Y’a de l’orage dans l’art
Poursuivant sa politique austéritaire, le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc profite des restrictions budgétaires pour assener un coup sévère au secteur de la culture. Bibliothèques, centres culturels, théâtres et festivals : tout un écosystème en danger. Réunis depuis février dans une assemblée de luttes, les travailleur·euses de la culture ne comptent pas se laisser faire.
27 mars, place du Capitole. L’horloge de l’hôtel de ville pointe neuf heures et depuis quelques minutes, la place se remplit d’étranges badauds vêtus en rouge et noir. Un petit groupe tape sur des casseroles, une traînée de fumée orange surgit de la foule. Soudain, toustes tombent à terre, comme mort·es. À l’intérieur de la mairie, le conseil municipal est bientôt perturbé par des manifestant·es portant une banderole « Ici, Moudenc programme la destruction des services publics et culturels ».
Ce mouvement dénonce les coupes budgétaires massives que la mairie compte imposer au secteur culturel et associatif. En novembre 2024, elle a annoncé une baisse de 40 % des budgets alloués à la culture et aux associations. Moins 20 % pour les associations sportives, diminution des deux tiers des subventions pour les centres culturels tandis que les bibliothèques peinent à maintenir leurs effectifs : gel des recrutements, non renouvellement des CDD et absence de remplacements des départs en retraite. Cet hiver, un mouvement des bibliothécaires est resté lettre morte.
Silence, ça coupe
Cette baisse massive est le dernier épisode de la réduction progressive et continue des financements culturels à Toulouse, et ce depuis le premier mandat de Moudenc. « Le 27 Mars, le maire a assumé les coupes budgétaires qu’il a programmées », raconte M. Letexier, élu d’opposition. « La mairie refuse de traiter collectivement les demandes des associations, qu’elle préfère gérer de gré à gré, sur des critères opaques. Cette politique s’inscrit dans une culture clientéliste qui a pour objectif de s’assurer la loyauté des associations ». Le maire affirme aussi sa vision patrimoniale de la culture – à travers la sanctuarisation des établissements prestigieux – mais aussi capitaliste et marchande, avec par exemple le musée Aeroscopia, vitrine de l’industrie aéronautique et destiné au tourisme de masse.
Les coupes fragilisent en premier lieu les quartiers populaires. Benoît Cazals, président du comité des quartiers sud de Toulouse, était présent le 27 mars : « On est prioritaires dans les coupes, c’est révoltant. Faute de pouvoir embaucher du personnel, la bibliothèque de Bagatelle est fermée au public depuis mi-décembre. En face, le centre culturel Henri Desbals ne peut pas programmer sa saison 2025/2026. Notre association [Comité de quartier PATABOR Papus-Tabar-Bordelongue] doit choisir entre payer les musiciens ou les jeux pour enfants.» En privant les centres culturels de leurs subventions, tout l’écosystème est touché : petites compagnies, groupes de musiques, artistes, fêtes de quartier…
Moudenc veut baisser le rideau
Comment s’organiser face à cette offensive? Mi février, le syndicat SFA CGT Midi Pyrénées(1) appelle à une assemblée des travailleur·euses de la culture, du spectacle vivant et des arts visuels, bientôt renommée « Cultures en Luttes 31 ». Chaque semaine, des profils divers s’y croisent : intermittent·es, artistes auteur·es, salarié·es d’établissements culturels, étudiant·es… Toustes lié·es par l’inquiétude face à la coupe des budgets à tous les niveaux – municipalité, département, région, État- qui menace concrètement la possibilité de poursuivre leurs activités.
Alice, metteuse en scène et membre de Cultures en lutte 31, raconte : « Moudenc a commencé à tuer les lieux d’émergence des artistes – Mix Art(2), Le lieu commun(3), le Hangar(4) – avant de tuer les lieux de proximité, et comme les artistes grandissent dans les marges, c’est l’existence même de la scène artistique toulousaine qui est menacée ». Contre ces attaques, Cultures en lutte 31 exige le refinancement des lieux de création et de diffusion, pour une politique forte, diversifiée et accessible, et mène des actions marquantes : affichages dans la ville, perturbation d’un discours d’inauguration du maire, intervention pendant le spectacle d’Aymeric Lompret à la Halle aux grains, manif joyeuse et colorée s’achevant devant le siège de la DRAC, etc.
Une saison riche en rebondissements ?
Forces vives du mouvement, les étudiant·es en formations artistiques et culturelles sont mobilisé·es, qu’ils viennent du conservatoire de théâtre, de l’institut supérieur des arts et du design, de l’école publique de cinéma ou du théâtre du Hangar. Ceux-ci ont vu leurs financements coupés par la région avant le début de leur formation. Une action devant l’hôtel de région en mars dernier a permis de faire un peu bouger les lignes : 10 stagiaires sur 14 seront financés. Mais le problème demeure, puisque l’ensemble des formations culturelles est toujours privé d’une grande partie de son budget. À la rentrée, ce sera le Théâtre 2 l’acte (Le Ring) qui devra trouver une solution pour poursuivre ses formations…
Si l’urgence conduit l’assemblée à exiger le refinancement du secteur, elle amène aussi à discuter des revenus et des conditions de travail. Pour les travailleur·euses de la culture, les conditions de subsistance dépendent d’un équilibre fragile entre périodes d’emploi et de non emploi : celui-ci est au cœur du système d’assurance qu’offre l’intermittence, lui même régulièrement remis en cause. Mais les artistes auteur·ices ne bénéficient pas d’un tel mécanisme de sécurisation des revenus et sont particulièrement précarisé·es par la réforme du RSA et le gel du Pass Culture. Culture en Luttes 31 s’inspire des travaux du collectif « La Buse » sur la possibilité d’une sécurité sociale de la culture, qui prendrait en compte le travail des auteur·ices et instaurerait des règles d’indemnisation assurant la continuité de leurs revenus(5).
L’assemblée est déterminée à poursuivre ses actions, sachant que le vote final du budget se fera lors du prochain conseil municipal, le 20 juin 2025. D’ici là, les liens tissés avec d’autres secteurs en lutte comme l’assemblée du social(6) laissent présager un printemps de luttes, qu’on espère victorieuses.
Texte : Maddie B. / Illustration : Emilie Route
NB : Rendez-vous le 26 Avril au cinéma Utopia Borderouge, Culture en Luttes 31 propose une table ronde intitulée « Travailleur·euses de l’art : métiers toujours à venir » suivie à 20h de la projection du film S’il touche à l’un d’entre nous.
-
Syndicat français des artistes interprètes, affilié à la CGT.
-
Le Mix Art est un collectif d’artistes autogéré dont le lieu du même nom a été fermé en 2021 par arrêté de la mairie de Toulouse, ce qui a donné lieu à une importante mobilisation.
-
Lieu d’exposition situé dans le quartier Bonnefoy.
-
Le Théâtre du Hangar est un lieu d’accueil, de représentation et de formations théâtrales. Implanté dans le quartier Bonnefoy en destruction, il n’a actuellement pas de local.
-
www.la-buse.org
-
L’assemblée rassemble différents secteurs du social et dénonce les coupes budgétaires, les suppressions de postes, la dégradation des conditions de travail et de l’accueil des publics.
Ping : Juin – Social |
Ping : Juin – Cultures |