Numéro 8

Où sont les riches ? 1ère partie

Aux beaux jours, ils pavanent crinière au vent à bord de leur Jaguar ou de leur Porche. Ils traversent les villages aveyronnais, fiers de leur réussite transmise de père en fils. Puis ils s’évaporent, retournent dans leur villa à l’abri des regards et cultivent un entre-soi dans des « cercles », des clubs, des golfs, des restaurants chics. Ce sont les piliers de la bourgeoisie industrielle, commerçante et agricole, des professions médicales libérales, des experts comptables, des « hommes d’affaires » de toutes sortes. Du fric, du pouvoir, du prestige, ces Aveyronnais en veulent et en redemandent, pour eux et leurs enfants.

 

On connaît cette réalité, mais on s’y intéresse peu. Les journalistes, économistes et sociologues sont bien plus prompts à disséquer la misère et ses quartiers pauvres qu’à s’intéresser à cette classe sociale qu’on nomme facilement « les riches », parfois les bourgeois, les détenteurs de capitaux ou la haute. Peu importe. Ce sont bien eux qui façonnent nos vies, nos paysages, nos routes et l’air qu’on respire. On ne vous apprend rien : hormis les services publics et quelques entreprises publiques qui n’ont pas encore été privatisées, l’économie est majoritairement aux mains de groupes privés (1) qui n’ont de comptes à rendre à personne. Ils décident ce que l’on va produire, où, comment et à quel rythme. Des armes ou des pièces d’avions, des pesticides ou du parfum bio, du steak haché ou du voyage scolaire, une usine qu’on ferme ici, des salaires au rabais par là, de la pollution partout. Et cette minorité engrange dividendes et prix de l’entrepreneur de l’année. Une grande partie d’entre nous travaille donc, directement ou pas, à l’enrichissement personnel de cette poignée d’êtres exceptionnels, que la pensée dominante nous présente comme des créateurs d’emplois altruistes qui font vivre le pays. Pour contrer ce genre de foutaises, on s’est attelé à disséquer cette caste à l’échelle locale.

Qui sont-ils ? Où vivent-ils ? Où se rencontrent-ils ? Comment évaluer leurs richesses ? Une poignée de sociologues a déjà travaillé sur ces questions, mettant en évidence la stratégie de reproduction sociale de la classe bourgeoise, dans la transmission du patrimoine, dans les réseaux sociaux qu’elle entretient et dans les espaces géographiques où elle réside. Un communautarisme inavoué. Ils montrent aussi comment leur richesse est multiforme, faite d’argent, de culture, de relations sociales et de prestige. Enfin, leur point commun : ils se cachent, ils brouillent les pistes, ils font diversion à tous les niveaux. L’Empaillé n’étant pas du genre à renoncer, on a lancé les recherches…

500 familles

Ce sont les impôts sur le revenu qui donnent un premier indice : en 2017, 1810 familles aveyronnaises déclarent un « revenu fiscal de référence » supérieur à 100 000 euros, ce dernier étant minoré grâce à tout un tas de revenus déductibles et un abattement de 30% sur les dividendes. En 2009, une analyse plus précise des chiffres des impôts resserre l’étau sur 800 familles aveyronnaises (2) : parmi elles, on dénombre 210 familles ruthénoises, 88 d’Onet-le-Château et 18 de Réquista avec un revenu moyen autour de 200 000 euros par an, ou encore 28 familles d’Espalion, 14 de Capdenac et 123 de Millau qui touchent 140 000 par an en moyenne. Ces 800 familles encaissent donc chaque mois 12 000, 25 000, 50 000 euros et davantage. Mais ces chiffres ne sont qu’une moyenne et ne différencient pas le cadre sup’ du patron millionnaire.

