Numéro 6 régional

A Sète, des habitant.es défient le gros poisson

Le maire, François Commeinhes, est tombé sur un os en imposant un projet de parking souterrain qui doit éventrer la place Aristide Briand, lieu de socialisation historique des habitant.es de la ville. L’autocrate habitué des tribunaux n’a pas vu le vent tourner et a sous-estimé l’ampleur de la mobilisation populaire. Rencontre avec des membres du collectif « Bancs Publics », déterminés à préserver l’âme de leur cité contre vents et maire.

Ce jour-là, la place Aristide Briand ne fourmillait pas d’enfants en trottinette ou jouant au ballon, de badauds s’abritant de la chaleur à l’ombre des magnifiques tilleuls argentés, et les terrasses n’étaient pas remplies, comme je le fantasmais, de pastis et de tielles. Une pluie diluvienne avait rendu la ville déserte. J’avais rendez-vous avec François Piettre, habitant de cette esplanade centrale de Sète, et Christophe Lalia, professeur au lycée de la mer. Tandis que l’on pouvait voir à certains balcons des banderoles NON AU PARKING : « faites sur mesure, chez l’habitant.e. Il suffit de donner son numéro lors des occupations de la place tous les samedis et deux personnes viennent concevoir l’écriteau dans votre salon », les deux complices m’ont tout d’abord raconté ce qui fait l’âme de leur ville.

Sète, île portuaire

La ville se construit sur l’axe commercial du canal du midi, au cours du XVIIe siècle. Elle est cosmopolite avec une immigration venant d’Italie, d’Afrique du nord, du Languedoc et plus tard de Catalogne. Populaire et rebelle, elle est souvent mise en opposition avec la bourgeoise Montpellier. Ce port de tonneliers, commerçant les vins du Languedoc, réunit une grande population d’ouvrier.es mais aussi de négociants. « C’était le premier port de vinasse en France », me souffle François. À cela s’ajoute la communauté semi-sédentaire des pêcheurs à la traîne. Ces travailleurs vivant l’hiver dans des baraquettes sur les hauteurs de la colline, partaient dormir sur les plages du Lido pendant la saison de la pêche.

Loin de cette carte postale surannée, aujourd’hui Sète conserve une identité forte, et les quartiers populaires de La Pointe courte et du Barrou résistent encore à l’invasion de villas barricadées et vidéo-surveillées, contrairement aux quartiers du haut de la colline. Comme dans de nombreuses villes françaises, les élus et les promoteurs organisent une gentrification exponentielle qui a pour conséquence la mise au ban des habitant.es les plus précaires. Certes, le parc de logements insalubres existant est important, notamment sur le haut de la Place et vers la rue de la Révolution. Mais cette nécessité de rénovation sert de prétexte aux pouvoirs publics, pour imposer des politiques d’urbanisme excluantes, et redessiner la ville jusqu’à la lisser de toutes ses aspérités. Se préoccupant peu du bien-être des habitant.es, les élus cherchent la manne du tourisme consumériste et ses retombées économiques. Et pour cela, il faut remodeler la ville et construire de nouvelles infrastructures.

Traversée par des canaux et entourée par la mer et l’étang de Thau, Sète ne possède que trois entrées pour 45 000 habitant·es. Le projet de parking souterrain géant impulsé par la mairie prétend remédier à l’asphyxie causée par les véhicules dans le centreville. Ce n’est pas l’avis du collectif Bancs Publics qui estime que cela entraînera un afflux encore plus grand d’automobiles dans le centre et ne constitue pas une solution à long terme. Les enjeux autour de l’aménagement de la place Aristide Briand sont concrets et c’est pourquoi le collectif défend bec et ongles ce lieu, point de rencontre de toutes les classes sociales, incarnation de l’essence même de la ville.

