Numéro 17 régional

L’École-Collège Démocratique du Tarn : Entre utopie et nécessité politique

Si l’on veut se donner les moyens d’un changement social profond, l’éducation – et ses différentes pédagogies – est évidemment l’un des champs à investir. Face au conservatisme des pouvoirs publics en la matière, les modèles alternatifs connaissent un essor en France depuis plusieurs années. Parmi eux, l’école de Loupiac dans le Tarn se fixe comme objectif l’émancipation et l’épanouissement des jeunes. L’équipe enseignante a pris la plume pour présenter et questionner sa pratique éducative.

Il nous a fallu déployer beaucoup de temps et d’énergie pour ouvrir notre école, il y a cinq ans au cœur de Loupiac, un petit village en bordure du Tarn. L’École et Collège démocratique du Tarn, c’est neuf salles thématiques, une cuisine, un atelier, des manuels, des activités à faire en autonomie, du matériel d’utilisation libre et le parc municipal en guise de cour de récréation. Aujourd’hui avec quatre enseignant·es, ce sont près de trente jeunes de sept à quinze ans qui y apprennent chaque jour l’autogestion et le vivre ensemble grâce à des outils et des instances. L’exercice concret de la démocratie directe leur permet de proposer, revendiquer, débattre, décider, conduire des projets et améliorer la vie dans leur école. On y travaille les compétences du socle commun autour d’un emploi du temps qui essaie de s’adapter le plus possible aux rythmes et aux besoins de tous et toutes (cf. encadré ci-contre).

Le courant des « écoles démocratiques » dont notre établissement fait partie, est catalogué comme l’une des écoles alternatives qui maillent le territoire. Mais mettre toutes ces dernières dans le même sac, c’est comme dire que tous les professeur·es du public sont de gauche, ou que tous les collèges de France sont dans un état vétuste. C’est complexe, risqué, souvent réducteur, car la seule chose qu’elles ont en commun, a priori, c’est de ne pas se réclamer des méthodes de l’école traditionnelle ! En réalité, les pratiques de ces écoles se positionnent sur un spectre nettement plus étiré et variable que celles qu’on trouve dans les établissements publics. Elles arrivent parfois même à s’opposer magistralement entre elles. Montessori n’est pas Freinet. Les Calendrettes ne font pas du Korczak. Et les « écoles démocratiques » ne se réclament pas toutes de la lignée de Sudbury1. Parmi celles-ci on trouve aussi des différences, tant dans leur cadre que dans leur approche didactique, mais elles se rejoignent sur leur volonté de laisser une grande liberté dans les apprentissages.

Apprendre à vivre en société

Un cadre éducatif démocratique a, pour première visée, de préparer les adultes en devenir à faire face à des situations du quotidien. Par exemple, lorsqu’un élève arrive en retard régulièrement, le groupe propose de voter un budget pour lui acheter une montre ; si une élève ne range pas son assiette après le repas, elle peut proposer de devenir responsable de la vaisselle, etc. Les exemples foisonnent à l’école de ces scènes de vie quotidienne où les élèves apprennent à travailler en collaboration, à écouter les points de vue des autres et à résoudre des conflits sans l’adulte « arbitre » ou « policier ».

Ces compétences sont directement transposables dans des contextes personnels d’abord, puis professionnels. Offrir un cadre bienveillant qui les place à égalité permet aux élèves de devenir des citoyen·nes outillé.es pour s’émanciper, être en pleine capacité d’agir et garantir leur libre arbitre dans une société qui souvent laisse peu de place à leur autodétermination. 

On valorise aussi le lien avec l’extérieur, en proposant des sorties et en invitant les passionné·es de leur métier (familles ou intervenant·es) à le présenter de façon ludique : faire de la céramique, réaliser un podcast, ou comprendre comment fonctionne une forge… une multitude de savoir-faire qui sont tout autant valorisés que poser la division euclidienne.

L’autogestion à l’école

Dans notre école, une place centrale est accordée à l’établissement de règles claires et cohérentes, co-construites avec les élèves, qui les respectent d’autant plus volontiers que ce sont elles·eux qui les ont créées. L’adulte n’est pas la seule figure responsable du respect des règles. Et il n’y coupe pas : les élèves lui rappellent et proposent des sanctions en cas de transgression. « La première fois que j’ai eu une sanction ça m’a fait bizarre (j’avais oublié de vider le compost alors que c’était à mon tour, j’ai donc dû faire une « réparation » : nettoyer le bac) », témoigne une enseignante. Et lorsqu’une règle ne semble plus faire sens, elle peut être ramenée au vote. Cette implication rend les jeunes acteur·ices de leur environnement et conscient·es que leur comportement influence le fonctionnement du groupe. Le cadre s’adapte donc aux individu·es tout en leur offrant des repères stables. 