L’ISF permettait de préciser un peu les choses. Ainsi en 2016, 149 foyers ruthénois et 71 millavois payaient cet impôt en déclarant un patrimoine moyen de 2,5 millions d’euros. Quid des riches de Réquista, d’Onet ou d’Espalion ? Les impôts ne fournissaient pas de données pour les villes de moins de 20 000 habitant-es afin de préserver l’anonymat des grandes fortunes. Quelle délicatesse ! Et l’ISF ne prenait pas en compte les œuvres d’art, les bijoux ou les biens professionnels. Depuis l’arrivée du riche Macron au pouvoir, l’ISF n’est plus. Il a été remplacé par l’Impôt sur les Fortunes Immobilières, qui comme son nom l’indique, se limite au patrimoine immobilier (avec une décote de 30 %) et laisse les placements financiers et bancaires au chaud.
En général, on peut dire que l’administration fiscale met un point d’orgue à ne rien divulguer des fortunes personnelles des riches de ce pays. La sociologue Monique Pinçont-Charlot soutient ainsi que les documents fiscaux sont aussi bien gardés que ceux relevant du secret défense.

À ce stade, on peut estimer à la louche qu’on a une centaine de familles à classer dans les « grandes fortunes », avec des dizaines et des dizaines de millions de patrimoine. Et plus largement, un cercle d’au moins 500 familles qui dessinerait les contours de la bourgeoise aveyronnaise, avec une base minimale de plusieurs millions de capital et un plancher de 15 000 euros de rentrées mensuelles.
On vous sent venir, vous voulez des noms. Nous aussi. On est donc parti dans plusieurs directions. La première piste fut de relever les noms de rues de la zone d’Onet-le-Château bardée de villas chics, qualifiée de Neuilly local, et de rechercher ensuite les noms enregistrés dans les pages blanches de ce secteur. Résultat médiocre, mis à part une collecte d’infos qui nous servira plus tard. Puis direction le Rotary, le Lion’s Club, les cercles et syndicats patronaux. On amasse de la doc, des fichiers, des liens, des connexions, mais on piétine aussi, un peu dispersés. Leurs listes d’adhérent-es ne sont pas publiques, et on aimerait savoir un peu mieux à qui on a affaire…

Confinement et épluchage

Le temps long du confinement a dégagé une issue : se farcir la liste des cent plus grosses sociétés aveyronnaises. Des heures et des heures passées à fouiller entreprise par entreprise, pour trouver leurs actionnaires, regrouper les filiales et les maisons mères, estimer les fortunes amassées dans l’ombre de ces sociétés. La tâche est fastidieuse. Si quelques-uns se montrent publiquement, la norme est de n’apparaître ni dans le bottin, ni dans la presse et le moins possible au greffe. Et s’ils s’entretiennent avec un quotidien de Baylet ou une feuille de chou de la presse économique, c’est pour étaler quelques vagues banalités autour de leur réussite et de leur fierté. Jamais ils ne causent de leur fortune et de leurs bénéfices, ou du nom des associés propriétaires. On navigue alors entre divers sites tels vérif.com, dirigeants.bfmtv.com ou infogreffe.com, on épluche la presse, les sites web des entreprises ou de la chambre de commerce. Un joyeux bordel, fait d’informations partielles qui se contredisent, de vraies-fausses coopératives, d’actionnaires cachés, de listing de SCI, de sociétés holdings. Il faut chercher à différencier les cadres dirigeants des propriétaires, actualiser les données suite au rachat d’une société par un groupe ou une multinationale, le décès d’un patron, la fusion de deux boîtes. Il s’agit d’un monde opaque, où personne n’enquête, où aucun journaliste local ne pose de questions.

On s’est alors trouvé face au mur de l’information économique : pour avoir la liste complète des actionnaires d’une boîte et les comptes annuels détaillés, il n’y a qu’une solution efficace : il faut payer. Les sites web cités plus haut proposent à la vente tous les actes, les statuts ou les comptes des entreprises. Des fichiers PDF à 5, 10 ou 30 euros. Sans argent et sans réelle expertise comptable, nous voilà désarmés. On contacte Benoît Boussemart, un économiste marxiste qui s’est attaqué à l’Empire des Mulliez-Auchan, et qui évalue la fortune des 500 plus gros riches de France pour Capital. Il nous transmet des documents sur des filiales luxembourgeoises qu’on garde sous le coude, des comptes annuels ou l’exposé des différentes méthodes d’évaluation comptables d’une fortune professionnelle. Capitaux propres, capitalisation boursière, résultat net consolidé, passif du bilan annuel, nous voilà noyés dans des tableaux comptables couvrant des groupes et des fortunes régionales. Nous qui ne voulions qu’une liste de propriétaires aveyronnais, leurs entreprises et leur fortune…

Euronext nous voilà !