Bousiller le symbole

Cette place est l’agora de la ville avec son kiosque central, un manège, une fontaine, une aire de jeux pour enfants et un alignement d’arbres remarquables (1) composé de soixante-treize tilleuls argentés, d’un magnolia et d’un acacia… Ce lieu emblématique a toujours rassemblé les habitant·es pour célébrer ou pour manifester, pour se reposer et pour flâner, et accueille de nombreux événements, marchés et brocantes. La place Aristide Briand est l’endroit où jouent les enfants des quartiers populaires, tandis que prolos et bobos sirotent des verres en terrasse. C’est une esplanade comme on les aime et comme il en reste peu, multiculturelle et vivante.

La mairie a pourtant décidé d’y construire un troisième parking souterrain avec 300 places de stationnement sur deux niveaux enterrés. C’est sans compter que le centre ville a déjà deux parkings qui, selon les relevés et les photos mises en ligne par le collectif Bancs Publics, sont aux trois quarts vides, dix mois sur douze. Malgré cela, la mairie tente d’imposer ce chantier titanesque (30 000 mètres cubes de terre à évacuer) avec plus de trois ans de travaux. Force est de constater que ce méga-projet contrevient en tout point au plan d’aménagement et de développement durable (PADD) précédemment voté par les élus et qui prétendait diminuer l’emprise de l’automobile dans le centre et développer des mobilités douces et collectives. Mais ce qui se joue ici va au delà d’une question de convictions écologiques ou de promesses politiques non tenues. Avec Commeinhes et son équipe, on verse franchement dans l’illégalité : les travaux de la place ont été annoncés sans obtention du permis de construire, ni même du permis de démolir et sans demander la modification du Plan Local d’Urbanisme (PLU). Or ce document classe les arbres de la place comme alignement d’arbres remarquables, protégés par le code de l’environnement. Les travaux du parking impliquent pourtant le déracinement de 51 des 76 arbres, considéré comme acté par l’équipe municipale qui a déjà fait creuser par anticipation 50 trous pour replanter les tilleuls argentés sur un terrain vague à coté du stade Louis Michel, sans autorisation ni arrêté municipal (2).

Si les habitant.es de Sète sont d’une grande vigilance, c’est qu’ils et elles sont habitué.es aux agissements autoritaires de leur maire, François Commeinhes (cf ci-contre) qui utilise ses multiples casquettes et réseaux d’influence pour faire passer ses projets, faisant fi de l’avis des citoyen.nes comme des enquêtes publiques. De plus, concernant les parkings, les cas d’école ne manquent pas : le parking Victor Hugo construit il y a moins d’un an dans le voisinage de la place a vu son second niveau fermé pendant de longs mois à cause de fortes inondations (3). Pour le nouveau projet du « Parking Stalingrad Aristide Briand », le collectif Bancs Publics soupçonne la société publique locale du Bassin de Thau (SPLBT), dont François Commeinhes est également le président du conseil d’administration, d’avoir dicté l’étude environnementale qu’elle a fait réaliser. La contre expertise que le collectif a réalisée, révèle qu’il s’agit d’un écosystème fragile et que de l’eau circule sous la place, à plus de 6 mètres de profondeur, compromettant la sécurité du futur parking et explosant le budget des travaux.

L’arbre qui cache la forêt

Ce projet a tout d’un scandale environnemental, économique et social mais il permet au moins de faire éclater aux yeux de tous et toutes une politique municipale mortifère et excluante. Derrière ce projet d’un centre ville soi-disant sans voiture, c’est en fait une ségrégation spatiale et sociale qui se dessine. L’élue d’opposition Laura Seguin s’est exprimée à ce sujet lors d’une réunion du conseil municipal : « Ces projets ne tiennent pas compte [de l’]impératif de justice sociale, puisqu’ils seront des parkings payants, et que le quartier Victor Hugo par exemple deviendra intégralement payant. M. Commeinhes a lui-même reconnu en réunion publique que les plus riches pourront continuer à se garer au cœur de ville, et que les plus pauvres sont destinés à se garer ailleurs, loin du centre-ville… Il répète également qu’ils ne coûteront pas un centime aux habitants, mais c’est un mensonge ». En effet, les habitant.es devront assumer le coût de ces infrastructures, et même plusieurs fois ! Premièrement car le parking sera payant, ensuite car la SPLBT est une société publique dont le capital de départ à été constitué par la ville de Sète et l’Agglo (et donc par les impôts des contribuables) et enfin car le conseil municipal a voté que la municipalité se portera caution à 50% pour l’emprunt de 8 800 000€ souscrit par la SPLBT auprès du Crédit agricole (5). Un dépassement du budget initial ou le moindre contretemps ou aléa dans les travaux, et ce sont les Sétois.es qui devront passer à la caisse…