La liberté s’accompagne par ailleurs de responsabilités, de limites claires et d’un apprentissage actif des relations humaines. Les élèves apprennent à résoudre leurs désaccords par le dialogue, avec différents outils : messages clairs, médiations ou cercles de justice. Cette approche les engage dans une démarche de soin en les rendant autonomes et capables de gérer leurs émotions en prenant en compte celles des autres. Une ingénieure en visite à l’école pour présenter son métier témoignait à la suite de l’observation d’une réunion d’élèves : « C’est dingue comme ils s’écoutent, il y a de quoi faire rougir mes collègues, ils devraient venir se former auprès des jeunes ! »

Esprit critique et autodéfense intellectuelle

Une approche émancipatrice de l’éducation doit s’opposer fondamentalement à tout phénomène d’emprise. Elle a vocation à donner les clés de l’autonomie et les outils nécessaires pour se prémunir contre l’obscurantisme et les manipulations. Dans ce cadre, la formation d’un esprit critique est primordiale, et nous proposons des méthodes et des outils pour lire et comprendre les discours, les images, les postures et les actes. On s’exerce, lors de cours d’autodéfense intellectuelle à analyser des textes ou des publicités :  reconnaître les arguments fallacieux, les propositions trompeuses et les biais cognitifs afin de tracer notre propre chemin pour évoluer en société avec plus d’engagement et de responsabilité.

Nous insistons aussi sur la question du sens. Nous encourageons notamment les jeunes à reconstruire leur rapport à l’apprentissage : ils apprennent à objecter les règles, à cibler leurs intérêts, à travailler pour elles·eux et à se détacher des attentes ou projections des adultes qui les entourent. Apprendre le plus tôt possible à questionner et construire le sens de nos actes permet de définir notre identité, nos valeurs et développer nos compétences en lien avec nos besoins et nos élans fondamentaux. Les compétences relationnelles font également partie des bases nécessaires aux jeunes. En effet, comment tisser un lien social égalitaire ou équitable si l’on n’a pas les outils nécessaires pour identifier et faire exister notre parti-pris.

Enfin, à l’école les jeunes peuvent suivre des cours d’histoire-géo, reçoivent des journaux, prennent connaissance de l’actualité et la commentent. Car comprendre les phénomènes structurels sociologiques ou politiques de notre société, leur histoire et leurs dérives, c’est voir venir de plus loin les risques et s’en prémunir plus tôt. 

L’enjeu de la mixité sociale

Au-delà de l’intérêt pour les principes de l’éducation démocratique, l’aspect financier est l’un des premiers obstacles à l’inscription d’un enfant. Or, les écoles privées hors contrat fonctionnent sans subvention de l’État et s’auto-financent grâce aux frais de scolarité. Ce statut, c’est le prix de la liberté pédagogique qui permet de proposer un environnement éducatif différent. À l’école, le barème mensuel, aligné sur le quotient familial2, est de quatre tranches (300, 325 et 375 euros). C’est incompressible, à moins de recevoir des dons conséquents ou de faire travailler bénévolement les accompagnant·es. Évidemment, c’est un facteur d’inégalité dans l’accès à l’école, et l’un de nos plus grands regrets. Mais la raison d’être de ce projet reste d’apporter ce que la machinerie de l’Éducation Nationale ne peut pas garantir aux enfants, et ce malgré tous les efforts et l’innovation du personnel enseignant qui se heurte à la rigidité du cadre institutionnel. Autour de nous, on a vite fait de crier haut et fort au risque d’entre-soi, de bulle élitiste entre familles aisées, voire de reproduction sociale ! Mais c’est à relativiser : si dans certaines écoles c’est parfois le cas, dans nos petites structures rurales, la réalité est tout autre. Employé·es, agriculteurs·ices, cadres, commerçant·es mais aussi familles monoparentales, parents aux minimas sociaux ou sans emploi, les profils des familles de l’école sont variés. Seule une famille a un quotient familial supérieur à 2 000 euros, quatre autres sont entre 1 000 et 1 500, et le reste des effectifs, soit 23 familles, se situent entre 400 et 1 000 euros.

Pour que nos familles mettent l’école en priorité budgétaire, il faut donc bien que leur choix soit fondé sur d’autres critères : certaines, notamment, ont des besoins spécifiques d’accompagnement de leur enfant (phobie scolaire diagnostiquée, dys multiples, pathologies, harcèlement). La diversité des méthodes, des activités abordées ainsi que notre fort taux d’encadrement sont pour elles des arguments de choix.