C’est donc dans la douleur qu’on a synthétisé cette plongée en apnée dans le capitalisme sauvage aveyronnais (3). Naïvement, on se serait cru un peu à l’écart de la folie économique qui s’empare du monde à une vitesse exponentielle, mais il n’en est rien. Ici aussi le capital se concentre comme jamais et les taux de profits des grosses sociétés sont à un niveau historique. Le temps de l’entreprise familiale qui ronronne est terminé. Aujourd’hui il faut péter les scores ou se mettre en vente. Certaines boîtes ont une croissance de leur chiffre d’affaire ou de leurs effectifs tout bonnement impressionnante, surfant sur l’aéronautique, internet et d’autres secteurs porteurs. Elles rachètent des concurrents à un rythme effréné, créent des filiales en France ou à l’étranger, elles veulent exporter toujours davantage, trouver de nouveaux investisseurs en bourse, placer une pub en prime-time à la télé.

Jean-Claude Maillard a créé un empire dans la métallurgie, le groupe Figeac Aéro, coté en bourse. À coup de rachats, d’agrandissements, de robotisation et d’implantations à l’étranger, ce sous-traitant aéronautique croît de 10, 20, ou 30 % chaque année. Son chiffre d’affaire (CA) approche les 450 millions, les salarié-es sont plus de 4000. Un tiers à Figeac et Decazeville, une petite unité aux USA et le gros des troupes dans les pays où l’on peut exploiter les gens sans se soucier du Smic ou du code du travail et de l’environnement : des filiales sont créées en Roumanie, au Maroc, en Tunisie, en Chine ou au Mexique, avec des effectifs en forte croissance. Au final c’est le jackpot pour Maillard et ses deux fils. La famille est classée 334ème fortune de France, avec un magot estimé à 270 millions d’euros.

Grégory Poux s’enrichit à vitesse grand V avec SOFOP, la boîte d’Olemps léguée par son père, sous traitante de l’aéronautique également. Le chiffre d’affaires est passé de 18 millions en 2006 à 48 millions en 2019. Le fils à papa décide de s’associer avec les sociétés de Ludovic Asquini (Lot-et-Garonne) et Frédéric Gentilin (Toulouse) pour former Nexteam Group. Ils passent les 250 millions de CA et embauchent 900 salarié-es sur huit sites dont la Pologne et la Roumanie, bas salaires obligent. Puis ils intègrent les spéculateurs de Tikehau capital (4) dans leur groupe, lequel leur apporte 114 millions d’argent frais. De quoi racheter encore une autre boîte, MECAFI et ses 700 salarié-es français et polonais, construire une nouvelle usine au Maroc pour sous-payer 100 bonhommes et au final doubler leur CA jusqu’à 500 millions. Le trio est entré dans le classement des 500 plus grosses fortunes de Challenge, avec 40 millions à leur actif. Quant au petit Poux, sa descendance n’a pas à s’en faire : sa société de « gestion de fonds » dénommée « P808 » et domiciliée près du golf d’Onet-le-Château affiche à elle seule un capital de 30 millions d’euros.

Guillaume Angles, encore un glorieux fils à papa. La quincaillerie familiale basée à Rodez avait déjà ouvert quelques filiales dans le sud avec son père. Mais lui va exploser les chiffres : entre 2001 et 2019, la boîte passe de 20 à 300 salarié-es et de 5 à 60 millions de chiffre d’affaires. Il ouvre de nouveaux dépôts en France (26 au total), rachète les sites de vente en ligne Maxoutils et leshallesprivées.com. Il investit Facebook, envoie de la pub sur Canal et TF1, file des millions au club de foot de Rodez pour avoir son blase sur le maillot. Quid de sa fortune perso ? Impossible de l’évaluer, le groupe ne publie pas ses comptes depuis 2015 quitte à payer une amende (dérisoire). Alors faut-il aller voir du côté de ses 35 sociétés civiles immobilières ? Faut-il demander à sa femme, Sarah Vidal, adjointe PS de Teyssedre à Rodez, qui fait la pub pour Maxoutils sur son tweeter ? Ou à Thomas Mogharaei, ex-représentant d’En Marche Aveyron, ex-directeur de cabinet de Teyssedre, avec qui il s’associe dans une start-up à la noix, jairendezvous.com ?

