Castillon-la-Bataille : Le mirage de la revitalisation
Victimes de l’essor des zones commerciales et des cités dortoirs insipides, les centres-bourgs des petites villes sont souvent désertés. Des mairies s’inscrivent alors dans des programmes de « rénovation » de l’État, où les partenariats avec le privé sont légion. Au final, beaucoup de com’ et un peu d’embourgeoisement. Une habitante d’une commune de Gironde témoigne de sa déception.
Castillon-la-Bataille est une petite ville de 3320 habitant·es dans un coin de Gironde frontalier de la Dordogne. Proche de la riche cité de Saint-Émilion, elle se trouve en plein « couloir de la pauvreté » avec des emplois précaires du secteur viticole ( i). Une zone marquée par des dizaines de milliers de personnes sous le seuil de pauvreté et des villes à la limite de l’abandon. À Castillon, le taux de chômage des jeunes est de 43 % et une personne sur quatre est au RSA. L’exploitation de la vigne en monoculture, combinée à la mainmise sur ce secteur des gros négociants et des propriétaires de grands crus, contribue à appauvrir ce territoire. Alors sans toucher à ces structures économiques qui maintiennent la population dans la misère, sans s’appuyer sur les structures et associations locales pour mettre en place une politique sociale et culturelle audacieuse, « redynamiser » les centresvilles relève du mythe, voire d’une stratégie consciente de diversion.
Pourtant, Castillon s’est engagée depuis 2017 dans la « revitalisation » de son centre-bourg. Un programme à la mode qui doit aboutir au retour des commerces, à la réhabilitation des logements et à la végétalisation des rues. Un changement d’image, une démarche marketing semblable à celle d’une boîte qui change de nom et de logo pour essayer de séduire de nouveaux clients. Dix-sept millions d’euros d’investissements sont engagés pour les dix ans à venir, financés par l’État, la Région, le Département et la commune. Son maire LR, Jacques Breillat, est à la manœuvre et il a su faire preuve d’influence pour aboutir à ce montage financier plutôt généreux pour la commune. Après une tentative de carrière dans le bordelais, il s’est parachuté à Castillon dans les années 2000 en louant un appartement vide qui fait office de pièce justificative. Élu maire en 2014 puis en 2020, il cumule les postes : président du PETR du grand libournais, conseiller départemental et président du groupe de droite depuis 2007, président de la communauté de communes, maître de conférence à Bordeaux, etc (ii). Il se présente comme expert spécialisé dans le domaine du management stratégique de l’information, en E-Réputation et spécialiste du lobbying…
La ville a fait appel dès 2017 à InCité, société d’économie mixte créée par la Ville de Bordeaux en sollicitant leur « savoir-faire » pour mener à bien un état des lieux définissant « les contours du Castillon du futur ». Présentée comme bailleur social engagé pour l’intérêt général, l’entreprise est plutôt célèbre pour ses démolitions et ses expropriations, maîtresse dans l’art de transformer un quartier vivant en une série de bars à concepts et de galeries vides. En deux mots, In Cité est le bras armé de la gentrification de Bordeaux depuis vingt ans.
Dès 2009, un représentant de la Communauté Urbaine de Bordeaux au CA d’InCité, Matthieu Rouveyre, démissionne en expliquant qu’il était impossible que la société fasse du logement social.(iii) Selon lui, InCité ne satisfait pas les très nombreuses demandes de logements sociaux mais propose plutôt de vendre aux primo-accédant·es à un prix « à faire pâlir les potentiels acquéreurs et sourire les agences immobilières » : ainsi un logement de 60m² peut être mis en vente pour la modique somme de 199 000 euros, ou un immeuble situé dans un quartier populaire vendu 40 000 euros plus cher que le prix du marché. Sa conclusion est sans appel : « InCité participe à la vacance du logement à Bordeaux, un comble pour un organisme destiné à lutter contre ce phénomène ! » Pourtant, en avril 2022, le Conseil municipal de Castillon le désigne à l’unanimité pour être le concessionnaire de l’opération d’aménagement.
