La chronique délires numériques : IA, immense aliénation
En ce printemps 2025, beaucoup de gens sont encore sous le choc de l’opération de propagande organisée par Macron lors du Sommet mondial sur l’intelligence artificielle, à Paris le 11 février dernier. Avant cela, des opérations d’enfumage plus locales avaient eu lieu. Ainsi l’exposition « L’IA, double je. L’intelligence artificielle et moi » au Quai des savoirs, à Toulouse, qui a duré de février à novembre 2024. L’objectif des organisateurs (et des financeurs, comme Airbus et Serge Ferrari Group) ? Accoutumer le public de classes moyennes fréquentant le Quai, en lui présentant de manière « ludique » les évolutions technologiques et sociales en cours.
Le prospectus annonçait la possibilité de « jouer à conduire un véhicule autonome, tester un outil de diagnostic médical, analyser l’impact de l’IA sur son métier ». Une fois sur place, foin de tout cela, seulement des panneaux et une pléthore d’écrans avec des extraits de films, des informations sur les origines de l’intelligence artificielle, la définition d’un algorithme ou le fonctionnement d’une voiture automatique…
Peu avant la fermeture de l’expo, le groupe Écran total Occitanie décide d’aller y pointer son nez. Le samedi 19 octobre, nous nous retrouvons pour mettre au point une perturbation. Certaines veulent simplement engager la discussion tandis que d’autres ont très envie de faire du scandale. Heureusement, il y en aura pour tous les goûts…
Sur une table de presse improvisée, entre les tentes de photos retouchées et les jeux vidéo en « réalité virtuelle », le public de l’expo est informé par un tract et des livres que « l’intelligence artificielle, ça sert d’abord à faire la guerre »(1) et à aggraver la catastrophe écologique. Pendant ce temps, des copines s’invitent au spectacle itinérant de la compagnie Illimitrof, qui se veut critique de la surveillance électronique… tout en n’étant accessible qu’aux détenteurs de smartphones ! Oups, des QR codes disparaissent !
À l’intérieur, des membres d’Écran total sont entrés dans l’expo avec autour du cou des pancartes affichant « Imaginaires Anéantis », « Immense Aliénation » ou « Ignoble Avenir ». Mais dans l’obscurité, au milieu des écrans, personne ne les remarque. Alors, nous prenons la parole, en lisant ce qui est écrit sur nos cartons, puis en clamant : « Sortez la tête des écrans ! », « La technologie détruit les liens et le monde réels ». Face à tant d’imprévu, les vigiles ferment l’exposition.
Quand elle rouvre un peu plus tard, deux d’entre nous se tiennent immobiles, de part et d’autre d’une performance artistique douteuse, présentant une « plante connectée » (sic) pour mettre en valeur « la poétique de son opérationnalité » (re-sic). Pendant quarante-cinq minutes, elles s’ornent de messages sur les conséquences écologiques du tout-numérique. Des camarades demandent à l’artiste et l’ingénieur s’ils réalisent qu’ils parlent un langage proche des transhumanistes de la Silicon Valley. Secouée, l’artiste demande pourtant aux vigiles et organisateurs de ne pas nous dégager.
Après quoi, tout notre groupe revêt des tuniques blanches pour défiler devant le musée en jouant une procession religieuse. La voix de notre gourou s’élève, reprise en chœur par les fidèles : « O smartphone, gloire à toi ! Grâce à toi, nous sommes enfin partout en même temps… » Cette fois, c’en est trop pour les vigiles qui nous éconduisent pour de bon.
Et l’intelligence collective, pour rompre avec nos dépendances et créer de nouveaux rapports humains sans dominations, c’est pour quand ?
Collectif Écran total
(1) Voir Jacques Luzi, Ce que l’intelligence artificielle ne peut pas faire, La Lenteur, 2024.