Partager en famille

Nombre de groupes aveyronnais suivent cette trajectoire d’enrichissement accéléré, dans tous les secteurs. Dans la vente automobile, ils sont une poignée de familles à se répartir un juteux gâteau. Le ruthénois Jean Fabre et son groupe aux 11 sociétés, 535 salarié-es et 200 millions de chiffre d’affaires doit produire plusieurs millions de bénéfice annuel (5). Tout comme Christophe Maurel et sa famille pourraient dépasser les 2 millions de bénef en additionnant les résultats de leurs 24 sociétés et concessions automobiles. La famille Cayla, basée à Villefranche, vend pour 28 millions de véhicules industriels, se dégageant un petit pactole annuel de 550 000 euros. Suit Jean-François Escat avec Euroservice auto et ses 26 millions d’activité dont le résultat net est à 6 chiffres à n’en pas douter.

Dans la grande distribution, ils sont quelques-uns à faire fortune. Stéphane Pilon dégage une marge annuelle de 1,6 millions au Leclerc de Sebazac, son frère Nicolas se fait 1,2 millions à celui de Capdenac. Auxquels il faudrait ajouter la compta de leurs 22 sociétés annexes. Le très discret Jean-Michel Benoist-Debrez affiche un résultat net de 635 000 euros au Leclerc de Villefranche, et Muriel Delpérié annonce 800 000 euros de bénef avec les Carrefour de Villefranche et Cres (34), auxquels il faudrait ajouter ses différents commerces, hôtels et son parc immobilier. Christian Cabrion fait ses affaires du côté de Millau, avec Leclerc et Inter, et un bénef de 1,1 millions. Il s’amuse aussi avec une vingtaine de sociétés, dans l’immobilier, le commerce de bijoux, les restos, la finance.

Côté agricole, les familles Singla et Fabre touchent un jackpot éternel via l’empire RAGT, ses filiales, ses rachats d’entreprises successifs, ses OGM, ses 350 millions de chiffre d’affaire et ses 1300 salarié-es. Les familles Malbert et Barthes dégagent un bénef annuel d’un million via la vente de matériel avec Agripole. La famille Lacan fait de même à Réquista et approche les 600 000 de résultat. Les charcutiers de la famille Tournois tournent autour de 900 000 euros avec la SACOR à Villefranche. Patrick et Raymond Fabre s’enrichissent à plein tube avec Futuragri et la SOBAC, autour de 4,3 millions de bénef annuel. On passe sur le réseau « coopératif » et la concentration du secteur autour de Unicor : à coup de rachats successifs et de créations de filiales, le groupe dépasse les 300 millions de chiffre d’affaires, et mériterait une enquête approfondie… Quant au Roquefort, 80% de sa production est aux mains des multinationales du fromage et des paradis fiscaux : Lactalis, Sodiaal Union et le groupe Bongrain qui vient de racheter le Roquefort Papillon, auparavant détenu par la famille Farines, une grande fortune de la région.

L’attraction touristique

Dans l’industrie et la construction, Christian Castes fait décoller Castes Industrie et son compte en banque, avec près de 2,2 millions de résultat net annuel. Marc Sévigné et son entreprise de 250 salarié-es et 30 millions de CA à Aguessac pourrait booster sa fortune si son projet de méga-décharge à Decazeville voyait le jour (cf page 24). La famille Rayssac avec Andrieu construction à Olemps atteint un bénef annuel de 500 000 euros, les entreprises STS et TSI de Stéphan Mazars en dégagent 750 000 euros, Sébastien Boutonnet et Yannick Falip aux manettes de Thermatic approchent les 1,6 millions.