Pour un militantisme éducatif 

Les écoles démocratiques sont souvent de forme associative et ne sont donc pas profitables financièrement. Ainsi, c’est le travail bénévole des enseignant·es, les trois premières années, qui a permis à l’établissement de démarrer. Aujourd’hui, quatre salarié·es sont employé·es à temps partiel, et gagnent tout juste 1 000 euros par mois, d’où la nécessité pour certain·es de travailler à côté. « On fait le choix de rendre accessibles les frais de scolarité au détriment de nos salaires », avance une enseignante pour qui son travail est avant tout militant. Ajoutons enfin qu’il n’existe pas de syndicat spécifique pour défendre nos droits à plus grande échelle. Sud Éducation, par exemple, n’en a pas la possibilité puisque nous avons le statut « hors-contrat ». Si l’on crée ces écoles, au risque d’y perdre des plumes, et qu’on y travaille, au risque de vivre toute sa carrière les grandeurs et misères du « métier-passion associatif », c’est donc certainement que l’on recherche dans la construction de nos utopies à remédier à ce qui est défaillant dans l’existant. 

Vers une proposition éducative à grande échelle

Une véritable éducation à la démocratie, telle qu’on la travaille avec les jeunes à Loupiac, semble être aujourd’hui non seulement un moyen de lutter contre l’obscurantisme et le fascisme, mais aussi d’apporter à notre société des outils conceptuels et méthodologiques pour faire du commun, dans une perspective d’engagement vers un réel changement social. Elle a donc une portée politique cruciale, avec la perspective évidente d’une application généralisée. L’idée étant que, peu à peu, nos initiatives constituant un « déjà-là » éducatif s’allient à certain·es de nos collègues des établissements en contrat avec l’État, afin de peser davantage dans le rapport de force que nous entretenons avec la sphère politique et le ministère de l’Éducation. Et que cela puisse faire évoluer à son tour le bastion de l’Éducation nationale.

Évidemment, nous ne prétendons pas incarner un idéal. Nos pratiques évoluent, nous nous questionnons au gré du quotidien avec les enfants au même titre que tous·tes les professionnel·les de l’éducation. Loin de vouloir imposer une nouvelle vision dogmatique, cherchons simplement à faire exister d’autres possibles ! Notre modèle se revendique avant tout complémentaire au système traditionnel, en proposant une approche plus centrée sur l’autonomie, la démocratie, la responsabilisation et l’équité. Des enjeux brûlants à l’aune du paysage politique qui s’offre à nous. Bienvenue, donc, aux curieux·ses et adeptes du « voir pour le croire », venez en immersion à Loupiac !

Texte et illustration : Olivia, Victor et Olga, membres de l’équipe enseignante.

+ d’infos : www.ecoledemocratiquedutarn.fr/

 

Une journée à l’école

9h30 : C’est les « annonces », toute l’école se rassemble pour découvrir les activités proposées, on présente des réalisations et on se passe des infos. Puis les jeunes planifient leur journée ! 

9h50 : Commence le premier temps académique de la matinée. Les jeunes ont le choix entre étudier le français, les mathématiques ou contribuer au journal de l’école. Iels peuvent aller à l’atelier dirigé qui est proposé ou travailler en autonomie avec les ressources de leur choix. 

11h00 : Après la pause, c’est le deuxième temps : les élèves se lancent au choix sur de l’histoire, de la géo, des langues ou même de la cuisine.

12h00 : Iels cuisinent leur repas, échangent en informel et jouent ensemble.

13h00 : C’est le temps lecture. Chacun·e choisit le support de son choix et profite de l’ambiance calme pour bouquiner. 

13h40 : Si on est lundi ou jeudi, c’est l’Ecclésia, qui est le cœur démocratique de l’école : à la fois un espace de parole et une instance de décision animée par les élèves pour traiter des sujets qui vont résoudre des problèmes et améliorer l’école (achats, sorties, projets collectifs). Si on est mardi ou vendredi, c’est le troisième temps : on peut choisir entre citoyenneté, sciences ou des sujets d’exposés. 

15h00 : C’est le quatrième temps, il y a le choix entre sport, arts, numérique et ingénierie. Et si on est mardi, c’est école au-dehors pour l’après-midi : parfois les jeunes vont en forêt, à la découverte d’un métier du village ou à la rencontre d’un·e intervenant·e qui vient en visite.

15h55 : C’est le ménage. Tout le monde s’affaire à sa tâche pour prendre soin de l’école. 

16h : Les jeunes récupèrent leurs feuilles corrigées et valident les compétences acquises les jours précédents dans le livret avec des retours de l’enseignant·e. Des tampons indiquent où iels en sont de leur progression et des points réguliers avec les accompagnant·es permettent de cibler les domaines où s’impliquer davantage la prochaine période pour s’assurer d’avoir travaillé toutes les bases. 

16h30 : C’est le cercle de fin de journée. Chacun·e partage ses émotions, ses apprentissages du jour et ses perspectives pour le lendemain. 

1 La Sudbury Valley School, près de Boston, étant l’une des pionnières du mouvement de l’éducation démocratique.

2L’administration fiscale le calcule en divisant le revenu net imposable du foyer par le nombre de parts fiscales. La CAF de son côté prend le revenu brut et y ajoute les prestations sociales.