Numéro 5

Vive le vent

Cette année, pour la première fois, mon petit garçon de trois ans m’a évoqué le Père Noël. Ses copains et ses copines lui en ont parlé à l’école, il a entendu des chansons, vu des affiches. De toute façon, à moins de partir vivre dans un terrier à partir du mois d’octobre, je ne vois pas comment on aurait pu y échapper. Pourquoi pas. J’adore lui raconter des histoires, et je n’ai rien contre celle du gros monsieur barbu qui apporte des cadeaux. Par contre, ce qui me chiffonne vraiment, c’est ce mensonge collectif qui consiste à faire croire aux enfants que le père Noël existe.

Comprenons-nous bien, j’adore inventer des mondes avec mon fils. Tous les matins, on part en navette spatiale à l’école, je deviens régulièrement une maman ourse et mon fils a une sérieuse tendance à se transformer en pirate-calamar. Mais dans ces moments, on plonge ensemble dans un délire et ensemble, on en ressort. « C’est pour du semblant », comme il dit. Parfois, on brandit des ogres, des sorcières, des loups et on joue à se faire peur. De temps en temps, quand même, mon petit garçon vérifie. « Est-ce que les loups-garous, ça existe ? – Non. Est-ce que les ogres c’est que dans les histoires ? – Oui. Et les loups tout court ça n’existe pas non plus ? Si, ça existe mais ils ne mangent pas les enfants. Et il n’y en a pas non plus sous ton lit ». Ok, fin de la discussion, il reprend son jeu. Sans vouloir faire ma Dolto discount, il me semble qu’en tant que parents, notre rôle c’est de laisser nos gosses délirer autant qu’ils veulent et d’être là pour les aider à se débrouiller avec le réel. Il me fait confiance. Pourquoi j’essaierais soudain de lui faire croire au Père Noël ? Pourquoi le 24 décembre nous lancer dans d’improbables mises en scène avec le beau-frère déguisé en père Noël, le coup de sonnette surprise, et oooooh regarde ! Il a laissé des cadeaux, c’est incroyable !

Ok, je sens qu’à ce stade, on va me traiter de rabat-joie, genre elle veut tout nous prendre celle-là, déjà que la vie est dure et voilà qu’on ne peut même plus se lâcher le soir de Noël ! Et puis, l’argument massue, ça fait rêver les enfants. Mais nos enfants n’ont pas besoin qu’on leur mente pour rêver. Leur imaginaire va très bien, merci. Et le nôtre ? Parce que si on y réfléchit, à qui ça fait du bien cette histoire ? Qui a besoin d’une trêve ? Qui a besoin de rêver et de replonger en enfance ? Pourquoi pas. Mais ce qui serait chouette, c’est de ne pas nous servir de nos gosses pour rêver par procuration.

Le pire, c’est que quelques jours avant Noël, mon petit garçon m’a doctement rappelé que seuls les enfants sages recevaient des jouets, et j’ai vraiment eu les boules parce qu’en plus de baratiner les enfants, les adultes se servent de cette histoire comme mesure de rétorsion pendant des semaines : si tu n’es pas sage t’auras pas de cadeaux. Le chantage, y’a rien de tel. J’ai eu très envie d’expliquer à mon fils que ça ne marche pas comme ça, que la plupart du temps ce qu’on possède ne procède pas de nos vertus, ni d’un quelconque mérite, et qu’il aurait des cadeaux à Noël parce que sa famille avait assez de thunes pour lui en offrir, point barre. Comme il est encore un peu petit et que j’étais crevée, j’ai fini par lui dire qu’il aurait des cadeaux même s’il n’était pas sage.

Le lendemain, on a reçu un papier de l’école pour que nos enfants offrent un de leurs jouets à destination de gamins démunis. Ok très bien, au milieu de l’orgie, c’est chouette de se donner bonne conscience, et je le dis presque sans ironie. Et vas-y que je demande à mon petit garçon un jouet pour un enfant qui n’en a pas, et là pour le coup, il ne me croit pas du tout, parce que dans sa tête, des enfants sans jouets, ça n’existe pas. Il refuse de m’en donner et je me retrouve limite à lui forcer la main, de peur que la maîtresse nous prenne pour une famille d’égoïstes qui aurait perdu l’esprit de Noël.

Tout ça m’a épuisée.

Et je ne vais même pas parler ici de l’effarement qu’on est nombreux à ressentir dans les magasins face à cette formidable fabrique du genre que sont les jouets destinés aux petits garçons et aux petites filles. Ça aussi, c’est pour les faire rêver ?

J’espère au moins que toutes ces conneries de Noël aiguiseront le sens critique de nos gamins. Qu’ils et elles se souviendront comme il a été facile de les berner avec de beaux discours et une carotte.

En attendant, je propose qu’on fiche la paix à nos gosses, qu’on range nos fausses barbes et qu’on prenne enfin en charge notre besoin légitime d’imaginaire. Qu’on prenne du temps pour rire, chanter, danser, se marrer, glandouiller, qu’on s’inscrive enfin à ce cours de poterie, qu’on organise des soirées karaoké, qu’on écrive des poésies, qu’on se dégage du temps pour lire et pas seulement une demi-heure le soir quand on est ratiboisé. Et que tout ça nous donne la force de lutter, de fabriquer nos utopies et de les défendre. Rien de moins.

Et celui qui dit que je crois au Père Noël, je le tape.

Amandine Dhée

NDLR : Si vous parvenez à vous libérer des demi-journées de lecture, du fin fond des Flandres, Amandine a écrit La femme brouillon (2017, éditions La Contre Allée, prix Hors Concours 2017), La pièce de théâtre « Les gens d’ici » (2017, produite par La Générale d’Imaginaire »), Et puis ça fait bête d’être triste en maillot de bain (2013, éditions La Contre Allée), Du bulgom et des Hommes (2010, éditions La Contre Allée)

Amandine a écrit ce papier en avril 20187 pour le n°4 de l’Empaillé dans sa version départementale. Depuis Elle a écrit d’autres bouquins qu’on vous recommande chaudement, ils sont référencés ici : https://lacontreallee.com/auteurs/amandine-dhee/