sur des montagnes prédatées, point. Alors qu’est-ce qu’on fait en tant que berger pour que ça ne nous plombe pas nos saisons ? La prédation ça nous rajoute de la contrainte administrative et beaucoup de boulot dans un contexte de conditions de travail déjà compliquées.

Le travail de berger coche à peu près toutes les cases de l’emploi précaire : des contrats saisonniers pas forcement renouvelés, une rémunération dérisoire si on la ramène aux heures réelles effectuées, l’isolement géographique, peu ou pas de confort et une astreinte quasi-permanente. Pour défendre vos droits, vous avez créé il y a deux ans le SGT 09, Syndicat des gardiens de troupeaux 09. Comment ce besoin a-t-il émergé ?

VIOLAINE : On faisait partie depuis quelques années d’une association de pâtres, avec laquelle on avait organisé des « journées prédation » qui consistaient à échanger autour de ce qu’avaient vécu les bergers par rapport à l’ours. On s’est retrouvé face à des discours où des bergers nous expliquaient qu’ils n’avaient pas été payés pendant deux mois, mais que connaissant la situation difficile des éleveurs, ils pouvaient comprendre. Il y avait un positionnement hyper glissant dans les témoignages, qui sous-entendait « les éleveurs sont nos potes ». On a commencé à travailler sur ces rapports de subordination en affirmant « non, on est sous contrat, et les patrons ont reçu des subventions pour nous payer. Et on a des droits. »

MARION : Le syndicat est plus ou moins né au sein de l’association. À ce moment-là, on avait un débat interne un peu compliqué car on voulait garder une bonne relation avec les institutions. Cela nous permettait de déclencher des partenariats pour financer entre autres des formations. Mais cela devenait contradictoire avec le besoin que l’on ressentait de taper du poing sur la table pour parler de nos conditions de travail. Aujourd’hui, l’association et le syndicat coexistent avec des missions bien distinctes. Il y a 90 postes en Ariège de bergers-vachers et pour l’instant on est une quinzaine de syndiqués. On a décidé de s’affilier à la CGT pour des raisons juridiques, puisqu’elle siège aux commissions paritaires.

Quelles sont les actions concrètes menées par ce syndicat ?

VIOLAINE : Le principal moment où les bergers ont besoin d’un syndicat qui les soutient c’est pendant la période d’estive, et le souci c’est que c’est le moment où l’on bosse à peu près tous. Dans certaines montagnes, on galère aussi avec le réseau téléphonique mais on essaye de soutenir les gens qui sont en difficulté. Cela nous a beaucoup aidé à rompre l’isolement, à parler entre nous de notre métier. En tant que syndiqués on se sent renforcés, c’est plus facile de définir un discours commun à tenir face aux éleveurs, de se sentir légitimes pour poser des choses sur les conditions de travail et les salaires. Je me suis aussi battue pour un collègue dans une montagne à côté pour qui l’estive s’était mal passée. Le fait que je sois syndiquée a pesé dans la balance et a permis qu’il soit payé correctement sur l’ensemble de son contrat. Sinon personnellement, j’ai eu une saison qui s’est mal passée avec une collègue. La saison suivante, j’ai mis un gros coup de pression par écrit aux éleveurs, afin d’établir des fiches de poste pour définir le travail de chacun. Ils ont pas du tout aimé mais ils ont dû le faire. Ils ont aussi rallongé mon contrat de travail en prenant en compte la coordination de l’estive qui me prenait beaucoup de temps et que je faisais bénévolement jusqu’à présent.

MARION : Maintenant le syndicat existe dans le paysage ariégeois et tout le monde sait qu’on est là. Et ça crée un rapport de force lors des négociations avec les groupements pastoraux. Il y a des rapports de subordination ancrés, liés aussi à l’imaginaire autour du métier de berger qui considère que nous sommes endurants, vaillants, adaptables à toutes les conditions. Mais les lignes bougent, il y a des choses qui commencent à se mettre en place, par exemple pour créer des postes de remplaçants. Comme ça il est possible de prendre le jour de repos par semaine ou les congés (deux jours et demi par mois). Jusqu’ici c’était très rare de les prendre car on n’avait pas les effectifs, ou bien cela pesait beaucoup trop sur les collègues.

