Pas un jour sans musique – 2024 dans le rétro
NI D’YEUX NI M’ÊTRE
Bien que plutôt réticent aux tops et autres classifications, on ne peut s’empêcher, par plaisir et pour jouer à « faire le point », de se dire « tiens, qu’est-ce que j’ai le plus écouté cette année, toutes catégories confondues ».
Quelques nouveautés, des vieilleries, pas mal de musiques de proximité et amicales, d’autres plus éloignées et internationales. Des trucs très disparates n’ayant pas grand-chose à voir les uns avec les autres, si ce n’est d’être difficilement étiquetables.
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On n’avait jamais apprécié jusqu’à présent ce groupe totalement surévalué à nos yeux, pourtant THEE OH SEES nous retourne complètement le sensible avec la découverte, grâce à la reprise estivale par un ami de grand talent d’un de leurs morceaux de l’album The Hounds Of Foggy Notion, enregistré en 2007 dans plein d’endroits différents à San Francisco. Seize morceaux de pop psyché quasi acoustiques et dépouillés. Pas d’effet de manche, pas de grosses batteries, tout l’inverse et c’est tant mieux.
KEITH FEJERAN s’enquille un Daiquiri, enfoncé dans un canapé très mou, la main plongée dans un sac de chamallows, flottant dans l’éther de sa pop hypnagogique. Un disque avec presque rien mais si confortablement retors et ambigu, sorti sur l’intéressant label Pacific City Soundvision.
The Teenage Tapes, enregistrements de FÉLIX KUBIN, le roi du synthétiseur MS20, quand il était gamin à Hambourg, déjà doué et visionnaire. Entre 12 et16 ans, à partir du début des années 80, il enregistre ses expérimentations électro-pop dont on retrouve une sélection sur cette compilation ludique et loin d’être anecdotique.
Un disque nouveau de GUILHEM ALL, l’Aveyronnais exilé depuis belle lurette au Finistère : on l’attend, on l’accueille, on le pose délicatement sur la platine. Le bien nommé Tourne Disque, puisque la manipulation de disques vinyles constitue l’instrument principal du bonhomme, propose à l’auditeur de danser sur place et de deviner quels sons se glissent ici. L’intrigue fonctionne, et on s’abandonne. Sorti sur Les Oreilles de Saturne et fabriqué chez Hors Cadre Impression.
The Beat My Head Hit, composition pour piano, voix et percussions de BEN VIDA parue en 2023, peut faire penser à certaines pièces de Steve Reich, mais sans souffrir la comparaison ou être écrasé par cette filiation, et avec une certaine douceur en plus.
L’Australien CONNAN MOCKASSIN se fait discret depuis un certain temps mais ses deux albums Caramel (2013) et Forever Dolphin Love (2011) reviennent régulièrement sonner à nos oreilles, avec leur air de ne pas y toucher, indolent et langoureux.
Encore sur les conseils d’un bon ami (la musique est l’une des choses qui se partagent le mieux et le plus non ?), SKY NEEDLE joue, sur des instruments fabriqués par les musicien·nes du groupe, une espèce d’indus acoustique ou de folk imaginaire un chouïa dissonante et toujours habitée, notamment grâce à la voix de Sarah Byrne, la chanteuse. Albums Debased Shapes, 2013 et Neckliner Tape, 2011.
Sorti il y a un peu plus d’un an, Pourquoi certains arbres sont si grands ? de BALLADUR se bonifie au fil des écoutes, jusqu’à en tomber très amoureux. Nostalgique, introspectif et en même temps plein de promesses. Comme dit la chanson, « Ça m’a tellement manqué » (quel tube !).
WINTER FAMILY continue à faire cramer les synthés et à invoquer toute sortes d’esprits sur On Beautiful Days, leur quatrième album, pas pépère pour deux sous, porté sur la transe, l’intensité, le politique, la colère.