Un maire exemplaire
Aux réunions de « concertation » un powerpoint défilait devant un panel d’« expert·es » (paysagistes, urbanistes, commerciaux) avec des propositions qui ne correspondaient absolument pas à ce qui avait été suggéré lors des premiers rendez-vous de « participation citoyenne ». Résultat, les habitant·es viennent une fois, pas deux. La désillusion est totale. Pourtant le maire est en pleine euphorie, car la commune remporte les quatre étoiles du « trophée de la participation », une distinction bidon d’un think tank créé par l’État, « Décider ensemble ». Jacques Breillat éprouve « un pur bonheur » à l’annonce de ce prix, saluant « la force que vous donnent les habitant·es quand ils adhérent au projet »(iv) . 14 % des habitant·es auraient en effet « participé » à l’élaboration du projet, une « vraie dynamique », selon le think tank. Le maire se prend ensuite pour un expert, il est invité à organiser des conférences et reçoit des délégations d’autres villes qui souhaitent « suivre l’exemple »… certainement davantage séduits par sa capacité à réunir des millions d’euros que par un ersatz de mobilisation citoyenne. Breillat va jusqu’à co-écrire un livre en 2022 : Demain ma ville – revitaliser une ville-centre. Jusqu’ici, il ne s’est pas vanté du nombre de ventes, qu’on suppose maigrichon.
Pour mettre en œuvre la revitalisation, il ne compte pas sur son équipe municipale (inaudible lors des conseils municipaux) mais sur deux recrues de choc : un revitaliseur en chef (officiellement « directeur du renouveau Castillon 2032 »), ainsi qu’un « manager de commerce » qui a le rôle de faire le lien entre les propriétaires des commerces vacants, et les potentiels commerces « sexy » qui pourraient adouber ses actions.
La vitrine commerciale, et ses coulisses
La mairie se vante des ouvertures à tour de bras, une trentaine jusque là, mais elle ne communique jamais sur les fermetures… et l’année 2025 commence fort avec quatre fermetures annoncées. Sur place, le sentiment des commerçant·es est mitigé. Qu’ielles souhaitent ou pas bénéficier d’une aide à l’installation, qui varie d’une somme de quelques centaines d’euros à des travaux devant être réalisés par les propriétaires, chacun a « droit » à une petite visite officielle immortalisée sur les réseaux sociaux avec coupage de ruban, pose sur un canapé ou devant les plats des nouveaux restaurants. À noter que l’équipe municipale a même fait la promotion d’un nouveau salon de toilettage, mettant en avant la diversité des commerces, en oubliant complètement un salon similaire déjà implanté dans la rue principale ! Mais la présence de certains commerces ne change pas l’impression de vide : une infirmière libérale loue une vitrine pour avoir des aides mais n’y travaille pas, un traiteur travaille uniquement pour la ville de St-Émilion… Ceux et celles qui ne profitent pas de l’aide ou qui ont le malheur de fermer sont présentés comme des losers lors des réunions, et prière à ceux et celles qui ont annoncé qu’ils allaient ouvrir de se dépêcher de le faire. L’idée étant surtout de faire venir le touriste qui a les poches pleines, la mairie essaye d’appâter le haut du panier avec des commerces de bouches aux cartes inaccessibles. Et puis on sort les bonnes vieilles recettes sécuritaires : une police municipale très présente et une gendarmerie installée en centre-ville…
Renouvellement inadapté
Quant au logement, InCité saute sur chaque occasion : quand un propriétaire n’a pas les moyens de faire des travaux de mise aux normes et que le bâtiment commence à être dangereux, la société propose de le racheter pour réaliser les travaux et le revendre plus cher, ou louer en choisissant ses locataires. Une belle petite cité dortoir en préparation !
