Numéro 2 régional

A tout moment, La Dépêche peut basculer dans la violence

Le média en ligne Chouf Tolosa s’est récemment penché sur la violence symbolique du quotidien de M. Baylet envers le quartier toulousain de la Reynerie (1). Ils et elles ont épluché et classé pas moins de 1813 articles traitant du quartier entre 2005 et 2015. Les catégories « négatives » (violence urbaine, délinquance, drogue et radicalisme religieux) représentent 43% des papiers. Quant aux « nombreuses associations où un nombre important d’événements culturels ou sportifs ont lieu chaque année », ils n’occupent que 18% des articles. Médiacités Toulouse a pris en main le sujet (2), et son comptage est similaire pour la partie négative, mais en englobant « les actualités associatives, culturelles et sportives », les actualités « positives » montent à 31%. Ils ont ensuite étudié la période 2016-2020, avec 954 articles citant la Reynerie, dont près de 55% qui évoquent « les problèmes de drogue, de terrorisme, les violences urbaines, les faits divers et les condamnations en justice ». A l’inverse, les « articles de société (école, environnement, associations, culture) » pointent à peine à 34%…

Ce n’est pas une surprise, La Dépêche a depuis longtemps consacré une bonne partie de sa rédaction aux faits divers. Il n’y a qu’à ouvrir ladepeche.fr pour être abreuvé d’un double meurtre, d’une sortie de route ou d’un trafic de cannabis. Et ce n’est pas la nouvelle « série de podcats sur les crimes d’Occitanie » qui va nous faire mentir : ne mourez-vous pas d’envie de savoir pourquoi une jeune femme a été plongée dans un bain d’acide en 2015 ? A cette appétence pour le sensationnalisme morbide, s’ajoutent ici un mépris, des préjugés et une méconnaissance du quartier de la Reynerie par les journalistes de M. Baylet. Chouf Tolosa montre que les poncifs de « quartier chaud », « dur » ou « à problème » pouvant « basculer dans la violence à tout moment », sont régulièrement utilisés par le quotidien. Quand ce n’est pas « la sinistre Reynerie », une infantilisation de ses habitant-es qui « boudent » la dernière élection, ou encore des images à répétition de jeunes en bas des tours HLM pour illustrer toutes sortes d’articles « négatifs ». Des territoires saturés de trafics et de violences, des zones de non-droit que la police doit reconquérir, voilà le prisme à travers lequel les journalistes de la Dépêche abordent ce type de quartiers populaires. Il n’y a donc aucune raison pour qu’il ne continuent pas « à nourrir une image anxiogène des quartiers », selon Chouf Tolosa.

De son côté, Médiacité s’est baladé dans le quartier, et les habitant-es rencontrés ont le même discours : oui, le quartier est violenté… par La Dépêche, qui déforme la réalité de leur quotidien. Selon une participante au Reynerie Miroir, un journal réalisé par les habitant-es et tiré à 1500 exemplaires, « les violences urbaines et la drogue, c’est seulement 5 à 10 % des actus qu’on écrit sur le quartier », ajoutant : « c’est dommage de ne pas parler de toutes les autres initiatives associatives et culturelles qui font réellement la vie du quartier. » Dans leur dernier numéro consacré aux arts et aux artistes sur le quartier, l’équipe du journal est parvenu à remplir vingt pages sur le sujet. Reste à savoir s’il faut en faire part aux petites mains de La Dépêche, ou si c’est comme demander à Valeurs Actuelles de publier une tribune de collectifs anti-racistes…

Emile Progeault

1 : « La Reynerie au grill de dix ans de Dépêche », www.chouftolosa.info, 20/01/21.

2 : « La Reynerie, un quartier maltraité par La Dépêche du Midi ? », www.mediacites.fr, 05/04/21.