En attendant le futur LP d’HEIMAT énigmatiquement nommé Iti Eta No et dessiné par l’hilarante Anouk Ricard (quelle rencontre de deux univers si loin/si proches) à paraître tout bientôt en mars (les chansons ont fuité jusqu’à nos oreilles, ça sera très beau), écoutez ou re-écoutez leur disque précédent, Zwei, qui nous a coupé le souffle.
STEVE RODEN, artiste visuel et sonore américain, disparu beaucoup trop tôt fin 2023 à l’age de 59 ans, s’est intéressé aux sons modestes, aux objets amplifiés et à l’écoute subtile. Sa vaste discographie nous a accompagné des journées entières en 2024, quand on avait autant envie de silence que de son.
Une grande B.O pour un grand film, Zatoichi de Takeshi Kitano, composée par KEIICHI SUZUKI en 2003, dans laquelle on retrouve l’humour du film ainsi que sa tension. L’instrumentation fait preuve d’une grande audace sonore synthétique, avec des incursions concrètes, traditionnelles ou totalement anachroniques.
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Une partie de ces disques ne sont plus trouvables physiquement, épuisés ou perdus dans les limbes. Pour les écouter, il ne reste parfois que les sites d’écoute (bandcamp, par exemple, ou soundcloud) ou la chance d’avoir un·e pote qui a ça. Nous encourageons par ailleurs la copie cassette, ou le partage de fichiers, beaucoup plus que certaines plateformes saturées de pubs.
Cassette.
Tient dans la main, tient dans la poche
Celle de MILLE, glanée à un concert d’ELG et la Chimie au sein duquel elle chante, joue de la basse et de tout un tas d’autres trucs, fait un sacré constat avec Je suis un être humain et nous le prouve tout au long de cet album. Humain, trop humain, comme dirait l’autre ? Rien n’est moins sûr… On en a bien besoin de choses vivantes, fraîches, drôles, hors des clous. Labels Random Seat/999 Pertuis.
Chez FRISSONS, label aveyronnais-belge, trois sorties d’un coup, comme dirait le vaillant petit tailleur. D’abord Nickel Chrome Volume 2, compilation de reprises où une flopée d’inspiré·es – Rouge Gorge, PPL, Krinator – j’en passe et des meilleures – s’attaquent pêle-mêle à Brigitte Fontaine, Dominique A, Dalida, etc. Puis dans Bien entouré, le QUERCY K7 CLUB, collectif d’artisans manipulateurs de cassettes tous azimuts, redessine le temps et l’espace avec deux faces d’empilements de sons qui s’imbriquent. Et le petit dernier, le belge BENJAMIN FRANKLIN, nous promet de jolies aventures synthétiques, qui se paient le luxe d’être guillerettes et mélancoliques à la fois.
La seule information que l’on trouve sur la cassette au titre intriguant d’Obroni Wawu (on a fini par trouver ce que ça signifie, mais on vous laisse le plaisir de chercher) d’ AKA BONDAGE c’est : « Merci de ne pas diffuser le contenu de cette k7 sur internet »… Une façon de dire : si on fait des cassettes, c’est pas pour se laisser emmerder par les ordis. Électro froide instrumentale tapie dans l’ombre d’un dance-floor squattant un bunker.
Les deux toulousaines de GÉNÉRIQUE MARDI chantent et jouent un peu de tout (synthés, basse, boite à rythme) sur Rebecca sorti conjointement sur ABrecords et Cœur sur Toi. Sans parler d’influences, on peut parfois penser à Cate Le Bon ou à Grace Jones, leurs chansons en anglais et français oscillant entre gravité, absurdité et sautillement.
Le plutôt prolifique AYMERIC DE TAPOL dont on a tant aimé No Dub-Plonger en 2022 remet le couvercle ; Aiguillage sort aussi chez la République des Granges, et là c’est plutôt une plongée en abstraction qu’il faut effectuer, s’accrocher aux minis ritournelles et aux boucles elliptiques de cet héritier schizoïde de Raymond Scott.
Texte : JO