Un nouveau vocabulaire associé à ces aménagements est désormais dans toutes les bouches – re-naturer, dé-bétonner, végétaliser, îlot de fraîcheur… Tandis que de nombreux habitant·es déplorent que les associations de transition écologique, d’insertion ou de jeunesse n’aient pas été concertées. Ils et elles auraient sûrement apprécié la création d’un jardin partagé ou d’espaces de rencontres et/ou de création. À l’école primaire aussi, les parents s’étonnent de voir un ré-aménagement de la cour pour mettre plus de verdure arguant du bien être des enfants, alors qu’une maison médicale va être construite sur la même cour l’amputant de la moitié de sa surface et nécessitant la coupe d’arbres et de la majorité des haies… Cette maison médicale pourrait trouver sa place ailleurs, dans l’un des nombreux bâtiments vides ou sous-exploités existants qui ont bien besoin de quelques travaux d’aménagement.
Une association culturelle voulant créer un lieu, mêlant cinéma, spectacles, concerts, espace artistique et café associatif, a demandé à être associée à la partie culture du plan de revitalisation. Là encore, c’était peine perdue, le directeur du « renouveau » lui a répondu que ce n’était pas « à l’ordre du jour » . Pourtant, Castillon est une ville chaleureuse avec plus de 70 associations, mais la plupart ne se sentent pas soutenues par la mairie, qui n’est présente que quand il y a de la « pub » à se faire – un discours ou une remise de prix. Une maison des associations doit être inaugurée bientôt (après plus de deux ans de retard) mais elle ne permettra qu’à cinq associations d’être logées, les autres devront se partager l’usage des petites pièces communes.
Plusieurs équipements collectifs ne trouvent pas d’issue pour être construits ou réhabilités. L’ancienne piscine municipale a fermé en 2009 et sa reconstruction est sans cesse repoussée. L’ancienne école des filles, magnifique et grand bâtiment, pourrait accueillir beaucoup de structures intéressantes pour la vie de la cité, mais l’atelier menuiserie et l’Amap doivent se contenter d’un accès à la cour du bâtiment. L’école de danse et de musique n’a régulièrement plus de chauffage et se dégrade petit à petit.Le centre culturel à l’acoustique déplorable n’a pas eu de chauffage pendant trois mois.
La machine est lancée !
Après avoir malmené le centre et ses habitant·es, la revitalisation s’attaque désormais à l’entrée de ville. Lors de la présentation à la population, le 5 octobre dernier, nous découvrons un plan lisse et insipide avec 100m de piste cyclable, sans qu’il ne soit question d’en mettre ailleurs ; arbres plantés dans de petits carrés bétonnés ; et éclairage permanent, insécurité oblige.
Les Castillonnais·es s’apprêtent donc à affronter sept ans de travaux intenses pour le repimpage de leur cité. D’ici 2032, la commune va faire une « mue totale et extrêmement importante » et Jacques Breillat estime que l’on va « frôler une célébrité au niveau de la bataille de 1453 »(v). La vitrine sera belle et lisse, la végétation bien taillée, les bâtiments neufs abriteront des familles aisées, les jeunes ne traîneront plus sur des placettes contrôlées par la police municipale, bientôt armée selon les vœux 2025 de monsieur le maire. La multiplication des cameras et l’arrêté anti-attroupement estival aidera les gens à se sentir en sécurité. Tant pis pour celles et ceux qui aiment leur ville authentique, chaleureuse, avec sa mixité sociale et sa vie associative dynamique. Place à la ville « attractive » et à ses nouveaux habitant·es.
Texte et illustration : John Doe
iSituation décrite dans Les raisins de la misère de Ixchel Delaporte (Éditions du Rouergue), et relayé dans « Les seigneurs de la vigne » du n°12 de l’Empaillé (2024).
iiÉgalement directeur pédagogique du Master 2 Intelligence économique et management des organisations, directeur scientifique de l’Institut supérieur de l’E-Réputation à Paris.
iiiLettre ouverte, www.matthieu-rouveyre.fr.
ivTable ronde « ruralités, revitalisation et coopération interterritoriale », organisée par le Conseil régional le 5 octobre 2021.
vSur France Bleu, le 18 octobre 2023. La bataille de Castillon, qui signe la fin de la guerre de Cent Ans, fait l’objet d’un spectacle estival d’envergure.