En excluant économiquement du centre les classes populaires qui devront aller vivre à Balaruc ou encore à Frontignan, les ingrédients sont réunis pour passer à la vitesse supérieure d’un processus de gentrification déjà enclenché. Ne restera alors que des passager.es d’AirBnB qui n’auront pas trop de problème à payer un stationnement pour une poignée de jours. À cela vient s’ajouter un projet de smart City (aménagements numériques pour la ville), des événements culturels gratinés (malgré lui, le festival de photographie Images singulières) : le cocktail détonant pour rendre une ville branchée, chère, insipide, inaccessible.

Les rebelles

Alors comment faire dérailler la machine municipale et repousser l’assaut des pelleteuses ? Le collectif Bancs publics compte aujourd’hui 2450 sétois.es et se bat sur tous les fronts pour défendre la place Aristide Briand. Si le collectif n’est pas exactement le reflet de la mixité sociale présente sur la place, il est composé de joyeux écolos, de «  beaucoup de vieux  » selon leurs dires, mais aussi simplement d’habitant.es de la ville depuis leur plus tendre enfance ou depuis seulement quelques années. Cette bande dynamique se dit apolitique, alors quand je les titille sur le sujet, ils et elles ont à cœur de préciser faire de la politique concrète, vivante et ancrée au gré de leurs actions. Ne se connaissant pas à la base, la lutte a fait naître de véritables liens d’amitié, visibles dans les regards complices de Christophe et François. Le mercredi, le bureau de l’association rassemble des documents contre le projet, un long et profond travail d’enquête et de restitution. Sur la place, ils organisent une occupation hebdomadaire tous les samedis. Cette culture de l’assemblée qui se consolide chaque semaine permet d’échanger, de voter, de débattre, de partager leurs trouvailles. Par exemple, c’est ainsi qu’ont été votés les statuts de l’association lors d’une AG exceptionnelle sur l’esplanade rassemblant plus de 300 personnes.

Le collectif mène plusieurs actions de front, en commençant par le moyen classique de la pétition en ligne et sur papier ayant recueilli à ce jour 13400 signatures. Le collectif a ensuite impulsé une opération de parrainage des arbres remarquables, diffusé de l’information au public grâce à l’affichage et à la rédaction du feuillet mensuel Les Sétois doivent savoir, à l’organisation de journées de mobilisation et de grands rassemblements, et bien sûr à la présence du collectif tous les samedis sur la place. Bancs Publics fait aujourd’hui partie intégrante de la vie du quartier.

Par ailleurs, ils ont lancé plusieurs actions en justice, dont un référé rejeté récemment par le tribunal administratif de Montpellier, qui a estimé qu’il n y avait pas de caractère utile à leur requête puisque les travaux n’avaient pas démarré, tout en rappelant à la Mairie ses obligations légales à produire les permis nécessaires au moment où ceux-ci démarreraient ! Mais les membres du collectif semblent avoir raison de ne pas compter uniquement sur la justice pour les défendre. À plusieurs reprises, ils ont dû s’opposer physiquement à des tentatives de démolition sur la place, comme lorsqu’ils et elles ont bloqué le démontage des lampadaires, armés de leurs brassards verts. C’est pourquoi leur «  groupe d’intervention rapide » veille au grain en se relayant sur des tours de garde.