Une dernière louche avant l’overdose ? Allons voir du côté des voyagistes et transporteurs. Jean Burdin se faisait déjà 1,6 millions de bénef avec son Club Langues et Civilisations basé à Rodez. En quelques années, il a racheté pas moins de huit enseignes pour fonder le groupe Go and Live, et doubler ainsi son chiffre d’affaires… et sûrement sa marge personnelle grâce à 178 salarié-es à son service. Mais peut mieux faire : à partir de Rodez, Yves Verdié a racheté tous azimuts dans les années 2000, pour atteindre 100 millions d’activité et empocher 2,5 millions de résultat annuel sur son groupe de 190 salarié-es. La famille Bouyssou a aussi sorti son carnet de chèques pour s’agrandir, et se faire 300 000 euros de bénef sur le travail des 335 salarié-es du groupe Ruban bleu, qui produisent pour 15 millions de CA dans le transport, les agences de voyage et l’hôtel de luxe ruthénois Mercure.

Ajoutons encore la famille Lagarde et ses 7 millions de bénéf sur le laboratoire Nutergia, la famille Carel spécialisée dans le carburant et ses 200 000 de résultat annuel, le remuant Christian Valat et ses 580 000 de bénef sur les couteaux Laguiole, ses restos parisiens, ses centrales électriques. Ou encore la famille Viguier, qui se repose dans une affaire d’hôtel de luxe après avoir revendu en 2008 la SEFEE (sous-traitant aéronautique) à la multinationale Amphenol pour un joyeux pactole tenu secret. Une chose est sûre, Christian Viguier est multi-millionnaire (6).
Cette liste d’hommes – quasi exclusivement- pourrait s’allonger sur plusieurs pages. Si certains ne sont pas dans le top 100 aveyronnais, ils amassent aussi de belles fortunes en investissant dans une tripotée de sociétés, tel l’expert comptable Bernard Galy aux 24 sociétés ou le minotier Christian Calvet aux 23 entreprises. Et d’autres nombreux « hommes d’affaires », qui peuvent posséder à la fois des restos, une centrale électrique, un commerce, une boîte de conseil en management et bien sûr, c’est leur point commun à tous : une petite liste de SCI, qui bien souvent ne publient pas leurs comptes.

Renverser le discours dominant

Les riches sont de plus en plus riches, soit. Mais ces dernières années on nage en pleine démesure, suivant une évolution nationale : les 500 premières fortunes ont triplé leur magot en dix ans, pour atteindre 650 milliards en 2018. Localement, ils sont nombreux à en profiter. Vieilles familles ou nouveaux riches, multinationales et fonds de placement, mais aussi tous ceux qui fourmillent autour d’eux, cadres dirigeants, cabinets de conseil, d’avocats, d’experts comptables, professions médicales libérales, banquiers. Ce petit monde bourgeois vit grassement, planqué, avec le soutien appuyé de l’élite politique et médiatique. Ainsi la presse de Baylet n’en finit plus d’évoquer ces capitaines d’industrie, ces fleurons de l’industrie locale et ces entrepreneurs visionnaires. Et tous ces groupes évoqués plus haut reçoivent à gaver d’argent public, sans aucune transparence. Guillaume Poux, a ainsi reçu 1,7 millions de crédit d’impôt via le CICE (7) en 2018, et en 2007, pour aider ce pauvre entrepreneur à agrandir son usine, tout le monde mettait la main à la poche : l’agglo (100 000 €), la Région Midi-Pyrénées (100 000 €) et le Département (76 224 €). Jean-Claude Maillard a fait beaucoup mieux en cumulant 8 millions d’aides publiques entre 2010 et 2015 pour l’extension de son usine de Figeac (8). Guillaume Angles remerciait pour sa part la présidente de région Carole Delga lors de sa visite chez lui, pour les 275 000 euros annuels octroyés à sa boîte de 2013 à 2018 au titre du CICE. Elle est pas belle, la vie d’un multi-millionnaire ?