Comment le syndicat se positionne-t-il par rapport aux institutions ?

VIOLAINE : Cela nous a pris beaucoup de temps et d’énergie mais on s’est dit que pendant deux ans il fallait que l’on soit partout. On a été avec la DDT, avec la fédération pastorale, avec la MSA, on participait aux réunions de manière systématique, toujours avec les mêmes discours, les mêmes revendications. On tapait du poing sur la table à propos des questions sur la prédation, de l’état des cabanes et des conditions de travail. On revenait trois mois après avec les mêmes arguments. Depuis deux ans, rien de change, cela n’a aucun impact. Ils ont notre point de vue mais ils ne nous considèrent absolument pas.

MARION : Une nouvelle convention collective nationale a été pondue l’année dernière, elle arrive comme un cheveu sur la soupe et concerne tous les salariés agricoles et de l’agro-alimentaire. Avant en Ariège, il y avait un avenant spécifique pour les bergers qui nous favorisait, issu d’une dynamique qui avait eu lieu il y a longtemps. Le secrétaire général de notre syndicat s’est associé à la fédération régionale pour aller en commission paritaire et tenter d’amender cette nouvelle convention. Et puis deux nouveaux syndicats ont été créés en Haute-Garonne et dans les Hautes-Pyrénées. Ça fait tache d’huile.

Vous envisagez des actions intersyndicales ?

VIOLAINE : Il y a un état des lieux de la salubrité des cabanes qui est en train d’être fait, porté pour l’instant par le syndicat de Haute-Garonne. Même s’il y a pas mal de cabanes qui ont été refaites ces dernières années, la situation est très hétérogène. Sur la salubrité, il y a ce que dit la loi et ce que dit le bon sens. Le minimum c’est d’avoir des chiottes sèches abritées, un endroit pour loger les chiens, un endroit de stockage du matériel vétérinaire, et que ce soit suffisamment chauffé et spacieux à l’intérieur. Pouvoir avoir un minimum d’intimité si on est deux, une douche chaude dans au moins une des cabanes, de quoi faire à manger décemment et une source d’électricité. Beaucoup de cabanes ne remplissent pas ces fonctions.

MARION : En parallèle, on élabore un questionnaire plus général sur les conditions de travail et on a prévu des réunions intersyndicales sur le sujet. On élabore aussi un manuel d’autodéfense qui explique comment s’informer sur son poste, ses droits et les conditions de travail, booster la culture de la solidarité pour sortir de l’isolement, et aussi donner une version vulgarisée de cette fameuse convention collective. Enfin, cela faisait des années que l’association des pâtres revendiquait de pouvoir intervenir dans la formation des bergers (il existe une formation au métier de berger/vacher au CFPPA de St Girons). Aujourd’hui avec le syndicat on espère aussi réinstaurer cette journée d’information syndicale obligatoire auprès des apprentis bergers. Il y a quand même des difficultés liées au turn-over : les gens font berger pendant quelques années puis arrêtent. Cela n’aide pas à se battre pour ses droits car on n’exige pas quelque chose dès la première année. Je ne sais pas quelle est la moyenne, mais je pense qu’il y a pas mal de bergers qui ne dépassent pas trois ou quatre saisons.

Vous allez continuer à faire des estives ?

MARION : Ça fait huit ans que je suis bergère et deux ou trois ans que la solitude me pèse de plus en plus. Avant j’aimais bien, cela me nourrissait, maintenant j’y vois une perte de sens : pourquoi passer autant de temps seule, dans des conditions difficiles ? La vie c’est avec les autres.

VIOLAINE : Oui, moi je continue, après avoir passé quatre ans sur la même estive, j’ai postulé pour la prochaine saison sur une nouvelle montagne.

Propos recueillis par Chispa / Linogravure : Pierrô

* Marion Poinssot et Violaine Steinmann ont publié en 2019 Carnet de Bergères, aux éditions le Pas d’oiseau. On vous encourage vivement à découvrir ce bel ouvrage qui mêle réflexions sur la vie en montagne, récits intimes, contradictions et jubilations, dans le but avoué de nous convertir au « brebisme ».