Bancs Publics est une équipe acharnée et vivante, polymorphe. Ses membres s’investissent dans tous les champs de la lutte pour arriver à leurs fins. Face à un projet de bétonnage et d’exclusion sociale, chapeauté par un politicard véreux, ces hommes et femmes tiennent bon la barre, inscrivant leur lutte dans l’histoire de cette ville portuaire. Ne nous reste plus qu’à leur souhaiter de croquer, d’une seule bouchée, ce Commeinhes et tous ses projets inutiles.

+ d’infos www.bancs-publics.org

1 : L’Agence Régionale de la Biodiversité (ARB) a classé d’arbres remarquables et alignement à préserver .

2 : Le Singulier, La mairie accusée de commencer les travaux sans permis de construire, 09/12/2022.

3 : Ibid.

4 : Compte rendu du conseil municipal du 14 septembre 2020, à retrouver sur www.sete.fr.

 

François Commeinhes aux rayons X

Le Balkany du Sud : voilà le doux surnom attribué à François Commeinhes, aux manettes de la ville depuis 2001, aujourd’hui dans son quatrième mandat.

Membre des Républicains il a abandonné son poste de sénateur suite à la loi contre le cumul des mandats. Réélu en 2020 à la mairie avec seulement 1000 voix d’avance (grâce au soutien de LREM), il est également président de la communauté d’agglomération « Sète Agglopôle Méditerranée ».

C’est aussi le PDG de la polyclinique Sainte-Thérèse où il opère comme médecin gynécologue. Cette clinique à été épinglée dans l’émission Cash Investigation du 13 janvier dernier, dans laquelle elle est suspectée de pratiquer des interventions sur des patientes sans autorisation de l’État. C’est également en tant que gynécologue qu’il déclare pendant les débats autour de la manif pour tous : « J’ai accouché des gays femelles, je ne vois pas ce que ça apporte sinon une couverture sociale. » Un chic type n’est ce pas ?

Accessoirement, quand il a du temps libre, il est le président de Thau Habitat (une société HLM), de la société des Eaux Issanka et du conseil d’administration de la SAELIT (Société Anonyme d’Économie mixte d’Équipement du Littoral du bassin de Thau). Ce bureau d’étude réalisant un chiffre d’affaires de 2,5 millions d’euros n’a qu’un seul salarié…

Concernant le projet du futur parking sous la place Aristide Briand, il faut rappeler que Commeinhes est le président du conseil d’administration de la SPLBT (Société Publique Locale du Bassin de Thau), entreprise publique créée pour gérer l’ensemble des parkings de la ville. La société bénéficie d’un contrat d’exploitation des parkings payants prolongé jusqu’en 2040.

Enfin, pour faire fructifier sa petite fortune, notre édile investit dans le privé. On le retrouve parmi les dirigeants de Loumi, une entreprise de conseil et construction immobilière, la société Immobilière HCO, spécialisée dans la location de terrains, ou Cogir, gestionnaire de fonds.

Sa famille bénéficie de cette manne entreprenariale puisque fille et fils sont placé.es dans des postes clés de ces entreprises.

François Commeinhe a été condamné récemment à dix mois de prison avec sursis concernant l’attribution d’une quinzaine d’autorisations pour des bars de plages en 2010 et 2011. Il n’aurait pas respecté les règles d’appel d’offres pour des marchés publics, attribuant des concessions notamment à des proches ou des connaissances. Au moins, on ne pourra pas lui reprocher de ne pas avoir le sens de la famille !

Aujourd’hui c’est la cour régionale des comptes qui met son nez dans les affaires de la SPLBT. Dans un rapport publié fin mars, elle estime que « la SPLBT n’a pas concrétisé une réflexion ayant permis l’adoption d’un dispositif de prévention des conflits d’intérêts ». Pas de quoi empêcher de dormir notre édile puisqu’ aucune information judiciaire n’a été ouverte jusqu’à présent malgré de juteuses corrélations. Après tout, c’est vrai qu’on se demande comment il peut gérer toutes ces vies sans s’emmêler un peu les pinceaux….

Texte : Chispa et Lise – Illustration : Marco