Ces gens-là affirment créer de l’emploi et produire de la richesse au service de l’intérêt général. Les plus audacieux se plaignent des charges qui pèsent sur eux et d’un code du travail écrit par la CGT, qui les contraint à délocaliser ou à dégraisser. Il serait temps que l’analyse inverse soit davantage partagée : cette bourgeoisie, ces possédants, ne produisent rien, n’ont que leur enrichissement personnel comme horizon et ils s’organisent par tous les moyens (lobbying sur les élus, réseau de clubs et de cercles, chantage à l’emploi, stratégies juridiques et comptables, légales ou pas) pour maintenir leur domination. À nous de créer ou de réinvestir nos clubs, nos réseaux, nos médias, nos syndicats, pour leur mettre la pâté.

La saga des riches, suite :
Promis, les prochains numéros fouilleront tout ce réseau de clubs, de cercles, d’associations ou de syndicats patronaux qui foisonnent de Toulouse à Rodez, de Montpellier à Figeac, et qui sont à la base de relations sociales intenses dans la bourgeoisie régionale. Il s’agira aussi d’évoquer leurs espaces, leurs quartiers, leurs rues, leurs rendez-vous gastro et leurs complexes de luxe. Et mettre en lumière, encore, toutes ces familles qui possèdent petites et grandes fortunes, en Aveyron mais aussi en Occitanie, fondées sur l’exploitation de centaines de milliers de salarié-es de la région. Altrad, Gervoson, Farines, Maillard, Poirier, Nicolin, Fabre, Chapoulard, Sadran, Chausson, Le Moan, Fourtet, Teychené, Jeanjean, Pech, Calmels, Mestre : ces gens-là mériteraient d’être mieux connus, pour être mieux attaqués.

Texte : Emile Progeault / Dessins : Foolmool

Note :

1 : On vous voit venir, les Aveyronnais : on met tout le monde dans le même sac, alors que l’économie c’est aussi ces milliers d’artisans et de petites entreprises. C’est en parti vrai : le tiers du chiffre d’affaires total des entreprises en France est réalisé par les TPE et PME. Mais une « PME » peut avoir 250 salarié-es, un chiffre d’affaire de 50 millions d’euros et un patron multi-millionnaire : elle n’a alors rien d’une « petite entreprise ». En isolant les TPE (jusqu’à 10 salariés et 2 millions d’activité), on tombe à 12% du chiffre d’affaire total. Grosso modo, on peut donc dire qu’au moins 80% de l’activité privée en France est le fait de sociétés et de groupes importants, dont les propriétaires ont un patrimoine de quelques millions au minimum.
2 : À partir des chiffres du livre de Jacques Marseille, L’argent des Français, La Dépêche publie en 2009 un topo sur les revenus moyens des 800 familles les plus riches du département. Exploit qu’elle n’a pas réitéré depuis.
3 : Certaines sociétés, et parfois de gros groupes, ne sont pas cités, ou parce que nous manquons d’infos ou parce qu’elles sont liées à des multinationales hors région. Également, étant donné la masse d’informations à traiter, les contradictions selon les sources et les actualisations manquantes, nous ne sommes pas à l’abri d’une erreur dans les données qui suivent. Précisons également que la réalité de l’enrichissement de ces hommes d’affaires est très certainement minorée ici, ne disposant que des chiffres qu’ils veulent bien nous donner et uniquement dans le domaine professionnel.
4 : Un fond de placements et d’investissements avec 24 milliards en gestion, 3 milliards de fonds propres, dirigé par Antoine Flamarion et Mathieu Chabran (142e fortune de France avec 650 millions d’euros) et rejoints récemment par un conseiller hors pair : François Fillon.
5 : Pour la suite de l’article, nous assimilerons bénéfice et résultat net d’une entreprise, qui correspond à la marge réalisée sur une année. Cela ne veut pas dire que ce résultat soit empoché directement par le ou les propriétaires : ils peuvent s’en servir pour investir dans l’entreprise, mais cela augmente la valeur de leur société, et donc leur fortune théorique.
6 : Sa fortune était déjà estimée à cinq millions d’euros en 2007 dans « Success stories à la française : Grand Sud », L’Express, 1/05/2007.
7 : Crédit d’Impôt Compétitivité et Emploi, mesure inventée sous François Hollande, pour un coût total de 100 milliards.
8 : Puisque que ces infos ne sont pas rendues publiques, c’est l’asso Lou Païs environnement qui avait fait le total à l’époque des aides directes et indirectes du groupe.